Coup de pied dans l’ordre établi
Dans les années 1970, le monde occidental a soudainement (re)découvert que les sports de combat ne se limitaient pas à la boxe avec les poings. Il faut rendre hommage à un petit Sino-américain : l’acteur de cinéma Bruce Lee. Grâce à ses films très réalistes (Big Boss, 1971 ; La fureur de vaincre, 1972, La fureur du dragon, 1972 ; Opération dragon, 1973 ; Le jeu de la mort, 1973) et à son ouverture d’esprit (prendre ce qu’il y a de meilleur dans chaque art martial), il démontra que les coups de pieds et certaines saisies ou blocages pouvaient être plus efficaces que les seuls coups de poings.
Paradoxalement, cette démonstration spectaculaire ne profita pas directement au wing chun (son art martial de base) ni aux wushu en général (les arts martiaux chinois) mais plutôt au karaté (japonais) et au taekwondo (coréen) qui organisèrent respectivement leurs premiers championnats du monde dès 1970 (WKF) et 1973 (WTF) puis furent tous deux admis aux Jeux Mondiaux en 1981 ; le taekwondo devenant même sport officiel des Jeux Olympiques en 2000. Dans leur sillage, de nombreuses boxes pieds-poings se développèrent internationalement : full-contact karaté, boxe française savate, kick-boxing, muay thaï, etc. Finalement, un tournoi annuel rassemblant les meilleurs poids lourds de toutes ces disciplines, le K1 Grand Prix, fut créé en 1993 par Kazuyoshi Ishii, un maître de karatéka et homme d’affaire japonais.
Les combats qu’on y voit ne sont pas sans rappeler ceux d’ "ano pankration" de l’Antiquité. Cette variante du pankration (pancrace) était utilisée dans les tours préliminaires des grandes compétitions de pancrace. Il s’agissait d’une forme sans combat au sol : toute la gamme des percussions et des projections était utilisée mais sans poursuite du combat au sol. Le pancrace complet était pour sa part appelé "kato pankration" et on l’utilisait dans les phases finales des tournois.
Combat en 3D
La redécouverte progressive des techniques « oubliées » ne se limita pas aux coups de pieds. Les trois dimensions du combat (frappes à distance, lutte au corps-à-corps, combat au sol) ressurgirent dans plusieurs disciplines. Du mélange sport de préhension et sport de percussion allait bientôt naître l’expression arts martiaux mixtes.
L’Union Soviétique développa son propre art martial mixte, le sambo, en combinant plus d’une vingtaine des luttes traditionnelles de son immense territoire. Dans la version sambo sportif, on trouve des projections et la lutte au sol (notamment les clés articulaires sur les jambes) et dans la version sambo combat, les frappes pieds-poings s’ajoutent à la panoplie.
En 1977, le ju-jitsu sportif fut structuré par quelques pays européens qui réunirent les atemi-waza (frappes), les nage-waza (projections) et les ne-waza (techniques au sol) qui étaient, à l’époque féodale, les trois parties indissociables des techniques à mains nues des samouraïs japonais.
Ces deux sports organisèrent leurs premiers championnats du monde, respectivement : en 1973 et 1994 puis furent admis aux Jeux Mondiaux en 1985 et 1997.
Mais ces deux exemples ne sont pas les seuls de l’engouement pour des arts martiaux de plus en plus complets, de plus en plus proches du combat réel à mains nues (à finalité militaire ou sportive). En voici d’autres, la liste n’étant bien sûr pas exhaustive.
Au Japon, la volonté de revenir à la (dure) réalité des sports de combat conduisit certains pratiquants de puroresu (catch) à quitter le système des matchs arrangés/chorégraphiés (appelés « work ») pour des oppositions réelles (appelées « shoot »). L’un de ceux à avoir le mieux réussi cette reconversion est Satoru Sayama, élève de Karl Gotch et Antonio Inoki, qui fonda le shooto en 1985 (sans doute inspiré par le célèbre combat du catcheur Inoki contre le boxeur Mohamed Ali en 1976). Sayama organisa son premier événement amateur en 1986, professionnel en 1989 puis le Vale Tudo Japan en 1994 (remporté par Rickson Gracie).
Le Français Régis Renault, pratiquant de vajra mushti indien, découvrit de nombreuses similitudes entre les arts martiaux du subcontinent et l’ancien pancrace des Grecs. Après une recherche historique, il codifia le paradosimos pankration (pancrace traditionnel) en 1990 et organisa les premières compétitions qui continuent de nos jours essentiellement au Portugal, sous la direction de son plus proche élève Francisco Policarpo.
Au début des années 1990, en France, Christian et Michèle Ribert, d'anciens pratiquants de shorinji kempo, créèrent la lutte contact (en synthétisant les gammes techniques des boxes pieds-poings et du judo) et organisèrent le Golden Trophy en 1994. André Panza (champion charismatique de boxe française et expert de judo) en fut le directeur technique national. Momentanément affiliée à la Fédération Française de Lutte, l’Union Française de Lutte Contact est désormais sous l’égide de la FFSCDA depuis 2009.
Explosion médiatique
La révolution ne viendra pourtant pas de tous ces styles complets déjà codifiés et peut-être trop académiques pour un public avide de sensations fortes. Elle sera l’effet secondaire d’une opération publicitaire destinée initialement à promouvoir les écoles de jiu-jitsu appartenant à la famille brésilienne Gracie.
Pour prouver l’efficacité des techniques au sol (ne-waza en japonais), les Gracie avaient l’habitude de défier d’autres écoles (karaté, capoeira, boxe, …) dans leur pays d’origine le Brésil. Désireux de faire fortune aux États-Unis, ils imaginèrent (avec l’aide du cinéaste John Milius, réalisateur de Conan le Barbare, et de l’homme d’affaire Art Davie) un nouveau type de compétition : l’Ultimate Fighting Championship. La première édition eut lieu en novembre 1993. Le principe est simple : une cage octogonale, des compétiteurs sortis de nulle part, avec des palmarès difficilement vérifiables, face à un représentant de la famille Gracie bien rodé à ce type de défi sans règle. Résultat : des oppositions de styles ultra-violentes et au beau milieu de tout cela, un magnifique combattant maîtrisant parfaitement le sol et obligeant tous ses adversaires à l’abandon sans avoir lui-même reçu la moindre égratignure. Stupeur dans le monde entier. Opération publicitaire réussie pour le jiu-jitsu brésilien. Mais aussi, indirectement, renaissance du concept de « pancrace » désormais appelé « arts martiaux mixtes » (mixed martial arts, ou MMA, en anglais).
Les Gracie désertèrent cette compétition deux ans plus tard et l’UFC faillit disparaître car, malgré l’enthousiasme du grand public, les politiques exigèrent que ces compétitions soient mieux encadrées, pour la santé des pratiquants, qu’elles respectent des catégories de poids, que les combats soient découpés en reprises de 5 minutes, etc. Après un détour de quelques années par le Japon (avec le Pride Fighting Championship), les arts martiaux mixtes revinrent aux États-Unis et détrônent aujourd’hui tous les autres sports sur les chaînes de télévision payantes.
Jérôme Sanchez
samedi 19 novembre 2011
L’émergence des « arts martiaux mixtes » dans le monde et à la Réunion (2/4)
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