« L'évolution, la
révolution et l'idéal anarchique »
d’Élisée Reclus, Éditions Stock, 1906
Notes de lecture
Ce livre est le développement d'un discours prononcé, il y a plus de vingt
ans, dans une réunion publique de Genève et publié depuis en brochures de diverses
langues. E. R. Bruxelles, 15 juillet 1902
Sommaire
Évolution
de l'Univers et révolutions partielles. Acception fausse des termes
«Évolution» et «Révolution». Évolutionnistes hypocrites, timorés ou à
courtes vues. Évolution et Révolution, deux stades successifs d'un même
phénomène.
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Révolutions
progressives et révolutions régressives. Événements complexes, à la fois
progrès et regrès. Fausse attribution du progrès à la volonté d'un maître ou
à l'action des lois. Renaissance, Réforme, Révolution française.
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Révolutions
instinctives. Les Foules. Les Révolutions conscientes succédant aux
révolutions instinctives. Révolutions de palais. Conjurations de partis.
Contraste de l'élite intellectuelle et de l'aristocratie. Les politiciens.
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Constatation
précise de l'état social contemporain. Toute-puissance du capital.
Transformations apparentes des institutions et leur régression fatale.
L'État, Royauté, cultes, magistrature, armée, administration. Esprit de
corps. Le patriotisme, l'ordre, la paix sociale.
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L'idéal
évolutionniste, le but révolutionnaire. Le «pain pour tous !» La pauvreté et
la «loi de Malthus.» Suffisance et surabondance des ressources. Idéal de la
pensée, de la parole, de l'action libres. Anarchistes, «ennemis de la
religion, de la famille et de la propriété».
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Les
espoirs illogiques. L'inflexibilité forcée du capital. Péjoration morale de
tous les partis qui conquièrent le pouvoir, monarchistes, républicains et
socialistes. Le suffrage universel et l'évolution futale des candidats. Le
«premier Mai.» Le dédoublement des partis.
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Les Forces
en lutte. Prodigieux outillage de répression. Alliance du maître et du valet.
Manque de logique dans le fonctionnement des États modernes. La «suprême
raison» des rois, le «droit du plus fort».
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Puissance
de la fascination religieuse. Progrès apparents de l'Église, devenue le
refuge de tous les réacteurs, impossibilité pour elle de s'accommoder à un
milieu nouveau. Enseignement confié aux ennemis de la science. Enseignement
de la nature et de la société. La science vécue etla science officielle.
Appréciation vraie des choses ; diminution du respect.
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Situation
présente et prochain avenir. Naissance de l'Internationale. Les Grèves.
Impuissance des ouvriers dans leurs grèves partielles contre la grande
industrie. La grève des drapiers de Vienne, premier exemple de saisie des
usines comme propriété collective. La grève générale et la grève des soldats.
La solidarité des grévistes. Les associations communautaires. Difficultés
d'adaptation à un milieu nouveau. Phalanstère du Texas et Freiland.
Associations coopératives et sociétés anarchistes. La Commune de Montreuil.
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Dernières
luttes. Future coïncidence pacifique, par l'anarchie, de l'évolution et de la
révolution. L'ordre dans le mouvement.
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Morceaux choisis
I.
[Ceux qui acceptent volontiers l’évolution mais voient la révolution avec horreur]
trouvent que la société actuelle, toute mauvaise qu'elle est et qu'ils la
voient eux-mêmes, est bonne à conserver ; il leur suffit qu'elle réalise leur
idéal : richesse, pouvoir, considération bien-être. Puisqu'il y a des riches et
des pauvres, des puissants et des sujets, des maîtres et des serviteurs, des
Césars qui ordonnent le combat et des gladiateurs qui vont mourir, les gens
avisés n'ont qu'à se mettre du côté des riches et des maîtres, à se faire les
courtisans des Césars. Cette société donne du pain, de l'argent, des places,
des honneurs, eh bien ! que les hommes d'esprit s'arrangent de manière à
prendre leur part, et la plus large possible, de tous les présents du destin !
