Depuis son entrée au
gouvernement, le ministre de l'Economie multiplie les sorties témoignant
de sa méconnaissance, voire de son mépris, des classes populaires.
Retour sur cinq déclarations polémiques.
Emmanuel Macron souffre-t-il de
mépris de classe chronique ? Vendredi 27 mai, à Lunel, le ministre de
l'Economie a, une nouvelle fois, distingué deux France
: celle qui "bloque le pays" en tee-shirt, et celle qui travaille en
costard. Depuis son entrée au gouvernement, l'ex-banquier de Rotschild
ne cesse de proférer des jugements à l'emporte–pièce sur les classes
populaires. Une rhétorique désapprouvée par la gauche et raillée par la
droite. Florilège des sorties les plus polémiques du locataire de Bercy.
# Tee-shirt vs costume
Lors
d'un déplacement à Lunel, dans l'Hérault, où il se rendait vendredi
pour visiter une école du numérique, Emmanuel Macron a eu un échange vif avec deux grévistes cégétistes :
"Vous
n'allez pas me faire peur avec votre Tee-shirt. La meilleure façon de
se payer un costard, c'est de travailler."
Ce à quoi l'un des hommes, indigné, a répliqué : "Depuis l'âge de 16 ans, je travaille, Monsieur."
Sur
Twitter, les internautes ont moqué le mépris du locataire de Bercy,
comparant sa sortie au "Casse-toi pov' con" de Nicolas Sarkozy ou au "Si
tu n'as pas de Rolex à 50 ans, t'as raté ta vie" de Jacques Séguéla.
# Les entrepreneurs ont la vie dure
Le 20 janvier dernier, alors qu'il était invité sur le plateau de BFMTV pour défendre le nouveau plan d'urgence contre le chômage annoncé par François Hollande, le ministre a eu ces mots :
"Bien
souvent, la vie d'un entrepreneur est bien plus dure que celle d'un
salarié, il ne faut pas l'oublier. Il peut tout perdre, lui, et il a
moins de garanties. "
Le
ministre de l'Economie a ensuite plaidé en faveur d'un assouplissement
du marché du Travail, et notamment des procédures de licenciement :
"Qu'est-ce qui bloque tout ? L'absence de visibilité. L'entrepreneur se
dit ‘est-ce-que j'ai le droit de me tromper ? Est-ce que si ça va mal
demain, je pourrai m'adapter'. C'est cette visibilité qu'il faut leur
donner."
# Ces jeunes qui "rêvent de devenir milliardaires"
Lors de sa visite au Consumer Electronic Show, le salon high-tech de Las Vegas, le 7 janvier 2015, Emmanuel Macron déclare dans une interview au quotidien "Les Echos" :
"L'économie du Net est une économie de superstars. Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires."
Des propos assumés par le ministre qui en avait précisé le sens
sur Europe 1 quelques semaines plus tard : "Qu'est-ce que je voulais
dire par là ? C'est que la volonté de réussir à tout prix, et de réussir
formidablement, c'est une des forces de la jeunesse, et que nous ne
redresserons pas l'économie de notre pays si nous considérons que
réussir, c'est une mauvaise chose."
# Ces "pauvres" qui prennent l'autocar
En
présentant son projet de développement du transport en autocar le 15
octobre 2014, le ministre de l'Economie a avancé que cette mesure
pourrait "bénéficier aux pauvres qui voyageront plus facilement".
"Pour
qui cette réforme est-elle bonne ? Elle est bonne pour ceux qui ne
peuvent pas se déplacer dans les transports en commun parce que le train
est trop cher. Donc quand on me dit, 'les pauvres voyageront en
autocar', j'ai tendance à penser que c'est une caricature, mais les
pauvres qui ne peuvent pas voyager voyageront plus facilement [...]
parce que l'autocar c'est 8 à 10 fois moins cher."
Ces propos avaient engendré des commentaires hilares de l'opposition sur les réseaux sociaux :
«Une taxe sur les transactions financières pourrait remplacer tous les impôts actuels»
Dans son dernier ouvrage*, Marc Chesney dresse un parallèle entre la
Première Guerre mondiale et la crise financière de 2008. Pour le
professeur de finance de l’Université de Zurich, une société civilisée
vacille dans les deux cas. Aujourd’hui, une aristocratie financière a
pris le pouvoir au détriment du reste de la population, dénonce-t-il,
tout en proposant des solutions. Entretien.
Le Temps: Vous comparez la crise financière et la Première Guerre mondiale, n’est-ce pas exagéré?
Marc Chesney: Il
s’agit uniquement de comparer l’Europe de 1914 à celle d’aujourd’hui. A
l’époque, une société civilisée a subitement basculé dans la barbarie.
Actuellement, la société vacille sur elle-même, tremble sur ses
fondations, confrontée qu’elle est à une crise d’une grande ampleur, une
crise aux dimensions non seulement financières, mais aussi économiques,
sociales, politiques et environnementales. Une aristocratie financière a
pris le pouvoir. Elle se drape dans les habits du libéralisme, mais sa
pratique quotidienne contredit souvent les principes de base. Cette
aristocratie arrive à imposer sa politique et ses intérêts. Ceux-ci ont
provoqué la crise et nuisent aux perspectives d’amélioration. Si les
dégâts causés par la crise sont d’une autre nature que ceux de la Grande
Guerre, ils sont néanmoins dévastateurs.
Le nombre de chômeurs dans le monde a augmenté d’environ 60 millions par
rapport à 2007. Dans de nombreux pays européens, des pans entiers de la
population perdent espoir, perspectives et repères. Ils sont confrontés
à une situation difficile dont l’issue semble incertaine. Les
frémissements de croissance sont une illusion car les véritables
problèmes n’ont pas été résolus.
