8 LA JUSTICE
8.1 Définitions, principes et symboles de la Justice
La Justice occupe une place fondamentale dans un Etat de droit démocratique, celle d’un arbitre, pour trancher, selon le droit, les différends qu’engendre toute vie en société, celle d’un recours pour que soit garantie la jouissance des droits et libertés. Mais c’est aussi un sujet difficile à appréhender à cause de la technicité du vocabulaire, des représentations qui associent souvent justice à répression et à prison, du sens commun (« les assassins, on les relâche »), de la médiatisation de la justice qui renforce l’association avec le pénal et de la confusion entre justice et police. Au niveau national, les principes de la Justice s’appuient sur deux textes de référence : la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen de 1789 et la Constitution de 1958, et au niveau européen sur la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 1950 ainsi que sur des codes comme le Code civil, le Code de commerce, le Code d’instruction criminelle et le Code pénal.
Le premier des principes de la Justice, celui qui est au-dessus de tous les autres est l’idée que, dans une société démocratique, la Justice doit garantir les droits de la personne. Tout homme, y compris le plus grand criminel, a droit à une justice impartiale et sereine. Ces droits sont la présomption d’innocence, la non-rétroactivité des lois pénales, le principe de légalité, le principe de la proportionnalité des peines, le droit à un recours.
Rendue « au nom du peuple français » et séparée des autres pouvoirs, la Justice est un monopole d’Etat et s’exerce au nom de l’intérêt général de la société. Nul ne peut se faire justice soi-même. Elle est un service public et, à ce titre, s’appuie sur un principe d’égalité : toute personne doit être jugée par les mêmes juridictions et selon les mêmes règles, sans la moindre discrimination. Elle doit être accessible à tous. L’aide judiciaire est accordée pour tous types de procès à toutes les personnes dont les ressources sont insuffisantes. La loi du 10 juillet 1991 a élargi l’accès à la Justice en instaurant l’accès au droit. Toute personne qui désire des informations sur les droits fondamentaux peut bénéficier d’une consultation juridique et être assistée gratuitement pour faire ses démarches administratives.
Chaque époque historique, chaque civilisation a sa conception de la Justice à laquelle sont associés des symboles. On distingue : l’épée ou le glaive, la balance, les yeux bandés, le genou dénudé, les Tables de la loi, la main de justice. L’architecture des palais de Justice et des salles d’audience ainsi que le serment prononcé par les magistrats traduisent également la solennité dans laquelle la justice doit être rendue.
8.2 Histoire
Le système judiciaire français est le résultat de différents héritages. Dans l’Antiquité, la Justice est associée à la religion et possède donc un caractère sacré. Ainsi, chez les Gaulois, la justice est exercée par les druides. Après la conquête romaine, on applique les lois romaines. Les invasions amènent des populations, les Germains qui possèdent des coutumes locales, les Gallo-Romains conservant l’héritage de Rome. Au Moyen Age, la justice est exercée par le seigneur et, à côté des juridictions laïques, une justice d’Eglise se met en place qui perdure jusqu’à la Révolution. Cette justice est compétente à l’égard des laïcs quand il s’agit des affaires de sorcellerie par exemple. Les Capétiens, en construisant le royaume de France, assoient aussi leur autorité sur la justice en s’appuyant sur le principe selon lequel « toute justice émane du Roi ». Le tournant important se situe au XIIIe siècle, sous le règne de Saint-Louis, qui scinde la Curia Regis (Cour du Roi) de type féodal en trois sections spécialisées dont l’une, le Parlement, a des compétences judiciaires. C’est aussi au Moyen Age (règne de Philippe VI de Valois, 1328-1350) que remonte le droit de grâce (détenu aujourd’hui par le Président de la République) qui était accordé par le Roi par une lettre de rémission (qui portait rémission pour des crimes excusables). En province, la justice du roi est rendue par les prévôts, puis par les baillis, chargés de représenter le Roi dans une circonscription, et les sénéchaux, officiers de justice subalternes, héritiers des Carolingiens. L’ordonnance de Colbert, en 1670, établit une procédure criminelle se déroulant à huis clos, la question (torture) étant utilisée pour faire avouer « les coupables ». Le juge possède un pouvoir énorme dans la mesure où la proportionnalité des peines n’existe pas. L’Affaire Calas (1761-1765) provoque la mobilisation de Voltaire et de l’opinion publique pour la justice et contre l’intolérance En 1762, Voltaire écrit son Traité sur la tolérance, témoignage important sur l’esprit des Lumières. Malgré les réformes de la fin de l’Ancien Régime, la justice royale reste complexe, confisquée par les particuliers les plus aisés.
