“Le cri des opprimés, des pauvres et des exploités n’est pas
toujours juste, mais si vous ne l’écoutez pas, vous ne saurez jamais ce
qu’est vraiment la justice…”
~ Howard Zinn ~
“D’après Marcos, de nos jours, la planète est le champ de bataille
de la quatrième guerre mondiale (la troisième ayant été la “guerre
froide”). Le but de cette guerre est la conquête du monde entier au
moyen du marché. Les armes y sont essentiellement financières, bien que
des millions de personnes soient estropiées ou tuées à chaque moment.
Ceux qui mènent cette guerre veulent faire converger toute la planète
vers une grande entreprise planétaire unique ayant la Banque Mondiale,
le FMI, l’OMC, l’OCDE et le président des Etats-Unis comme comité
directeur…”
~ Ziga Vodovnik, Ph.D sciences sociales, université de Llubjana, Slovénie ~
-[]- Voir notre note sous le texte (Résistance 71) -[]-
Première déclaration de la jungle de Lacandon
1er janvier 1994
Déclaration de guerre de l’EZLN
“Aujourd’hui nous disons : “Assez est assez !” (¡Ya Basta!)
Au peuple du Mexique
Traduction de Résistance 71
Juillet 2022
Frères et sœurs mexicains,
Nous sommes le produit de 500 ans de lutte : d’abord contre
l’esclavage, puis durant la guerre d’indépendance contre l’Espagne menée
par des insurgés, puis pour éviter d’être absorbés par l’impérialisme
nord-américain, puis pour promulguer la constitution et expulser
l’empire français de notre sol, puis plus tard la dictature de Porfirio
Diaz nous a refusé la juste application des lois de réforme et le peuple
s’est rebellé et des leaders comme Pancho Villa et Emiliano Zapata ont
émergé, des pauvres, tout comme nous. On nous a refusé la plus
élémentaire des préparations de façon à ce qu’ils puissent nous utiliser
comme chair à canon et piller la richesse de notre terre. Ils ne se
préoccupent pas si nous n’avons rien, absolument rien, pas même un toit
au dessus de nos têtes, pas de terre, pas de travail, pas de service de
santé, pas de nourriture ni d’éducation. Nous ne pouvons pas non plus
librement et démocratiquement élire nos représentants politiques ; il
n’y a pas non plus d’indépendance des étrangers, ni n’y a t’il de paix
et de justice pour nous et nos enfants.
Mais aujourd’hui, nous disons assez est assez !
Nous sommes les héritiers des véritables bâtisseurs de notre nation.
Les dépossédés, nous sommes des millions et appelons donc nos frères et
sœurs à rejoindre cette lutte et de la reconnaître comme la seule voie,
ainsi nous ne mourrons pas de faim à cause de l’insatiable ambition
d’une dictature vieille de 70 ans et menée par une clique de traîtres
qui ne représentent que des groupes les plus conservateurs et les plus
corrompus. Ce sont les mêmes qui se sont opposés à Hidalgo et Morelos,
les mêmes qui ont trahi Vincente Guerrero, les mêmes qui ont vendu la
moitié de notre pays à un envahisseur étranger, les mêmes qui ont
importé un prince européen pour diriger notre pays, les mêmes qui ont
formé la dictature “scientifique” Porfiriste, les mêmes qui se sont
opposés à l’expropriation pétrolière, les mêmes qui ont massacré les
cheminots en 1958 et les étudiants en 1968, les mêmes qui aujourd’hui
nous prennent tout, absolument tout.
Pour prévenir que tout ce qui précède ne continue et comme dernier
espoir, après avoir essayé d’utiliser des moyens légaux fondés sur la
constitution, nous nous tournons vers l’article 39 de notre constitution
qui nous dit : “La souveraineté nationale essentiellement et
originellement réside dans le peuple. Tout pouvoir politique émane du
peuple et son but est d’aider le peuple. Le peuple a, à tout moment, le
droit inaliénable d’altérer et de modifier sa forme de gouvernement.”
Ainsi, en accord avec notre constitution, nous déclarons ce qui suit à
l’armée fédérale mexicaine, le pilier de la dictature mexicaine dont
nous souffrons, monopolisée par un système de parti unique emmené par
Carlos Salinas de Gortari, le chef de l’exécutif fédéral maximum et
illégitime qui détient le pouvoir aujourd’hui.