Si quelque bonne étoile, présidant a leur naissance, les a dispensés de toute
lutte en leur donnant pour héritage le nécessaire et le superflu, de quoi se
plaindraient-ils ? Ils cherchent à se persuader que tout le monde est aussi
satisfait qu'ils le sont eux-mêmes : pour l'homme repu, tout le monde a bien
dîné. Quant à l'égoïste que la société n'a pas richement loti dès son berceau
et qui, pour lui-même, est mécontent de l'état des choses, du moins peut-il
espérer de conquérir sa place par l'intrigue ou par la flatterie, par un
heureux coup du sort ou même par un travail acharné mis au service des
puissants. Comment s'agirait-il pour lui d'évolution sociale ? Évoluer vers la
fortune est sa seule ambition ! Loin de rechercher la justice pour tous, il lui
suffit de viser au privilège pour sa propre personne.
[…] la révolte de l'individu contre
l'État embrasse la cause du forçat ou de tout autre réprouvé, aussi bien que
celle de la prostituée […]
Évolutionnistes en toutes choses, nous sommes également révolutionnaires en
tout, sachant que l'histoire même n'est que la série des accomplissements,
succédant à celle des préparations. La grande évolution intellectuelle, qui
émancipe les esprits, a pour conséquence logique l'émancipation, en fait, des
individus dans tous leurs rapports avec les autres individus. On peut dire
ainsi que l'évolution et la révolution sont les deux actes successifs d'un même
phénomène, l'évolution précédant la révolution,
[…] Si la révolution est toujours en retard sur l'évolution, la cause en
est à la résistance des milieux […]
Herder parlant de la Révolution française l'a déjà dit : «La semence tombe
dans la terre, longtemps elle paraît morte, puis tout à coup elle pousse son
aigrette, déplace la terre dure qui la recouvrait, fait violence à l'argile
ennemie, et la voilà qui devient plante, qui fleurit et mûrit son fruit». Et
l'enfant, comment naît-il ? Après avoir séjourné neuf mois dans les ténèbres du
ventre maternel, c'est aussi avec violence qu'il s'échappe en déchirant son
enveloppe, et par fois même en tuant sa mère. Telles sont les révolutions,
conséquences nécessaires des évolutions qui les ont précédées.
Toutefois
les révolutions ne sont pas nécessairement un progrès, de même que les
évolutions ne sont pas toujours orientées vers la justice. […]
Il existe
une cause majeure, la cause des causes, résumant l'histoire de la décadence.
C'est la constitution d'une partie de la société en maîtresse de l'autre
partie, c'est l'accaparement de la terre, des capitaux, du pouvoir, de
l'instruction, des honneurs par un seul ou par une aristocratie. Dès que la
foule imbécile n'a plus le ressort de la révolte contre ce monopole d'un petit
nombre d'hommes, elle est virtuellement morte ; sa disparition n'est qu'une
affaire de temps.
Tout
événement, toute période de l'histoire offrant un aspect double, il est impossible
de les juger en bloc. L'exemple même du renouveau qui mit un terme au Moyen Âge
et à la nuit de la pensée nous montre comment deux révolutions peuvent
s'accomplir à la fois, l'une cause de décadence et l'autre de progrès. La
période de la Renaissance, qui retrouva les monuments de l'Antiquité, […] eut
aussi pour conséquence l'arrêt définitif du mouvement artistique spontané qui
s'était développé si merveilleusement pendant la période des communes et des
villes libres. […]
Autre
mouvement complexe, lors de la grande époque évolutionnaire dont la Révolution
américaine et la Révolution française furent les sanglantes crises - Ah ! là du
moins, semble-t-il, le changement fut tout à l'avantage du peuple […] Mais
cette révolution, nous le voyons maintenant, n'était point la révolution de
tous, elle fut celle de quelques-uns pour quelques-uns. Le droit de l'homme
resta purement théorique : la garantie de la propriété privée que l'on
proclamait en même temps, le rendait illusoire. Une nouvelle classe de
jouisseurs avides se mit à l'œuvre d'accaparement, la bourgeoisie remplaça la
classe usée, déjà sceptique et pessimiste, de la vieille noblesse, et les
nouveau-venus s'employèrent avec une ardeur et une science que n'avaient jamais
eues les anciennes classes dirigeantes à exploiter la foule de ceux qui ne
possédaient point. […] Ceux qui ne veulent pas se payer de mots doivent donc
étudier avec une critique attentive, interroger avec soin les hommes qui
prétendent s'être dévoués pour notre cause. […] Une révolution quelconque a toujours du bon
quand elle se produit contre un maître ou contre un régime d'oppression ; mais
si elle doit susciter un nouveau despotisme, on peut se demander s'il n'eût pas
mieux valu la diriger autrement. Le temps est venu de n'employer que des forces
conscientes ; les évolutionnistes, arrivant enfin à la parfaite connaissance de
ce qu'ils veulent réaliser dans la révolution prochaine, ont autre chose à
faire qu'à soulever les mécontents et à les précipiter dans la mêlée, sans but
et sans boussole. […] C'est une classe qui a fait la Réforme et qui en a
recueilli les avantages ; c'est une classe qui a fait la Révolution française
et qui en exploite les profits, mettant en coupe réglée les malheureux qui
l'ont servie pour lui procurer la victoire.
