Un trou noir est un objet céleste fascinant, probablement parce qu'il touche aux limites de notre imagination. Allons-y quand même et imaginons ce concentré de matière qui crée un champ gravitationnel si intense que tout ce qui a le malheur de pénétrer dans son domaine réservé, au-delà de ce que les cosmologistes appellent poétiquement "l'horizon des événements", n'en peut plus ressortir. Rien, ni matière, ni lumière – ce qui explique le "noir" de l'expression. Un trou noir en lui-même est donc déjà une bête impressionnante. Mais quand la bête est géante, comme les trous noirs que l'on retrouve fréquemment au centre des galaxies, on peut parler de monstre du cosmos. Il s'agit d'objets incroyablement massifs qui vont de plusieurs millions à plusieurs milliards de fois la masse du Soleil !
C'est à un de ces monstres qu'est indirectement consacrée une étude internationale qui vient de paraître dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Ses auteurs travaillent avec le All Sky Automatic Survey for Supernovae (ASAS-SN), un petit réseau de télescopes assez modestes, qui présente néanmoins l'avantage de pouvoir surveiller le ciel entier (et non pas de minuscules portions du firmament comme c'est souvent le cas avec les instruments vedettes de l'astronomie) au jour le jour pour un coût très raisonnable. L'objectif premier d'ASAS-SN est de donner rapidement l'alerte sur toutes les supernovae – explosions d'étoiles massives en fin de vie – du voisinage mais aussi sur d'autres événements brillants et passagers comme par exemple des éruptions stellaires extrêmes.
Lorsque, le 25 janvier dernier, les télescopes d'ASAS-SN installés à Hawaï détectent une sorte de flash, quelque part dans la constellation de la Grande Ourse, les chercheurs pensent tout d'abord avoir affaire à une supernova. Ils obtiennent que des télescopes plus "costauds" se tournent vers la chose pour collecter le maximum d'observations. Avec ces informations, les chercheurs doivent se rendre à l'évidence : cela n'a pas l'air d'une supernova... La lumière recueillie provient de très loin, du centre d'une galaxie située à près de 650 millions d'années-lumière de nous, une galaxie spirale affublée du numéro SDSS J110840.11+340552.2. Si ce n'est pas une supernova, qu'est-ce ?
L'étude de la source lumineuse et de son évolution dans le temps raconte une autre histoire, celle d'une étoile qui, entre guillemets, a joué avec le feu et a eu la chance de ne pas y succomber. Disons-le d'emblée, les astronomes n'ont pas vu cette étoile mais ils ont pu, comme Sherlock Holmes reconstruire une scène entière à partir des rares indices qu'il a découverts, reconstituer l'histoire d'une rencontre à hauts risques entre cet astre et le trou noir géant trônant au centre de cette galaxie lointaine.
Souvent présentés comme des ogres, ces trous noirs passent cependant le plus clair de leur temps à jeûner et à se contenter de miettes : un peu comme des araignées au centre de leur toile, ils attendent que des étoiles aventureuses pénètrent dans leur zone d'influence gravitationnelle et, si l'on en croit, l'un des auteurs de l'étude, Christopher Kochanek (Ohio State University) cela n'arrive en général que tous les 10 000 à 100 000 ans... Mais lorsque cela se produit, la scène est dantesque : si la trajectoire d'une étoile la fait passer trop près d'un trou noir massif, les forces de marée que celui-ci exerce sur la sphère de gaz deviennent si importantes qu'elles l'emportent sur la cohésion de l'étoile. Celle-ci est littéralement écartelée, arrachée à elle-même. Elle part en lambeaux, lesquels, en tombant dans le trou noir, s'échauffent et se mettent à briller de tous leurs feux.
Dans le cas en question, l'étoile n'a pas été éparpillée par petits bouts, façon puzzle, pour reprendre l'expression d'un dynamiteur de cinéma. Elle est passée assez près du trou noir pour que celui-ci la happe mais il n'a pu ferrer sa prise. Tout comme un voleur échappe à l'arrestation en laissant sa veste entre les mains d'un policier qui s'est saisi de lui, l'étoile a perdu un peu d'elle-même mais s'en est tirée. Les astronomes estiment que la matière arrachée correspond à un millième de la masse solaire, soit environ la masse de la planète géante qu'est Jupiter – laquelle fait un peu moins de 2 millions de milliards de milliards de tonnes, si ce chiffre immense peut encore avoir une signification. La lumière observée par ASAS-SN correspondait à l'échauffement de cette matière avant qu'elle ne franchisse l'horizon des événements. Les auteurs de cette étude sont désormais curieux de connaître la fréquence de ce type de péripéties – dont on ne connaît pour l'heure que peu d'exemples – afin d'évaluer leur rôle dans la croissance des trous noirs géants. On a déjà une idée de l'importance des plats de résistance (les étoiles entières) dans leur régime, il ne reste plus qu'à savoir sur quel rythme ils ingurgitent biscuits apéritifs et cacahuètes...
Pierre Barthélémy
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