En accord avec cette déclaration de guerre, nous demandons que tous
les autres pouvoirs de la nation se fassent l’avocat de la restauration
de la légitimité et de la stabilité de la nation en renversant le
dictateur.
Nous demandons aussi que les organisations internationales et la
Croix Rouge Internationale surveillent et régulent nos combats de façon à
ce que nos efforts soient validés tout en protégeant les populations
civiles. Nous déclarons que maintenant et toujours, nous sommes soumis à
la convention de Genève en formant l’Ejecito Zapatista de Liberaciòn
Nacionale (EZLN) comme notre bras armé dans notre lutte de libération.
Nous avons le peuple mexicain de notre côté, nos combattants insurgés
aiment le drapeau tricolore de notre nation qui est hautement respecté.
Nous utilisons les couleurs rouge et noire sur nos uniformes comme
symbole de nos travailleurs en grève. Notre drapeau est imprimé des
lettres suivantes : “EZLN” pour Armée Zapatiste de Libération Nationale
(AZLN) et nous portons toujours notre drapeau au combat.
D’emblée, nous rejetons tout effort et volonté de nous disgracier et
de nous calomnier en nous accusant d’être des trafiquants de drogue, des
narco-guerillas, des voleurs ou toutes autres insultes qui pourraient
être utilisées par nos ennemis. Notre lutte suit la constitution que
nous respectons pour son appel à la justice et à l’égalité.
Ainsi, en accord avec cette déclaration de guerre, nous donnons à nos forces militaires de l’EZLN les ordres suivants :
Premièrement : Avancez jusqu’à la capitale du pays en
submergeant les forces armées fédérales mexicaines tout en protégeant
dans notre avancée les populations civiles et en permettant aux
habitants des zones libérées d’élire librement et démocratiquement leurs
propres autorités administratives.
Deuxièmement : Respectez la vie de nos prisonniers et transférez les blessés à la Croix Rouge Internationale.
Troisièmement : Mettez en place des jugements rapides
contre les soldats de l’armée fédérale mexicaine et de la police
politique qui ont reçu une formation ou ont été payés par des étrangers,
accusés d’être des traîtres à notre pays et contre tous ceux qui ont
réprimé et maltraité la population civile, qui ont volé ou tenté de
commettre des crimes contre le bien du peuple.
Quatrièmement : Formez de nouvelles troupes avec les
Mexicains démontrant un intérêt à rejoindre notre lutte, incluant ceux
des soldats ennemis qui se tournent vers nous sans nous avoir combattu
et promettant de recevoir des ordres du commandement général de l’EZLN.
Cinquièmement : Nous demandons la rédition sans
conditions des quartiers généraux de l’ennemi avant même que nous ne
commencions tout combat, ce afin de sauver des vies humaines.
Sixièmement : Mettez un terme au pillage de nos ressources naturelles dans les zones contrôlées par l’EZLN.
Au peuple du Mexique,
Nous, les hommes et les femmes, souverains et libres, sommes
conscients que cette guerre que nous avons déclarée est notre dernière
possibilité, mais qu’elle est aussi juste. Les dictateurs mettent en
application une guerre génocidaire non déclarée contre notre peuple, ce
depuis bien des années. Ainsi, nous demandons votre participation, votre
décision de soutenir ce plan qui lutte pour la terre, l’habitat, le
travail, la nourriture, la santé, l’éducation, l’indépendance, la
liberté, la démocratie, la justice et la paix. Nous déclarons que nous
ne cesserons de lutter jusqu’à ce que les demandes de base de notre
peuple aient été remplies en formant un gouvernement pour notre pays qui
est libre et démocratique.
REJOIGNEZ LES FORCES INSURGEES DE L’ARMEE ZAPATISTE DE LIBERATION NATIONALE.
Le commandement général de l’EZLN.
= = =
Notes de Résistance 71 :
Cette première déclaration zapatiste de la jungle de Lacandon fut
suivie par cinq autres, plus élaborées que celle-ci, contenant des
préambules et scindées en plusieurs parties. Chacune des déclarations
suivantes analysent et enrichit les précédentes.