[…] De révolution en révolution le cours de
l'histoire ressemble à celui d'un fleuve arrêté de distance en distance par des
écluses. Chaque gouvernement, chaque parti vainqueur essaie à son tour
d'endiguer le courant pour l'utiliser à droite et à gauche dans ses prairies ou
dans ses moulins. L'espoir des réactionnaires est qu'il en sera toujours ainsi
et que le peuple moutonnier se laissera de siècle en siècle dévoyer de sa
route, duper par d'habiles soldats, ou des avocats beaux parleurs. […]
Parfois ces
hommes [qui gardent leur individualité fière], dont les pensées concordent ou
du moins se rapprochent les unes des autres, sont assez nombreux pour
constituer à eux seuls des assemblées où les paroles, où les volontés se
trouvent d'accord ; sans doute, les instincts spontanés, les coutumes
irréfléchies peuvent encore s'y faire jour, mais ce n'est que pour un temps et
la dignité personnelle reprend le dessus. […] Elles sont des groupements
d'individus, qui restent bien eux-mêmes par la conviction personnelle, tout en
constituant dans l'ensemble un être supérieur, conscient de sa volonté, résolu
dans son œuvre. […]
[…] Les
révolutions ne se feront plus au hasard, parce que les évolutions sont de plus
en plus conscientes et réfléchies. […]
De même, la
«révolution» de la Commune, si admirablement justifiée et rendue nécessaire par
les circonstances, ne pouvait évidemment triompher, car elle s'était faite
seulement par une moitié de Paris et n'avait en France que l'appui des villes
industrielles : le reflux la noya dans un déluge, un déluge de sang. […]
C'est dans
les têtes et dans les cœurs que les transformations ont à s'accomplir avant de
tendre les muscles et de se changer en phénomènes historiques. […]
L'influence
du milieu, morale et intellectuelle, s'exerce constamment sur la société dans
son ensemble, aussi bien sur les hommes avides de domination que sur la foule
résignée des asservis volontaires, et en vertu de cette influence les
oscillations qui se font de part et d'autre, des deux côtés de l'axe, ne s'en
écartent jamais que faiblement.
[…] Si d'une
part nous voyons l'homme isolé soumis à l'influence de la société tout entière
avec sa morale traditionnelle, sa religion, sa politique, d'autre part nous
assistons au spectacle de l'individu libre qui, si limité qu'il soit dans
l'espace et dans la durée des âges, réussit néanmoins à laisser son empreinte
personnelle sur le monde qui l'entoure, à le modifier d'une façon définitive
par la découverte d'une loi, par l'accomplissement d'une œuvre, par
l'application d'un procédé, quelquefois même par une belle parole que l'univers
n'oubliera point. Il est facile de retrouver distinctement dans l'histoire la
trace de milliers et de milliers de héros que l'on sait avoir personnellement
coopéré d'une manière efficace au travail collectif de la civilisation.
[…] Sans que l'on veuille grandir ici la valeur propre de l'homme devenu conscient de ses actions et résolu à employer sa force dans le sens de son idéal, il est certain que cet homme représente tout un monde en comparaison de mille autres qui vivent dans la torpeur d'une demi-ivresse ou dans le sommeil absolu de la pensée et qui cheminent sans la moindre révolte intérieure dans les rangs d'une armée ou dans une procession de pèlerins.
[…] Sans que l'on veuille grandir ici la valeur propre de l'homme devenu conscient de ses actions et résolu à employer sa force dans le sens de son idéal, il est certain que cet homme représente tout un monde en comparaison de mille autres qui vivent dans la torpeur d'une demi-ivresse ou dans le sommeil absolu de la pensée et qui cheminent sans la moindre révolte intérieure dans les rangs d'une armée ou dans une procession de pèlerins.
