dimanche 27 avril 2025

L’autosuffisance alimentaire est-elle possible à La Réunion ?


Aperçu d’un article publié dans la revue Regional Environmental Change sous le titre
Billen, G., Garnier, J., Pomet, A., Bonnet, B. (2024) Is food self-sufficiency possible for
Reunion Island?. Reg Environ Change 24, 58 (2024). https://doi.org/10.1007/s10113-024-
02226-3
https://doi.org/10.1007/s10113-024-02226-3
 

Résumé (traduction du résumé de l’article)
Dans un contexte d'instabilité politique croissante, l'autosuffisance alimentaire à l'échelle nationale et
territoriale devient un objectif majeur, largement partagé dans les discours sinon dans les faits, mais en
contradiction totale avec les politiques officielles de ces dernières décennies prônant l'ouverture et la
spécialisation des systèmes agro-alimentaires. La Réunion est un département français (et une région)
très peuplé, isolé au milieu de l'océan Indien, qui exporte sous forme de sucre 87 % de sa production
végétale (en termes de protéines récoltées) et importe 67 % de son approvisionnement alimentaire, 54
% de l'alimentation du bétail et 57 % de tous les apports azotés aux sols agricoles. Globalement, la
fourniture d'une tonne d'azote sous forme de denrées alimentaires à la population nécessite
l'importation de 2,7 tonnes d'azote sous forme d’engrais de synthèse, d'aliments pour animaux et de
nourriture.
Le modèle GRAFS a été appliqué à l'île de la Réunion, en considérant 11 sous-régions pour tenir
compte de la variabilité pédo-climatique. Le modèle démontre que l'action simultanée de trois leviers de changement permettrait d'atteindre l'autosuffisance alimentaire : 

(1) la généralisation des rotations de cultures agro-écologiques alternant légumineuses graines et fourragères, céréales et autres cultures vivrières ; 

(2) la reconnexion des cultures et de l'élevage impliquant un meilleur recyclage du fumier ainsi que des excréments humains ; 

(3) une réduction drastique des aliments d'origine animale dans le régime alimentaire réunionnais, jusqu'à 20 % de produits animaux dans l'apport total de protéines par habitant, au lieu de la part actuelle de près de 60 %. La surface consacrée à la culture de la canne à sucre, perçue comme faisant partie de l’identité réunionnaise, devrait être réduite à 15-25% de la surface actuelle.


Un diagnostic du système agro-alimentaire actuel au prisme des flux d’azote

Il existe beaucoup d’ambiguïté dans l’usage des différents indicateurs d’autosuffisance alimentaire.
L’utilisation pour quantifier les flux qui traversent le système agro-alimentaire dans son ensemble d’une
métrique unique comme l’azote (constituant des protéines et élément limitant principal de la production
agricole) permet un diagnostic précis de la dépendance aux importations de la fourniture de nourriture
à la population (Figure 1). Cette dépendance ne se limite pas à l’importation directe de nourriture (67%
de l’approvisionnement), mais inclus également l’importation de nourriture pour le cheptel (54% de
l’alimentation animale) et d’engrais de synthèse (57% du total des apports fertilisants). Au total 2.7
tonnes d’azote sont nécessaire pour fournir 1 tonne d’azote protéique à la population, bien loin de
l’autonomie.

Fig. 1 a. Représentation des flux d’azote à travers le système agro-alimentaire Réunionnais en 2018-
2019. Les chiffres sont la somme des résultats d’une analyse réalisée à l’échelle des 11 régions
figurées en b.
b. Distribution de la surface agricole dans les 11 sous-régions considérées dans l’analyse.
 