La seconde déclaration fut émise le 10 juin 1994, six mois après la première. Comparée à la première, la seconde déclaration fait 8 pages.
La troisième déclaration de 6 pages fut émise en janvier 1995.
La quatrième date du 1er janvier 1996, elle fait 10 pages et est divisée en un préambule et trois parties.
La cinquième déclaration fait 12 pages et fut émise en juillet 1998. Elle contient un court préambule et 6 parties.
La sixième et courante déclaration fut émise en juin 2005
et est connue sous le vocable de référence de “la Sixta” par les
Zapatistes. Elle est essentiellement la plus aboutie au fil du temps et
n’a pas nécessité d’amendements depuis 17 ans maintenant. Elle est loin
de la première déclaration (de guerre) traduite ci-dessus. Elle est
l’aboutissement politico-social de 11 ans de lutte et de réalisations de
terrain, de succès et d’échecs, d’analyse et d’éducation de la
génération zapatiste suivante. La Sixta est une analyse et un déni du
système étatico-marchand, de son bras armé néoliberal et une fenêtre
ouverte sur la réalisation factuelle de la société des sociétés libre et
émancipée. La Sixta est le texte moderne
le plus abouti pour une compréhension et une action directe politiques
émancipatrices. C’est un document historique qui n’est pas fait pour
rester dans les tiroirs, mais pour être adapté et vivre dans sa chair
sociale organique à l’échelle planétaire.
Vous pouvez la lire sur Résistance 71 ainsi que la télécharger ici, ainsi que la comparer avec la 1ère publiée ci-dessus…
Ce qu’il est essentiel de comprendre est que le monde zapatiste
incluant tous les mondes n’est pas un “produit fini”, une révolution
achevée et (déjà) sclérosée, il est organique et en perpétuel mouvement
et évolution constante. La société zapatiste est propre à son
environnement socio-culturel et il est évident que leur mode de
fonctionnement ne peut en aucun cas être directement appliqué à toute
autre société, il contient néanmoins des éléments de gouvernance
universels à l’humain qui peuvent être repris comme structure sociale
tout en adaptant la forme à une société particulière.
Si seuls les Zapatistes peuvent faire du zapatisme, nous pouvons, à
leur instar, tous fonctionner dans une société horizontale non
hiérarchisée et non-autoritaire. Il suffit de le vouloir une fois la
réalité oppressive bien appréhendée. Rappelons-nous toujours que le
pouvoir est inhérent à la société humaine. Il n’y a pas de société sans
pouvoir. Nous devrons toujours prendre des décisions pour le bien commun
et les mettre en application. Le but n’est pas d’abolir le pouvoir,
ceci est impossible à réaliser, car il n’y a pas de société sans
pouvoir, mais de mettre un terme au règne du pouvoir coercitif et de
faire retourner la société humaine dans un monde de fonctionnement
horizontal non-coercitif qui est conforme à sa nature profonde (cf Pierre Clastres).
Nous avons adressé ce sujet dans deux essais (2017 et 2019), compilés dans ce PDF : “Du chemin de la société vers son humanité réalisée” (2020), à (re)lire et aussi à diffuser au grand large sans aucune modération.
Voir également notre page essentielle : “Textes fondateurs pour un changement politique” ainsi que notre page sur les “communes libres zapatistes”.
Et cette compilation : « Chiapas, feu et parole d’un peuple qui dirige et d’un gouvernement qui obéit ! »
Vive la Commune Universelle de notre humanité enfin réalisée !
A bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent ! A bas le salariat !
« C’est notre conviction et notre mode de pratique que
pour se rebeller et lutter, aucun leader, patron, messie,
ou sauveur n’est nécessaire. Pour lutter, les gens ont besoin
d’un sens de la honte, d’un peu de dignité et de beaucoup
d’organisation, Pour le reste, cela sert le collectif… ou pas. »
¡YA BASTA!
Source : https://resistance71.wordpress.com/2022/07/06/texte-inspirateur-la-declaration-de-guerre-de-lezln-et-du-chiapas-au-gouvernement-mexicain-et-au-capitalisme-du-1er-janvier-1994-la-premiere-declaration-de-la-jungle-de-lacandon-mexique-ezln/