dimanche 22 février 2009

L'outre-mer, une économie sous perfusion

Article de Patrick Roger paru dans l'édition du Monde du 18 février 2009.

"Que voit le Guadeloupéen après soixante années de départementalisation ?, interroge Patrick Karam, le délégué interministériel pour l'égalité des chances des Français d'outre-mer. Des prix plus élevés que dans l'Hexagone, un revenu par habitant très inférieur à la moyenne nationale, des enfants surdiplômés au chômage, et des métropolitains qui occupent les postes de cadres.

"Une partie des maux de l'outre-mer est ainsi résumée. Il omet cependant d'en analyser les racines : ce que le romancier martiniquais Patrick Chamoiseau appelle "cette tutelle coloniale qui nous maintient dans l'irresponsabilité et la dépendance". Pour Christiane Taubira, députée (divers gauche) de la Guyane, la situation en Guadeloupe "frôle l'apartheid social". Elle met en cause "une caste qui détient le pouvoir économique et en abuse".

C'est à ces maux endémiques que... ne répond pas le projet de loi pour le développement de l'outre-mer (Plodeom) examiné - en principe - en mars au Sénat. Auditionné mardi 17 février par les commissions des affaires économiques et des affaires sociales, le secrétaire d'Etat, Yves Jégo, ne peut ignorer que l'explosion sociale en Guadeloupe et ses risques d'extension ont rendu obsolète le texte présenté en juillet 2008 en conseil des ministres.

Le projet du gouvernement porte essentiellement sur quatre points : création de zones franches d'activité (ZFA) où les entreprises de moins de 250 salariés réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 50 millions d'euros bénéficieraient d'une exonération fiscale de 50 % (80 % dans certains secteurs spécifiques) ; exonération des charges sociales sur les salaires jusqu'à 1,4 smic (1,6 smic dans les ZFA) ; incitation fiscale aux investissements dans le logement social ; fonds d'aide à la mobilité des personnes d'outre-mer.

"DÉPENDANCE"

Le gouvernement affiche sa volonté de passer d'une "logique d'aide" à une "logique de développement endogène". Un concept "beau comme de l'antique", selon Victorin Lurel, député PS de Guadeloupe, pour qui cela se traduit par : "Débrouillez-vous !"

L'Etat, en réalité, obéit toujours à la même logique : les dispositifs d'exonérations et d'allégements fiscaux et sociaux sont conçus comme des facteurs d'accélération de l'économie locale. Ces facilités ont contribué à enrichir quelques grosses fortunes locales, tout en continuant à creuser les inégalités. La vingtaine de dispositifs fiscaux représentant un coût de 3,3 milliards d'euros au budget 2009 n'ont guère fait la preuve de leur efficacité, quand ils ne produisent pas d'effets pervers.

Ainsi la défiscalisation en matière de logement, dont le coût n'a cessé de croître (230 millions d'euros en 2008, soit +27 % en deux ans) a eu pour effet de mettre en panne la construction de logements sociaux au profit du logement libre - qui trouve de moins en moins de locataires en raison des loyers élevés - et de renchérir les prix des terrains. La demande de logements sociaux en Guadeloupe s'élève à 12 250, pour une production annuelle de l'ordre de 1 300 : 72 % des demandeurs disposent de revenus inférieurs au smic, et 13 % sont sans ressources. Le logement insalubre concerne près de 60 000 habitants pour une population de près de 450 000, et 18 000 logements, soit 10 % du parc.

Au total, l'effort global de l'Etat en faveur de l'outre-mer se monte à 16,7 milliards d'euros en 2009. Près de 4 milliards de plus sont programmés pour la période 2007-2013 dans le cadre de la "politique de cohésion" de l'Union européenne. Avec un produit intérieur brut (PIB) inférieur à 75 % de la moyenne européenne (67,3 % pour la Guadeloupe), les départements d'outre-mer peuvent bénéficier de mesures dérogatoires.

Les disparités n'en restent pas moins criantes. Le taux de chômage "officiel" est de 22 % en Guadeloupe (35 % chez les moins de 30 ans) ; 32 000 personnes (8 % de la population) touchent le RMI ; 12,5 % vivent sous le seuil de pauvreté. Parallèlement, les prix dans la distribution sont exorbitants, en raison de la situation de monopole dont bénéficient les groupes d'importation et de distribution, appartenant pour la quasi-totalité aux mêmes familles de "Blancs créoles" qui tiennent l'ensemble de l'économie antillaise.

"Nous ne supportons pas la dépendance. Nous n'arrivons pas à supporter nos économies sous perfusion. Nous avons une exigence de dignité", explique Mme Taubira. Cette demande-là est la plus difficile à satisfaire.

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