[…] D'ailleurs,
la preuve par excellence que les deux «aristocraties», l'une qui détient ou
brigue le pouvoir, et l'autre qui se compose réellement des «meilleurs», ne
sauraient jamais être confondues, l'histoire nous la fournit en pages de sang.
[…] Ces
misonéistes «haïsseurs du nouveau», voient autant de fous dans tous les
novateurs, c'est-à-dire dans les hommes de pensée et d'idéal ; ils poussent
l'amour de la stabilité sociale jusqu'à signaler comme des criminels politiques
tous ceux qui critiquent les choses existantes, tous ceux qui s'élancent vers
l'inconnu ; et pourtant ils avouent que lorsqu'une idée nouvelle a fini par
l'emporter dans l'esprit de la majorité des hommes, on doit s'y conformer pour
ne pas devenir révolutionnaire en s'opposant au consentement universel. […] à
plus forte raison eussent-ils guillotiné Babeuf, car de nos jours, Babeuf
serait encore un novateur […] Nous vivons en un siècle d'ingénieurs et de
soldats, pour lesquels tout doit être tracé à la ligne et au cordeau.
«L'alignement !» tel est le mot d'ordre de ces pauvres d'esprit qui ne voient
la beauté que dans la symétrie, la vie que dans la rigidité de la mort.
«L'émancipation
des travailleurs sera l'œuvre des travailleurs eux-mêmes», dit la déclaration
de principes de l'«Internationale». […] tous les progrès humains ont été accomplis
grâce à la propre initiative de révoltés ou de citoyens déjà libres. C'est donc
à nous-mêmes […] de préparer
scientifiquement la victoire qui nous donnera la paix sociale. La condition
première du triomphe est d'être débarrassé de notre ignorance : il nous faut
connaître tous les préjugés à détruire, tous les éléments hostiles à écarter,
tous les obstacles à franchir, et d'autre part, n'ignorer aucune des ressources
dont nous pouvons disposer, aucun des alliés que nous donne l'évolution
historique.
Nous voulons savoir. Nous n'admettons pas que la science soit un privilège […] Nous n'acceptons pas de vérité promulguée : nous la faisons nôtre d'abord par l'étude et par la discussion […]
Le mot
«gouvernement de mandarins» a été crûment prononcé. Que le destin nous garde de
pareils maîtres, épris de leur personne et pleins de mépris pour tous autres
gens de la «vile multitude» ou de «l'immonde bourgeoisie».
[…] «Connaître la souffrance !» tel est le
précepte initial de la loi bouddhique. […] Mais «comment échapper à la souffrance !» ce qui
est le deuxième stade de la connaissance d'après le Bouddha ? […] toute obéissance est une abdication, que tout
servitude est une mort anticipée ; elle nous dit aussi que tout progrès s'est
accompli en proportion de la liberté des individus, de l'égalité et de l'accord
spontané des citoyens […] Les grandes
époques de la pensée et de l'art qui se suivent à de longs intervalles pendant
le cours des siècles, l'époque athénienne, celles de la Renaissance et du monde
moderne, prirent toujours leur sève originaire en des temps de luttes sans
cesse renouvelées et de continuelle «anarchie[…]
[…] la
caractéristique essentielle de notre âge : la toute-puissance de l'argent. […] quelques
banquiers chrétiens et juifs […] Cachés
au fond de leurs loges […] dans les cabinets des ministres, dans les secrètes
chambres des rois et de diriger à leur guise la politique des États pour le
besoin de leur commerce. […] et ils se préparent à prendre à bail tous les
autres États, petits et grands.
[…] toutes
les institutions humaines, tous les organismes sociaux qui cherchent à se
maintenir tels quels, sans changement, doivent, en vertu même de leur
immuabilité, faire naître des conservateurs d'us et d'abus, des parasites ? des
exploiteurs de toute nature, devenir des foyers de réaction dans l'ensemble des
sociétés. […] elles n'en sont pas moins
destinées, en proportion de la rigidité de leurs statuts, à momifier les idées,
à paralyser les volontés, à supprimer les libertés et les initiatives : pour
cela il suffit qu'elles durent.
