08.08.2012 - William Rhoden - The New York Times
© AFP Troisième du 100 mètres, l'Américain Justin Gatlin est revenu plus performant après une suspension de quatre ans pour dopage.
Spécialiste du dopage, il n'est guère étonnant que Charles Yesalis suive de près les Jeux olympiques de Londres. Ce qui est surprenant, en revanche, c'est qu'il apprécie réellement le spectacle. "Si vous me demandez si je n'ai pas honte de regarder les Jeux, je vous répondrai que non, explique l'intéressé. Seulement, je ne prends rien pour argent comptant. Je sais ce qui se cache derrière le rideau, et je sais à quoi ressemble le magicien."
Yesalis a passé près de trente ans à explorer la face cachée du sport, découvrant jusqu'où les athlètes étaient prêts à aller pour battre leurs adversaires. Les Jeux olympiques et leur longue histoire de dopage devraient donc être le dernier spectacle auquel il souhaiterait assister. Et pourtant, il n'en est rien. "Quand j'étais petit, je rêvais de participer aux Jeux olympiques", explique ce spécialiste du sport et de la santé publique, enseignant à l'université de Pennsylvanie.
Bons et mauvais tricheurs
Une fois la cérémonie d'ouverture passée, les Jeux olympiques se sont rapidement transformés en un écheveau de tentations, mêlant intérêts personnels, marchandisation éhontée, gonflette narcissique et, surtout cette année, une rivalité entre la Chine et les Etats-Unis pour la place de premier. Un jour, des joueuses chinoises de badminton sont disqualifiées pour avoir volontairement perdu des matches afin d'affronter des adversaires moins forts; le lendemain, l'équipe américaine de basket-ball remporte son match avec 83 points d'écart. La victoire est plus douce que la défaite et toute médaille qui n'est pas d'or paraît trop souvent synonyme d'échec. Au début de la compétition, Michael Phelps et Ryan Lochte se sont presque excusés de ne rapporter que de l'argent à la place de l'or.
Quand les nageurs américains reviennent les bras chargés de médailles, nous célébrons la détermination nationale. Quand, à 17 ans, Missy Franklin décroche une médaille d'or, nous célébrons la vitalité de la jeunesse américaine. Mais quand c'est la Chine qui l'emporte, nous dénonçons son système d'asservissement des athlètes. Quand une jeune Chinoise de 16 ans établit un nouveau record mondial en nageant ses 50 derniers mètres plus vite que l'un de nos meilleurs nageurs (homme), c'est qu'elle a triché. Tel est désormais le point de vue des Etats-Unis: les athlètes américains sont bons parce qu'ils sont bons, les athlètes chinois sont bons parce qu'ils trichent. La vérité est entre les deux. "C'est comme le tour de France, explique Yesalis. Tous les ans, on me demandait dans quelle mesure Lance Armstrong se dopait. Je répondais que pour moi, il était autant dopé que cinquante autres types du peloton."
"Je pars du principe que Michael Phelps et ses camarades sont à peu près tous aussi dopés les uns que les autres. Tout est une question de relativité", déclare le spécialiste, pour qui il faudrait supprimer les contrôles anti-dopage. "Ce n'est qu'une façade servant à faire croire aux gens qu'ils regardent des compétitions plus propres, mais c'est faux. Les contrôles anti-dopage existent depuis les années 60. Désolé, mais je ne crois pas que les choses se soient améliorées. Je ne pense pas que nous ayons fait le moindre progrès."
La victoire sinon rien
Peut-être sommes nous tellement habitués à ces scandales que nous n'y faisons même plus attention et que nous acceptons ces performances sans nous poser de question. "Il est plutôt rare qu'une culture glorifie les moches, les gros et les perdants, poursuit Yesalis. Le désir de l'emporter et de réussir est universel. Tout est lié, le dopage, la tricherie au badminton et ça ne se limite pas aux Jeux qui drainent de l'argent. J'en conclus que c'est dans la nature humaine, on le voit dans les affaires comme en politique. On dit que le sport est un microcosme de notre société, je suis d'accord avec ça."
Nous savons pourquoi certains athlètes trichent et, à un certain niveau, nous comprenons pourquoi: il faut trouver l'avantage. La semaine dernière, le Sud-africain Cameron van der Burgh, médaillé d'or en brasse, a reconnu avoir triché durant l'épreuve. Les vidéos prises sous l'eau montrent qu'il a effectué en début de course trois mouvements de type dauphin alors que la fédération internationale de natation (FINA) n'en autorise qu'un seul. Pour sa défense, le nageur a déclaré qu'il ne pouvait pas se permettre de ne pas tricher. Les êtres humains comprennent bien cela et, en un sens, respectent ce trait de caractère chez les athlètes, surtout quand il leur permet de donner la victoire à leur équipe.
La question n'est pas de savoir pourquoi les athlètes trichent mais pourquoi le public continue de regarder des compétitions toujours plus perverties. Qu'est-ce que cela révèle de l'âme humaine? Que faut-il faire pour sevrer un public accro à ces escroqueries? Les scandales ont ruiné l'image des compétitions d'athlétisme, et pourtant cette discipline reste au cœur des Jeux olympiques.
http://www.courrierinternational.com/article/2012/08/08/profiter-des-jeux-malgre-le-dopage
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