Jérôme Sanchez, 43 ans, instituteur depuis seize ans à La Réunion, est l’auteur du livre La Croche – Lutte traditionnelle de La Réunion publié en 2006 aux éditions Azalées. Il avait adopté en 2002 une démarche consistant à recueillir et préserver l’héritage identitaire contenu dans le sport réunionnais. Onze ans après, il voudrait bien tenter la même expérience à Maurice et essayer de retrouver, en interrogeant les «anciens», les sports et jeux qui auraient pu avoir été amenés dans les bagages de leurs ancêtres lors des différents peuplements de l’île.
«J’aimerais bien travailler sur le sport identitaire de l’île Maurice, rencontrer des représentants de chaque communauté qui incarnent la culture de leurs traditions propres, les interviewer. Ma question est la suivante : est-ce qu’il y a des sports venant du pays de leurs ancêtres ?», confie cet amoureux des arts martiaux qu’il pratique depuis l’âge de 8 ans.
Les éléments recueillis pourraient donner naissance à un documentaire ou à un livre. «L’idée directrice est de permettre aux différentes communautés de Maurice de se connaître. Le but n’est pas d’aller vers le métissage à la réunionnaise ou à la française pour former une nation homogène. Ici, en raison peut-être de l’influence anglo-saxonne, chacun reste à sa place. En ne se côtoyant pas, on peut avoir des préjugés négatifs. Mais en faisant la démarche de se connaître, c’est le premier pas vers un voisinage apaisé. Le sport peut être un premier pas dans ce sens», souligne-t-il.
Jérôme Sanchez, fort de l’expérience acquise de la pratique de la lutte traditionnelle, sait que «chaque peuple du monde a eu un sport de combat ». Si l’Inde, remarque-t-il, le deuxième pays le plus peuplé au monde, ne brille pas aux Jeux Olympiques, ce n’est pas en raison de la faiblesse ou du manque de pratiquants mais parce qu’elle possède ses propres sports qui ne sont pas olympiques. «A l’exception du judo ou du taekwondo, tous les sports olympiques aujourd’hui ont été inventés par les Anglais ou les Français. Un pays, quelle que soit sa culture, ne pourra briller au niveau olympique que s’il consacre son argent à la pratique d’un sport français ou anglais», ajoute-t-il.
Témoignages
Les Indiens, assure Jérôme Sanchez, sont restés fi dèles à leur culture et ne brillent pas aux Jeux olympiques. Il cite le kabbadi, voisin des sports de préhension, très populaire au Pakistan et en Inde, qui se pratique sur un terrain partagé en deux camps et qui met en opposition une équipe de défenseurs et de l’autre côté un seul attaquant. Ce dernier franchit la frontière et dès qu’il touche l’un des défenseurs retourne le plus vite possible dans son camp. Les défenseurs essaient alors de l’attraper et de l’empêcher de regagner la partie du terrain qui est la sienne. Jérôme Sanchez, qui a déjà entendu parler du kalipa, un style de lutte venue de l’Inde, est certain «de pouvoir retrouver des sports identitaires ici à Maurice ». Au début du vingtième siècle, certains pratiquants du kalipa étaient employés comme gardiens sur les établissements sucriers. Des petits tournois y étaient parfois organisés et donnaient lieu à des fêtes.
A La Réunion, il y a un siècle, les blancs pratiquaient la canne de combat à l’ombre, près des rivières. Les noirs pratiquaient, eux, le moring, une boxe pieds-poings. En 2002, Jérôme Sanchez commence à interroger les «anciens» âgés de 65 à 70 ans sur la croche, lutte traditionnelle réunionnaise que pratiquaient les métisses. Il collecte les témoignages, par curiosité personnelle d’abord. Puis survient sa rencontre avec Frédéric Rubio, expert de la Fédération internationale des luttes associées (FILA). Ce dernier l’aide à rédiger un formulaire afi n d’avoir une démarche universitaire. Il interrogera des dizaines de personnes puis rédigera une synthèse d’une cinquantaine de pages des témoignages recueillis.
Jérôme Sanchez présente ce document à l’écrivain Daniel Vaxelaire qui l’encourage à aller plus loin et à faire un livre avec des illustrations. Il prend contact avec Christian Vittori des Editions Azalées qui l’aiguille vers des illustrateurs. Avec l’aide d’anciens pratiquants de la croche, les postures sont reconstituées et classées en planches techniques. Ce travail pédagogique est regroupé dans une cinquantaine de pages supplémentaires sur lesquelles viendront se greffer des pages présentant la codification de cette lutte traditionnelle.
A la demande de l’éditeur, Jérôme Sanchez s’attelle à démontrer que la croche fait partie d’une famille de sport et d’une tradition multimillénaire. Il obtient ainsi «un dernier tiers» d’une cinquantaine de pages également dans lesquelles il fait le tour du monde des luttes traditionnelles identitaires. Ainsi naîtra La Croche – Lutte traditionnelle de la Réunion.
Notre interlocuteur est persuadé que chaque communauté à Maurice a gardé pareillement une tradition sportive ou ludique qui lui est propre et se réjouit déjà à l’idée de sauver et de préserver pareil patrimoine. Comme il le dit si bien, il est favorable au métissage mais aussi au maintien des traditions, une approche qui a le mérite d’être synonyme de richesse par la diversité. Ceux qui auraient des anecdotes à raconter peuvent prendre contact avec lui à l’adresse suivante : jeronimo. sanchez@wanadoo.fr.
Robert D’Argent
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