La contradiction est souvent des plus choquantes entre les circonstances révolutionnaires qui virent naître l'institution et la manière dont elle fonctionne, absolument à rebours de l'idéal qu'avaient eu ses naïfs fondateurs. […]
La contradiction est souvent des plus choquantes entre les circonstances révolutionnaires qui virent naître l'institution et la manière dont elle fonctionne, absolument à rebours de l'idéal qu'avaient eu ses naïfs fondateurs. […]
Combien
étaient-ils d'individus en France qui ne s'imaginaient pas être créés pour
ramper aux pieds d'un roi, à l'époque où La Boétie écrivait son Contr'Un, cet ouvrage d'une si claire
logique, alliée à tant d'honnête simplicité ? Je me rappelle encore la stupeur
que la proclamation de la «République» produisit en 1848 chez les paysans de
nos campagnes : «Et pourtant il faut un maître !» répétaient-ils à l'envi.
Aussi s'arrangèrent-ils bientôt de manière à se donner ce maître, sans lequel
ils ne s'imaginaient pas de société possible : évidemment leur monde politique
devait être fait à l'image de leur propre monde familial, dans lequel ils
revendiquaient l'autorité, la force même et la violence. […]
[…] l'évolution lente des idées doit amener de
révolutions partielles avant que la révolution complète, logique, soit
accomplie ! Sous ses mille transformations, l'État, fût-il le plus populaire,
n'en a pas moins pour principe premier, pour noyau primitif, l'autorité
capricieuse d'un maître et par conséquent, la diminution ou même la perte
totale de l'initiative chez le sujet, car ce sont nécessairement des hommes qui
représentent cet État, et ces hommes, en vertu même de la possession du
pouvoir, et par la définition même du mot «gouvernement» sous lequel on les
embrasse, ont moins de contrepoids, à leurs passions que la multitude des
gouvernés.
[…] on s'adressait à la puissance souveraine et mystérieuse, au «Dieu Inconnu», dans un état de crainte et de tremblement qui supprimait toute pensée, toute velléité de critique, de jugement personnel. L'adoration, tel est le seul sentiment que les prêtres permettaient à leurs fidèles.
Pour reprendre possession de soi-même, pour récupérer son droit de pensée libre, l'homme indépendant — hérétique ou athée — avait donc à tendre toute son énergie. […] les ennemis de toute liberté. Les autoritaires se sont accordés pour faire de la religion la clef de voûte de leur temple.
[…] sous
prétexte qu'il défend la morale, [le juge] l n'en est pas moins investi du
pouvoir d'être criminel lui-même, de condamner l'innocent au bagne et de
renvoyer absous le scélérat puissant […]
Autre
institution, l'armée, qui est censée se confondre avec le «peuple armé !» chez
toutes les nations où l'esprit de liberté souffle assez fort pour que les
gouvernants se donnent la peine de les tromper. […]
[…] la
substitution d'une autre pensée, d'une autre volonté, d'une autre conduite à
celles qui eussent été les leurs. […] Et de toutes les autres institutions
d'État, qu'elles se disent «libérales», «protectrices» ou «tutélaires», n'en
est-il pas comme de la magistrature et de l'armée ? Ne sont-elles pas
fatalement, de par leur fonctionnement même, autoritaires, abusives,
malfaisantes ?
[…] pour la
foule des sujets ou des citoyens qui brisent règlements et lois par un coup de
révolution : la postérité reconnaissante les sacre héros. La défaite en eût
fait des brigands.
[…] les institutions en formation sont des plus dangereuses et cherchent à vivre aux dépens de la société, à constituer un monopole à leur profit. Ainsi l'esprit de corps entre gens qui sortent d'une même école à diplôme transforme tous les «camarades», si braves gens qu'ils soient, en autant de conspirateurs inconscients, ligués pour leur bien-être particulier et contre le bien public, autant d'hommes de proie qui détrousseront les passants et se partageront le butin. […]
[…] les institutions en formation sont des plus dangereuses et cherchent à vivre aux dépens de la société, à constituer un monopole à leur profit. Ainsi l'esprit de corps entre gens qui sortent d'une même école à diplôme transforme tous les «camarades», si braves gens qu'ils soient, en autant de conspirateurs inconscients, ligués pour leur bien-être particulier et contre le bien public, autant d'hommes de proie qui détrousseront les passants et se partageront le butin. […]
La
psychologie sociale nous enseigne donc qu'il faut se méfier non seulement du
pouvoir déjà constitué, mais encore de celui qui est en germe. […]
[…] Il faut être naïf parmi les naïfs pour ignorer
que les «catéchismes du citoyen» prêchent l'amour de la patrie pour servir
l'ensemble des intérêts et des privilèges de la classe dirigeante, et qu'ils
cherchent à maintenir, au profit de cette classe, la haine de frontière à
frontière entre les faibles et les déshérités. Sous le mot de patriotisme et
les commentaires modernes dont on l'entoure, on déguise les vieilles pratiques
d'obéissance servile à la volonté d'un chef, l'abdication complète de l'individu
en face des gens qui détiennent le pouvoir et veulent se servir de la nation
tout entière comme d'une force aveugle. […] Notre paix future ne doit pas naître
de la domination indiscutée des uns et de l'asservissement sans espoir des
autres, mais de la bonne et franche égalité entre compagnons.