Les leviers du changement

Trois leviers principaux peuvent être actionnés pour tendre vers l’autonomie du système agro-
alimentaire vis-à-vis des importations d’engrais de synthèse et d’aliments pour bétail :
La généralisation des systèmes de cultures alternatifs, impliquant des rotations avec ou sans canne
à sucre, qui laissent place à des légumineuses, telles que décrites et caractérisées par une littérature
agronomique parfois ancienne, et dont les performances, à niveau de fertilisation identique, sont
équivalentes à celles des monocultures actuellement dominantes.
La reconnexion de l’élevage avec les productions fourragères locales, c’est-à-dire, l’herbe et les
légumineuses fourragères, pour les ruminants, et les grains et céréales en excédant des besoins
humains, de même que les déchets de la consommation alimentaire humaine, pour les monogastriques.
Un régime alimentaire moins riche en protéines animales que le régime actuel dont la part de
protéines animales représente près de 60% de la consommation de protéines, bien au-delà des
recommandations de santé publique.

Une gamme de scénarios actionnant ces trois leviers

Le modèle montre que l’autonomie alimentaire complète (absence totale de dépendance aux
importations) est possible avec l’application des deux premiers leviers et pour un régime alimentaire
comportant moins de 20% de produits animaux dans le régime alimentaire humain


Figure 2. Scénarios d'autosuffisance alimentaire de la Réunion à différents niveaux de consommation
d'aliments d'origine animale et deux niveaux d’intensité des cultures arables en rotation. a. Composition
du régime alimentaire. b. Importation (ou exportation lorsqu'elle est négative) de produits d'origine
animale nécessaire pour satisfaire la consommation humaine domestique. c. Niveau maximum de
production de sucre possible après satisfaction des besoins humains en aliments d'origine végétale.
A noter que dans tous les scénarios explorés, une certaine production de canne à sucre reste possible
à un niveau représentant entre 15 et 25% du niveau actuel.
La figure 3, à comparer avec la figure 1a, montre les flux d’azote à travers le système agro-alimentaire
dans le scénario à 18% de protéines animales dans le régime alimentaire, et l’usage du sol
correspondant.


Fig. 3 a. Représentation des flux d’azote à travers le système agro-alimentaire Réunionnais en 2050
dans le scénario à 18% de protéines animales dans a consommation humaine totale de protéines.
b. Distribution de la surface agricole dans les 11 sous-régions considérées dans l’analyse.
 

La réduction du niveau de protéines animales dans le régime alimentaire en dessous de 20% peut
sembler une contrainte très sévère. Les scénarios établis selon les mêmes principes à l’échelle des
régions européennes (Billen et al., 2021, 2024) prônent une proportion de protéines animales de 30%
dans le total de la consommation humaine (régime dit demitarien, NiNE, 2011). A La Réunion, un tel
régime à 30% de protéines animales ne nécessiterait, pour couvrir tous les besoins alimentaires de
l’ile, que l’importation annuelle de 520 tonnesN de produits animaux (contre 1340 tonnesN/an
aujourd’hui) ; l’autonomie alimentaire serait alors déjà proche de 90%.

L’auto-suffisance alimentaire est un objectif difficile à atteindre à La Réunion en raison de l’exiguïté de
l’Ile qui n’offre que 460 m² (soit 0.046 ha) de terres cultivables par habitant (contre 4100 m²/habitant,
soit 0.41 ha/habitant, presque dix fois plus, en France métropolitaine). Notre étude montre cependant
que cet objectif peut être atteint, mais requiert des changements structurels majeurs à tous les niveaux
du système agro-alimentaire.

Références
Billen G, Aguilera E, Einarsson R, Garnier J, Gingrich S, Grizzetti B, Lassaletta L, Le Noë L, Sanz-Cobena A (2021) Reshaping the European agro-food system and closing its nitrogen cycle: the potential of combining dietary change, agroecology, and circularity One Earth 4: 839-850.  https://doi.org/10.1016/j.oneear.2021.05.008

Billen G, Aguilera E, Einarsson R, Garnier J, Gingrich S, Grizzetti B, Lassaletta L, Le Noë, J, Sanz-Cobena A. (2024) Beyond the Farm to Fork Strategy: methodology for designing a European agro-ecological future. STOTEN (under review)

NinE (2011). Barsac Declaration, ESF NinE project ,
http://www.nine-esf.org/files/Barsac%20Declaration%20V5.pdf)

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