La réforme de la justice occupe une place essentielle dans les évènements révolutionnaires. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen apparaît encore de nos jours comme le texte de référence pour la fondation de l’Etat de droit (articles 7, 8 et 9). Les juridictions seigneuriales et ecclésiastiques sont abolies, la justice émane désormais de la Nation. Après la chute de la Bastille présentée comme un symbole de l’arbitraire royal, la loi des 16-20 août 1790, qui s’inspire des idées de Montesquieu, proclame notamment la séparation des pouvoirs (article 13 : « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront séparées des fonctions administratives »), l’égalité devant la justice (article 16), la gratuité de la justice (les juges sont des fonctionnaires payés par l’Etat). Après la remise en cause de ces garanties par la Terreur (1793), la loi du 27 ventôse an VIII, pendant le Consulat, crée le système judiciaire qui a subsisté jusqu’à aujourd’hui.
Au XIXe siècle, la notion de justice évolue sous la Troisième République avec l’Affaire Dreyfus : primauté de la raison sur l’intolérance, de la liberté individuelle et de l’égalité juridique. La Constitution de 1958 consacre son titre VIII à « l’autorité judiciaire » afin de marquer que justice et Etat sont deux termes inséparables. Elle affirme : « L’autorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même d’assurer le respect des libertés essentielles telles qu’elles sont définies par le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Elle crée le Conseil constitutionnel (Titre VII) qui est devenu le gardien de l’Etat de droit.
8.3 Les enjeux actuels : organisation et limites
On distingue deux ordres de juridictions : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif. Une place particulière doit être faite à la justice des mineurs. Responsable de l’action et de la gestion des juridictions, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, nomme les officiers ministériels et présente au Parlement des projets de réforme. Nommés par le Président de la République, les membres du Conseil supérieur de la magistrature participent à la nomination des magistrats et en assurent la discipline.
- L’ordre judiciaire
Compétent pour régler les litiges opposant les personnes privées et sanctionner les auteurs d’infractions aux lois pénales, l’ordre judiciaire comprend les juridictions spécialisées, les juridictions civiles et les juridictions pénales. En cas de conflit entre ces deux types de juridictions, le Tribunal des conflits désigne l’ordre compétent. La réforme de la carte judiciaire, engagée en 2007, ramène le nombre de juridictions de 1190 à 863.
Les magistrats de l'ordre judiciaire se répartissent en deux catégories : les magistrats du siège, indépendants et inamovibles, tranchent les conflits d'ordre civil et sanctionnent les auteurs d'infractions pénales, tout en veillant aux intérêts des victimes et de la société et les magistrats du parquet demandent l’application des lois et le respect des droits, et défendent l’intérêt général. Tous les magistrats sont soumis à l’obligation de réserve et ne doivent pas prendre de position politique.
- L’ordre administratif
L’ordre administratif, qui est une spécificité française, règle les conflits entre les individus et les pouvoirs publics. Le tribunal administratif s’occupe, par exemple, des refus de permis de construire, des expropriations, des contestations d’un plan d’occupation des sols ou du tracé d’un autoroute, d’un refus de titre de séjour, de l’expulsion d’un étranger, des litiges relatifs aux marchés publics. Si l’une des deux parties n’est pas satisfaite du premier jugement, il existe une possibilité de recours avec les Cours administratives d’appel qui réexaminent l’affaire déjà jugée. Le Conseil d’Etat, situé à Paris au Palais Royal, vérifie que les tribunaux et les cours ont correctement appliqué la loi. Pour certaines affaires, il est juge d’appel.
- La Justice des mineurs
Elle remplit deux missions : la protection des mineurs en danger (dans le cadre de la justice civile au titre de l’article 375 du code civil) et la répression des mineurs délinquants (dans le cadre de la justice pénale au titre de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante).
L'ordonnance de 1945 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger a créé le juge des enfants. Elle a été complétée par l'ordonnance de 1958 sur l’assistance éducative et par différentes lois plus récentes. Nommé auprès d’un Tribunal de grande instance, le juge des enfants qui se doit d’agir "dans l’intérêt supérieur de l’enfant", peut prendre des mesures d’assistance éducative, entendre l’enfant « dans toute procédure le concernant » et désigner un administrateur lorsque les intérêts de l’enfant sont en contradiction avec ceux de ses administrateurs légaux. Les missions de la Protection judiciaire de la jeunesse sont de rétablir le lien social avec les jeunes et de protéger efficacement les mineurs en danger tout en répondant aux attentes des habitants des quartiers. Il existe aussi un tribunal pour enfants qui est compétent pour les délits les plus graves et les crimes commis par des mineurs âgés de moins de 16 ans au moment des faits et une Cour d’assises des mineurs qui juge les crimes commis par des mineurs âgés de 16 à 18 ans au moment des faits. Elle est composée de magistrats professionnels (dont 2 juges des enfants) et d’un jury populaire.
Comme toute institution humaine, la justice a ses limites mais l’existence, dans son organisation, d’un double degré de juridictions permet de limiter les risques d’erreur judiciaire. Lente, surchargée, la justice utilise un vocabulaire souvent hermétique. La question de son indépendance par rapport au pouvoir politique est évoquée de façon récurrente. Les différentes réformes de la Justice engagées en juin 2002 puis en 2007 et plus récemment en 2012 ont pour objectifs de trouver des solutions à ces difficultés.
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