L'objectif
premier de tous les évolutionnistes consciencieux et actifs étant de connaître
à fond la société ambiante qu'ils réforment dans leur pensée, ils doivent en
second lieu chercher à se rendre un compte précis de leur idéal
révolutionnaire. […]
«Il faut du
pain !» Toute autre considération est primée par cette collective expression du
besoin primordial de tous les êtres vivants. L'existence même étant impossible
si l'instinct de la nourriture n'est pas assouvi, il faut le satisfaire à tout
prix et le satisfaire pour tous, car la société ne se divise point en deux
parts, dont l'une resterait sans droits à la vie. […] non seulement la
nourriture, mais aussi «la joie», c'est-à-dire toutes les satisfactions
matérielles utiles à l'existence
[…] Mais
l'économie politique, la prétendue science, a pris l'héritage de la religion,
prêchant à son tour que la misère est inévitable et que si des malheureux
succombent à la faim, la société n'en porte aucunement le blâme. Que l'on voie
d'un côté la tourbe des pauvres affamés, de l'autre quelques privilégiés
mangeant à leur appétit et s'habillant à leur fantaisie, on doit croire en
toute naïveté qu'il ne saurait en être autrement ! Il est vrai qu'en temps
d'abondance on n'aurait qu'à «prendre au tas» et qu'en temps de disette tout le
monde pourrait se mettre de concert à la ration, mais pareille façon d'agir
supposerait l'existence d'une société étroitement unie par un lien de
solidarité fraternelle. Ce communisme spontané ne paraissant pas encore
possible, le pauvre naïf, qui croit benoîtement au dire des économistes sur
l'insuffisance des produits de la terre, doit en conséquence accepter son
infortune avec résignation.
[…] la vie
moyenne des gens riches […] dépasse soixante, atteint même soixante-dix ans. […]
Les gens asservis à un travail qui est la condition même de leur gagne-pain
sont, au contraire, condamnés d'avance à succomber, suivant les pays de
l'Europe, entre vingt et quarante ans, soit à trente en moyenne. […] Ainsi la
mortalité annuelle de l'Europe étant d'environ douze millions d'hommes, on peut
affirmer que six millions d' entre eux ont été tués par les conditions sociales
qui règnent dans notre milieu barbare ; six millions ont péri par manque d'air
pur, de nourriture saine, d'hygiène convenable, de travail harmonique.
[…] son
idéal du «pain pour tous» n'est point une utopie. La terre est assez vaste pour
nous porter tous sur son sein, elle est assez riche pour nous faire vivre dans
l'aisance. Elle peut donner assez de moissons pour que tous aient à manger ;
elle fait naître assez de plantes fibreuses pour que tous aient à se vêtir ;
elle contient assez de pierres et d'argile pour que tous puissent avoir des
maisons. Tel est le fait économique dans toute sa simplicité. […]
Tout l'art
actuel de la répartition, telle qu'elle est livrée au caprice individuel et à
la concurrence effrénée des spéculateurs et des commerçants, consiste à faire
hausser les prix, en retirant les produits à ceux qui les auraient pour rien et
en les portant à ceux qui les paient cher […] Et pourquoi messieurs les
économistes ne commencent-ils pas leurs manuels en constatant ce fait capital
de statistique ? Et pourquoi faut-il que ce soit nous, révoltés, qui le leur
apprenions ? Et comment expliquer que les ouvriers sans culture, conversant
après le travail de la journée, en sachent plus long à cet égard que les
professeurs et les élèves les plus savants de l'École des Sciences morales et
politiques ?
