dimanche 12 août 2012

Attaques de requin : un spécialiste se confie sur le cas de la Réunion

Par Quentin Mauguit, Futura-Sciences

Une nouvelle attaque de requins sur un surfeur a mis l’île de la Réunion en ébullition ce 6 août. Face à la recrudescence d’accidents de ce genre, de vives critiques ont été émises à l’encontre de la Réserve naturelle marine, tandis que les autorités ont approuvé une prochaine chasse « scientifique » dans le but précis de tuer 20 squales. Un spécialiste revient pour Futura-Sciences sur cet événement. Pour lui, les décisions prises ne sont pas les bonnes.

Une vraie psychose touche l’île de la Réunion depuis ce lundi 6 août 2012. La cause, une nouvelle attaque de requins, celle de trop pour certains, ayant eu lieu peu de temps avant le coucher du soleil sur un spot de surf de la commune de Saint-Leu (côte ouest). En 20 mois, près d’une vingtaine d’accidents similaires, aux conséquences parfois tragiques (3 décès au cours des 13 derniers mois), ont ainsi été recensés. De nombreuses personnes se sont insurgées contre la présence de la Réserve naturelle marine de la Réunion qui constituerait un « véritable garde-manger » pour les squales.

Les autorités ont depuis décidé d’autoriser une chasse encadrée visant à abattre 20 requins (10 bouledogues et 10 tigres), sous couvert d’une « évaluation ciguatérique », c’est-à-dire la recherche des requins atteints de la ciguatéra. L’objectif étant de déterminer s’il serait possible de commercialiser de la viande issue de ces espèces, pourtant inscrites la liste rouge de l’UICN (statut « quasi menacée  »), comme l’a souligné Shark Angels France dans un communiqué. La présidente de cette association, Florentine Leloup-Meunier, rappelle également que la viande de squale est riche en une neurotoxine (la BMMA) pouvant causer des maladies dégénératives chez l’Homme. La vente de viande de requin semble donc compromise quoi qu’il arrive.

Face à toutes ces informations et polémiques, Futura-Sciences a cherché à en savoir plus auprès de Pascal Deynat, un spécialiste des poissons cartilagineux. Il est le créateur d’Odontobase, un programme dont l’objectif est de recenser les caractéristiques du revêtement cutané des requins et des raies, et l’auteur de plusieurs livres sur ces animaux.

Les attaques mortelles de requins répertoriées dans le monde depuis 2002. Par comparaison, près de 100.000 personnes meurent par an à la suite de morsures occasionnées par des serpents. © Idé

La réserve naturelle n’est pas seule en cause

Futura-Sciences : La fréquence des attaques des requins survenant chaque année à la Réunion semble augmenter ces dernières années, elle aurait été multipliée par deux depuis 1980, sait-on pourquoi ?

Pascal Deynat : La présence des requins au large de la Réunion est connue depuis toujours et des précautions élémentaires sont constamment observées par la population locale. Malgré tout, le développement de nouveaux loisirs et d’une clientèle désireuse d’en « avoir pour son argent » ont parfois induit des comportements à risque, comme pratiquer des activités aquatiques au lever ou au coucher du soleil, périodes où les requins sont les plus actifs. Les concours de surf ouverts annuellement ont drainé sur place un nombre croissant d’estivants, augmentant par là même les probabilités  de rencontres avec des prédateurs marins.

Pourquoi les requins s’attaquent-ils aux surfeurs ?

Pascal Deynat : Selon les statistiques officielles, les surfeurs ne représentent que 8 % des attaques totales dans le monde, bien loin des 34 % sur les nageurs, mais les zones de « spots » qu’affectionnent les surfeurs sont également prisées par les grands requins prédateurs, 31 % des attaques ayant lieu dans les 15 premiers mètres du rivage. Si une source puissante de nourriture les y attire, comme les colonies de phoques en Afrique du Sud, les rejets organiques, les décharges ou les abattoirs, le risque d’attaques sera démultiplié, souvent par confusion avec les proies habituelles. La zone des vagues est particulièrement dangereuse car les eaux turbides provoquent un remaniement continuel des particules en suspension, empêchant le requin de discriminer sa proie.

Les squales sont principalement attirés par l’hémoglobine, la bétaïne ou la triméthylamine, mais en l’absence de tels stimuli olfactifs, ce sont essentiellement les ondes de basses fréquences, assimilées à celles d’un poisson en détresse, qui conditionneront l’attaque et la morsure d’investigation. C’est la raison pour laquelle la majorité des surfeurs sont attaqués alors qu’ils se rendent sur les lieux de la vague en battant des mains et des pieds. À titre indicatif, les blessures se répartissent en 40 % au niveau des mollets et des genoux, 33 % sur les cuisses, 23 % sur les bras, 18 % sur les pieds et 15 % sur les mains.

L'existence de la Réserve naturelle marine de la Réunion est mise en cause, qu’en pensez-vous ?