– Vous le dites, la croissance frémit. N’est-ce pas le signe que nous sortons finalement de la crise?
– La chute des prix du pétrole explique principalement ces frémissements
de croissance. Mais les problèmes de fond demeurent: au niveau
international le chômage et le sous-emploi sont énormes, les
particuliers et les entreprises subissent des niveaux d’imposition bien
trop élevés alors que les grandes banques sont sous-imposées. Quant à la
politique de la Banque centrale européenne (BCE), qui consiste à
maintenir un taux d’intérêt très faible et à inonder les marchés
financiers de liquidité, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Ces
liquidités, au lieu d’être investies dans l’économie, stagnent le plus
souvent dans le secteur financier et contribuent au développement de la
finance casino.
–
Pourtant, des mesures ont été prises depuis la crise, notamment pour
renforcer l’assise financière des banques pour éviter que les Etats ne
doivent se porter à leur secours…
– En apparence effectivement. En réalité les lobbys sont à l’œuvre pour
soit vider de leur contenu les projets de réformes, soit les
complexifier de manière démesurée. En dernière instance, c’est le
contribuable, sans parler du client, de l’employé et de l’actionnaire,
qui le cas échéant s’acquitte de la facture laissée par les banques
systémiques. Cette situation contredit un des principes de base du
libéralisme, en l’occurrence que ceux qui prennent des risques se
doivent de les assumer. Les banques systémiques sont incitées à prendre
des risques et ce, aux dépens de la société.
–
Vous êtes partisan d’une taxe sur les transactions financières, mais
qui n’a rien à voir avec la taxe Tobin. Pouvez-vous en dire plus?
– Il s’agirait, comme le propose le financier zurichois Felix Bolliger,
de taxer tous les paiements électroniques, comme les factures de
restaurant… et pas seulement les achats d’actions ou d’obligations. En
Suisse ces paiements sont de l’ordre de 100 000 milliards de francs par
an. C’est énorme. Il s’agit d’environ 160 fois le PIB du pays.
Il suffirait de prendre 0,2% sur chaque transaction pour obtenir
200 milliards, soit davantage que l’ensemble des impôts perçus en
suisse, qui est de l’ordre de 170 milliards. Une telle taxe, si elle
était introduite, pourrait théoriquement remplacer tous les impôts
actuels et permettrait de simplifier le système fiscal. Cela pourrait
délester l’économie d’activités qui lui sont néfastes comme le trading à
haute fréquence.
– Certaines transactions ne se déplaceraient-elles pas simplement ailleurs, où aucune taxe n’est perçue?
– Oui, la Suisse risquerait de perdre certaines activités. Lesquelles?
Les activités de négoce à haute fréquence par exemple? Elle peut
certainement se passer des transactions sur actions exécutées en
quelques microsecondes, c’est-à-dire d’activités de la finance casino.
Et elle en gagnera par ailleurs, parce que les entreprises, tout comme
le contribuable, bénéficieraient dans ce cas d’une véritable baisse des
impôts qui leur permettrait d’investir et de créer des emplois.
– Une telle proposition pourrait-elle vraiment être mise en œuvre?
– Nous avons besoin – la Suisse, mais en général l’Europe aussi – de
politiciens qui prennent leurs responsabilités et s’émancipent des
lobbys de cette aristocratie financière. La société se doit aussi de
comprendre les enjeux, même si, il est vrai, un certain jargon est
favorisé pour rendre le tout très opaque. Des termes comme hors-bilan,
trading à haute fréquence, darks pools sont souvent utilisés, mais qui
comprend vraiment ces termes? Cette complexité permet à un secteur
composé de «spécialistes» – l’aristocratie financière – de détenir le
pouvoir aux dépens de la démocratie.
–
Ne noircissez-vous pas quelque peu le tableau? Si l’on prend UBS, la
banque a beaucoup changé depuis son sauvetage en 2008. Elle a augmenté
ses fonds propres et considérablement réduit ses activités de banque
d’affaires par exemple.
– Tant mieux. Mais regardez les bonus, les politiques de rémunération
n’ont pas vraiment changé. A Credit Suisse, le directeur général sortant
Brady Dougan a perçu approximativement 160 millions de francs durant
son mandat, alors que pendant la même période le cours de bourse de
celle-ci s’est effondré d’environ 75%. Par ailleurs, la banque a dû
s’acquitter en 2014 d’une amende record de 2,8 milliards de dollars pour
avoir incité des contribuables américains à échapper au fisc. Du point
de vue économique aussi, ces rémunérations sont tout simplement
injustifiables. Certains actionnaires réagissent, mais ils sont une
minorité. Que font les autres?
– La question portait sur UBS…
–
Parlons-en! Ces dernières années, elle a été confrontée à une série de
scandales. Après les manipulations des taux Libor et des changes, l’aide
à l’évasion fiscale, quel sera le prochain? La situation requiert un
travail en profondeur. Le monde académique porte aussi sa part de
responsabilité. Comparés aux programmes de cours datant d’avant la
crise, les programmes actuels en finance n’ont pas suffisamment été
modifiés. Dans les cours de finance, la question des prix des actifs est
au premier plan, or c’est des valeurs de notre société qu’il faudrait
parler. Actuellement, elles sont purement financières, le problème étant
précisément que les valeurs d’une société démocratique et civilisée ne
sauraient être purement financières.
Marc Chesney «De la Grande Guerre à la crise permanente», Presses polytechniques universitaires romandes, avril 2015.