samedi 14 août 2010

Quand les lutteurs traditionnels s'essaient à d'autres styles que le leur

Le 17 décembre 1995, le Tókyó's Ryógoku Kokugikan accueillait les 4èmes championnats du monde de sumo amateur. Trois catégories de poids permettaient aux lutteurs de "moins de 85kg" (poids légers), "moins de 115kg" (poids moyens) ou "plus de 115kg" (poids lourds) de se mesurer. Enfin, un quatrième tournoi permettait aux meilleurs de s'affronter en "toutes catégories" pour déterminer le champion suprême.

Cette année-là, c'est l'énorme Etatsunien Emmanuel Yarborough (2m04, 272kg) qui s'imposa face au représentant du pays hôte, le Japonais Tajichi Goto. Mais là n'est pas mon propos.

Ce qui est à noter, c'est qu'à l'occasion de cette compétition de sumo, les deux plus grands champions contemporains de luttes traditionnelles mongole, d'une part, et turque, d'autre part, se sont croisés : Badmaanyambuu Bat-Erdene et Ahmet Tasçi.

Le Mongol Bat-Erdene (1m92, 120kg) est le plus grand champion de tous les temps du Naadam avec 11 titres glanés entre 1988 et 1999. Il fut également un judoka de niveau international dans les années 1990 avec deux fois la place de vice-champion d'Asie "lourds" et "toutes catégories". En sumo amateur, il a concourru en "toutes catégories" : vice-champion du monde 1993 et champion du monde 1994. C'est donc en tenant du titre qu'il s'est présenté à l'édition 1995 où il monta une fois de plus sur le podium : obtenant le bronze cette fois.

Badmaanyambuu Bat-Erdene

Le Turc Ahmet Tasci (1m75, 95 à 105kg) est l'un des quatre lutteurs les plus titrés de l'histoire du Kirkpinar, la célèbre compétition de lutte à l'huile organisée depuis le XIVème siècle; à l'époque, sous l'autorité de l'Empire Ottoman. C'est le plus titré de l'époque contemporaine (depuis 1924 et la fondation de la République Turque). Il a obtenu 9 titres entre 1990 et 2000. Aux championnats du monde de sumo 1995, il a concourru chez "poids moyens" c'est-à-dire chez les moins de 115kg et y a obtenu la médaille de bronze (comme Bat-Erdene en "toutes catégories") derrière le Russe Yevgeni Sleptsov (argent) et le Japonais Ryuji Kumagia (en or pour la deuxième fois consécutive).

Ahmet Tasçi

La présence de ces deux champions au plus haut niveau mondial dans une discipline qui n'est pas leur spécialité montre leur valeur intrinsèque. Elle fait écho à d'autres, par exemple les lutteurs islandais Jóhannes Jósefsson et Sigurjón Pétursson, champions "toutes catégories" de glima, qui figurèrent eux aussi parmi les 4 ou 5 meilleurs mondiaux lors des Jeux Olympiques de 1908 et 1912.

On peut en déduire que si leur pays avait été économiquement et/ou militairement le plus puissant au monde de leur vivant (à l'image de l'Angleterre ou de la France à la fin du XIXème siècle, ou des Etats-Unis au XXème siècle), leur style de lutte, leur sport national, se serait imposé sur le plan international. En grands spécialistes de leur discipline traditionnelle, c'est Bat-Erdene et Ahmet Tasçi qui auraient été considérés comme les meilleurs lutteurs du monde. Ils n'auraient pas eu à s'essayer à d'autres styles.

En prolongeant l'analogie avec les pratiquants de glima, on peut imaginer que si les Vikings avaient continué à organiser leurs populaires compétitions de lutte sur l'île de Bren (comme ce fut le cas jadis), avec une régularité digne des Tailteann Games (des Celtes) ou des Jeux Olympiques (des Grecs et des Romains), leurs champions seraient probablement au panthéon des lutteurs aux côtés des Milon de Crotone et Gaddar Kel Aliço, à commencer par Ármann J. Lárusson, 15 fois champion "toutes catégories" de glima entre 1952 et 1967.

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