Pascal Deynat : Contrairement à ce que l’on pense, les océans sont de véritables déserts nutritifs et la majorité de la biomasse marine est concentrée aux alentours du rivage et de la pente continentale.

Dans le cas de la Réunion, la réserve naturelle peut constituer un premier élément d’attrait pour les requins, mais également pour tous les autres prédateurs primaires ou secondaires. À partir du moment où la vie se développe sans nuisance anthropique, les relations entre proies et prédateurs s’effectuent de la même manière qu’elles le feraient sur terre. Les requins, placés au sommet de la chaîne alimentaire en tant que superprédateurs, continuent donc à se nourrir d’une manière ancestrale sans pour autant avoir la volonté d’inscrire de la viande humaine à leur menu.

Les requins tigres, dont le corps est brun-gris et strié par des zébrures verticales, peuvent atteindre 4 m de long et peser jusqu'à 500 kg. Ils seraient responsables d'environ 20 % des attaques fatales. © Willy Volk, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

Est-ce le seul facteur pouvant expliquer la présence des requins dans les eaux concernées ?

Pascal Deynat : La surpêche et la raréfaction de la nourriture constituent également d'autres facteurs à considérer et pourraient inciter les squales à trouver leur pitance en plus grand nombre à proximité des côtes. Ce n’est pas un hasard si les deux espèces que l’on veut incriminer dans ces attaques sont le requin bouledogue Carcharhinus leucas et le requin tigre Galeocerdo cuvier, le requin blanc n’étant pas un familier de la zone. Ces deux espèces s’approchent très près des côtes car il s’agit de prédateurs opportunistes se nourrissant de tout ce qu’ils peuvent capturer.

Les déchets produits par les fermes aquacoles et les rejets organiques à partir de l’île correspondent également à des stimuli importants pour ces superprédateurs. Une ferme aquacole libère dans l’environnement des débris de poissons et d’autres éléments organiques qui sont autant de signaux que l’odorat surdéveloppé des requins détectera à plusieurs kilomètres à la ronde.

L'attirance des requins semble donc due pour une petite part à la réserve marine, mais elle est indubitablement tributaire du rejet des déchets d’origine anthropique à proximité du rivage et pour une part encore plus importante à l’augmentation des activités de surf. Ce facteur entraîne en effet une élévation de la probabilité de rencontres entre requins et surfeurs.

Que pensez-vous des mesures demandées, comme le morcellement de la réserve naturelle, ou prévues, telles que l’abattage de 20 requins ?

Pascal Deynat : Le morcellement de la réserve naturelle ne servira à rien d’autre qu’à satisfaire les surfeurs et acteurs du tourisme local au détriment de la protection de la faune sous-marine qui pourrait bien plus profiter financièrement à l’île par développement de l’écotourisme encadré. Il faut en revanche étudier avec attention les fermes aquacoles et évaluer leurs rejets de manière impartiale sur une longue distance et en fonction des courants, ainsi que raccorder la totalité de l’île au réseau du tout-à-l’égout, avec stations d’épurations obligatoires. Ne pas contrôler les sources de nourriture potentielles et ne pas modifier la manière dont les eaux usées sont rejetées en mer consisterait à sonner la cloche du déjeuner en évoquant la fatalité tout en se voilant la face pendant encore de longues années.

Il faut de même former les acteurs locaux à l’écocivisme et à la responsabilité, éduquer et enseigner la biologie de la faune locale, respecter un milieu dans lequel l’Homme n’a rien à faire et bannir les comportements à risque. Il ne viendrait en effet à l’idée de personne de pratiquer le parapente en survolant un volcan en activité ou de jouer au rugby sur un terrain miné.

Les mesures évoquées par la préfecture concernant l’extraction de 20 spécimens pour « analyse scientifique » sont démagogiques et scientifiquement inutiles. Cette manœuvre ne vise qu’à tenter de prouver que les requins ne sont pas atteints de ciguatéra pour pouvoir les chasser et les consommer, seule possibilité de les massacrer sans tomber dans les protestations des associations écologiques et en recueillant les vivats des surfeurs. La majorité des grands requins étant intoxiqués par les métaux lourds, le mercure, le PCB et les pesticides issus des activités humaines (et bien plus préoccupants pour la santé publique que la seule ciguatéra), ces mesures ne constituent que de la poudre aux yeux. Pourquoi en ces conditions ne pas éradiquer de la zone tous les consommateurs primaires et secondaires qui accumulent eux-mêmes les toxines dans leur organisme et qui sont pourtant consommés régulièrement par la population locale ?
Pour diminuer les risques d'accidents avec des requins, il est conseillé de ne pas pratiquer d'activité dans l'eau à l'aube et au crépuscule, périodes de chasse de ces animaux. De même, il faut éviter de se mettre à l'eau dans les 3 jours qui suivent de fortes pluies si le lieu de l'activité se trouve à proximité d'une embouchure, le temps que l'eau redevienne limpide. © Simon Bonaventure, Flickr, CC by-sa 2.0

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