C’est quand la nuit est la plus noire que l’aube revient. C’est à Noël, alors que les nuits sont les plus longues (dans l’hémisphère nord) que l’on voit les jours s’allonger. Les croyants sont alors dans la ferveur, pleins d’espoir, la lumière, promesse d’abondance, revient. Mais cette veillée de Noël 2023 pourrait sembler avoir fait exception tant est sombre la mortelle chape de plomb qui s’abat sur Gaza et qui a déjà fait plus de 10.000 victimes chez les seuls enfants. Comment alors garder espoir en la venue de l’aube, comment garder espoir en un retour de la paix ? Ne semblerait-il pas que les premières trompettes de l’Apocalypse se font entendre au loin ? Comment entretenir cette grâce qu’est l’espérance en même temps qu’il faut raisonnablement renoncer à toute forme d’optimisme ?
Car il ne faut pas se raconter d’histoires. Lorsque le maître de cérémonie, l’Hégémon étasunien, oppose son veto à une résolution de l’ONU appelant à un cessez-le feu immédiat, les portes de l’enfer sont officiellement ouvertes et elles n’ont pas vocation à se refermer. Même s’il semble que nous y soyons déjà, le pire est dorénavant à craindre car outre que nous fonçons droit dessus, rien ne semble pouvoir nous détourner de cette pente fatale. Qu’est-ce qui pourrait arrêter la surpuissante machine de guerre sioniste ? Tout porte à penser qu’Israël ira au bout du génocide palestinien. Le projet n’est-il pas Eretz Israël ? N’est-il pas annoncé depuis toujours ? On ne voit pas trop, dorénavant, ce qui pourrait y faire obstacle.
Les opinions publiques, les intellectuels, les médias, les politiciens, les institutions, les organisations occidentales n’y pourront rien changer. Car la plupart sont paralysés, sous l’effet du fameux rayon évoqué par Jean-Luc Mélenchon. Et avec ce dernier, on a un bon exemple de ce qu’il advient aux rares qui font exception : ils se font lyncher ! Ainsi, alors même que l’horreur voire l’innommable s’accomplit sous nos yeux, le souci premier du plus grand nombre semble être de conserver sa respectabilité, d’apparaître irréprochable et donc de se présenter comme essentiellement neutre, avec une approche « équilibrée », que l’on pense de ce fait équitable alors que l’iniquité et l’inhumanité de ce traitement sont patentes.
En effet, la plus importante des lois morales est le devoir de porter assistance au plus faible, au plus démuni (Psaume 82). Elle est tellement fondamentale qu’elle se retrouve aussi chez l’animal. Ce qui veut dire qu’en restant simplement sur notre quant à soi, en nous gardant de déclarer notre entière solidarité et total soutien au peuple palestinien actuellement génocidé sous nos yeux, nous sommes tous collectivement en dessous de tout, nous manquons à nos devoirs les plus élémentaires d’humanité.
Mettons-nous maintenant à la place des palestiniens durant cette veillée de Noël dans une chapelle ou une église de Bethléem (car je ne suis pas sûr que cela ait été possible à Gaza) : peut-on imaginer plus tragique mise à l’épreuve de sa foi en le retour de l’aube, en l’avènement du Messie dans cette nuit qui n’a probablement jamais été aussi noire sur la Palestine depuis l’origine du monde ? Les Palestiniens sont sur leurs terres comme le Christ sur la croix. S’écrier « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? » serait la plus juste des paroles en ces temps de complet dénuement et de total abandon de la part de la communauté internationale. Il serait tentant d’y voir motif à renoncer mais pas pour ceux qui sont du Christ. Ceux-là gardent espoir. Ils se rappellent encore et toujours que plus la nuit est noire plus l’aube est proche. Nous ne savons pas combien laisseront leur vie dans cette tragédie sans nom mais ce qui se passe a certainement du sens du point de vue eschatologique. Peut-être davantage que cela n’en a jamais eu. Le peuple palestinien — ces descendants des juifs de l’époque biblique — est désormais un peuple martyr qui, à l’instar du Christ et de son Eglise persécutée par les « puissances de ce monde » est en train de faire, à son corps défendant, une contribution à la Révélation, celle « des choses cachées depuis la fondation du monde » entamée depuis la rédaction du texte biblique. René Girard, né il y a cent ans exactement, à Noël 1923, nous a permis de comprendre que lesdites choses cachées avaient trait à l’origine violente des cultures et civilisations humaines. Tout porte à penser que nous nous trouvons au terme de ce processus. Il nous appartient de tout faire pour éviter ce calvaire des palestiniens mais qu’ils aient ou non à boire le calice jusqu’à la lie, notre devoir moral est assurément d’être leurs témoins et d’attester de ce que nous voyons : l’inhumain écrasement d’un peuple victime de celui qui s’identifie comme LE peuple victime de l’Histoire humaine.
Luc-Laurent Salvador
Source : https://www.clicanoo.re/article/clicazot/2023/12/26/nuit-noire-sur-bethleem-a-quand-laube