mardi 19 mai 2015

Paul, écoute enfin !

Gramoune depuis quelques années, je prends la respectueuse liberté de te tutoyer, compte tenu du fait que l'âge aidant, il est plus facile de se dire la vérité, sachant que toi et moi, nous n'emporterons rien dans cet au-delà qui nous attend, de préférence (et tu seras probablement d'accord avec moi) le plus tard possible !
Paul, tu as été un homme important de l'après-guerre, un personnage révolutionnaire puis politique qui a beaucoup apporté à son île. De bonnes analyses, des idées à revendre, des projets en direction de tous les secteurs de la vie économique et sociale, des combats contre les inégalités et pour la revalorisation de l'identité créole, tu as vraiment été un visionnaire quant à ce que pouvait devenir la Réunion. Le pouvoir entre les mains, une réelle connaissance du monde politique parisien, du chantage à bon escient et un certain culot t'ont alors permis de jeter les bases d'une départementalisation réussie.
Les enfants ont grandi, le bien-être s'est propagé un peu partout dans l'île : les centres commerciaux n'ont jamais été aussi pleins, des voitures neuves appartenant à des Réunionnais de souche occupant les parkings, des caddies remplis à ras bord, faut voir les vendredis soirs, les samedis et les dimanches matins pour bien comprendre que, quelque part, chez nous, les « choses » ont changé. Pas forcément en mieux lorsque la consommation dépasse l'assimilation, transformant 30% de la population en individus obèses ; mais là, il s'agit d'un problème propre aux pays riches comme les USA, la France ou encore l'Allemagne.
Cet état de fait, le PCR ne l'a pas vu venir, se centrant toujours sur les vieilles analyses du « maître » que tu as été et que tu continues à être. Pourtant, comme beaucoup de jeunes Réunionnais, tes enfants ont « réussi », à l'image de fils ou filles d'enseignants qui deviennent enseignants, des fils de médecins ou d'avocats qui rentrent dans la profession de leurs parents et des fils de politiques qui s'engagent dans ce métier le plus « naturellement » du monde. À partir de là, persuadé que l'histoire se renouvelle sans cesse, tu en appelles aux différentes crises qui ont façonné notre époque dite moderne : celle de 1929, celle de 1956, de 1968…
Convaincu que les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Or le monde évolue, les sociétés évoluent, les mentalités évoluent, l'économie et les échanges commerciaux évoluent et la Réunion se recroqueville sur sa filière canne, sur ses 40% de simulacro-chômage, sur son assistanat et ses subventions métropo-européennes ainsi que sur sa dimension culturo-identitaire, quitte à mettre en avant, par exemple, un Moringue totalement inventé pour satisfaire le bas peuple prêt à croire, comme dans les lieux de cultes, les légendes lontan.
Nous voilà vieux mon frère et n'étant ni l'un ni l'autre irremplaçable, la relève s'avère nécessaire pour que notre île profite au mieux de ses propres compétences, de cette jeunesse formée dans nos écoles de la République. Formée comment ? Là se situe le problème. Si c'est pour singer la métropole en voulant à tout prix s'acheter les derniers « Converses », le dernier Ipad, le dernier turbo pour faire du « pousse » ; si c'est pour s'ivrogner, pour faire un marmaille en passant, pour tout attendre des services sociaux de la mairie ; si c'est pour recoloniser Madagascar, pour s'accrocher à un patrimoine culturel inventé, pour revaloriser une filière en perte de vitesse...
Alors, autant passer la main une fois pour toutes, car le Réunionnais de 1950 n'a plus rien à voir avec celui de 2015, tu t'en doutes. Par contre, cibler le ou la jeune personne qui saura analyser la situation actuelle de notre île, dans le concert socio-économico-indiaocéanique, européen et international, voilà un défi à ta portée.
Voilà un défi que tu aurais pu relever depuis fort longtemps plutôt que de t'appuyer sur un parti politique transformé en oligarchie, attitude te faisant malheureusement passer pour un despote privilégiant un comportement dynastique. Avec le temps, ton image a été écornée, écorchée. [...]
À 90 ans, tout est encore possible. Mais pas ce que tu crois aujourd'hui. Ouvre les yeux une dernière fois en sortant de tes analyses du passé pour « visionner » la Réunion de très haut, quitte à te hisser au sommet du piton des Neiges. Et tu comprendras …

« Gramounement » à toi.
Lambi

Source:  http://www.clicanoo.re/474638-paul-ecoute-enfin.html

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