[…] «L'homme
ne vit pas de pain seulement», dit un vieil adage, qui restera toujours vrai, à
moins que l'être humain ne régresse à la pure existence végétative ; mais
quelle est cette substance alimentaire indispensable en dehors de la nourriture
matérielle ? Naturellement l'Église nous prêche que c'est la «Parole de Dieu»,
et l'État nous mande que c'est l'«Obéissance aux Lois». Cet aliment qui
développe la mentalité et la moralité humaines, c'est le «fruit de la science
du bien et du mal», que le mythe des Juifs et de toutes les religions qui en
sont dérivées nous interdit comme la nourriture vénéneuse par excellence, comme
le poison moral viciant toutes choses, et même, «jusqu'à la troisième
génération», la descendance de celui qui l'a goûté ! Apprendre, voilà le crime
d'après l'Église, le crime d'après l'État, quoi que puissent imaginer des
prêtres et des agents de gouvernement ayant absorbé malgré eux des germes
d'hérésie. Apprendre, c'est là au contraire la vertu par excellence pour
l'individu libre se dégageant de toute autorité divine ou humaine : il repousse
également ceux qui, au nom d'une «Raison suprême», s'arrogent le droit de penser
et de parler pour autrui et ceux qui, de par la volonté de l'État, imposent des
lois, une prétendue morale extérieure, codifiée et définitive. Ainsi l'homme
qui veut se développer en être moral doit prendre exactement le contre-pied de
ce que lui recommandent et l'Église et l'État : il lui faut penser, parler,
agir librement. Ce sont là les conditions indispensables de tout progrès.
[…] Penser librement ! […] l'évolutionniste, devenu révolutionnaire, se sépare de toute église dogmatique, de tout corps statutaire, de tout groupement politique à clauses obligatoires, de toute association, publique ou secrète dans laquelle le sociétaire doit commencer par accepter, sous peine de trahison, des mots d'ordre incontestés. […]
Et la
liberté de parole ? Et la liberté d'action ? Ne sont-ce pas là des conséquences
directes et logiques de la liberté de penser ? La parole n'est que la pensée
devenue sonore, l'acte n'est que la pensée devenue visible. Notre idéal
comporte donc pour tout homme a pleine et absolue liberté d'exprimer sa pensée en
toutes choses, science, politique, orale, sans autre réserve que celle de son
respect pour autrui ; il comporte également pour chacun le droit d'agir à son
gré, de " faire ce qu'il veut ", tout en associant naturellement sa
volonté à celle des autres hommes dans toutes les œuvres collectives : sa
liberté propre ne se trouve point limitée par cette union, mais elle grandit au
contraire, grâce à la force de la volonté commune.
[…] Les conservateurs ne s'y sont point trompés quand ils ont donné aux révolutionnaires le nom général «d'ennemis de la religion, de la famille et de la propriété». Oui, les anarchistes repoussent l'autorité du dogme et l'intervention du surnaturel dans notre vie, et, en ce sens, quelque ferveur qu'ils apportent dans la lutte pour leur idéal de fraternité et de solidarité, ils sont ennemis de la religion. Oui, ils veulent la suppression du trafic matrimonial, ils veulent les unions libres, ne reposant que sur l'affection mutuelle, le respect de soi et de la dignité d'autrui, et, en ce sens, si aimants et si dévoués qu'ils soient pour ceux dont la vie est associée à la leur, ils sont bien les ennemis de la famille. Oui, ils veulent supprimer l'accaparement de la terre et de ses produits pour les rendre à tous, et, en ce sens, le bonheur qu'ils auraient de garantir à tous la jouissance des fruits du sol, en fait des ennemis de la propriété. […]
VI.
[…] Toute
autorité cherche à s'agrandir aux dépens d'un plus grand nombre de sujets […]
Dès qu'un homme est nanti d'une autorité quelconque, sacerdotale, militaire,
administrative ou financière, sa tendance naturelle est d'en user, et sans
contrôle
[…] On
comprend qu'un individu, soumis à une influence particulière, puisse être
accessible à la raison ou à la bonté, et que, touché d'une pitié soudaine, il
abdique sa puissance ou rende sa fortune, heureux de retrouver la paix et
d'être accueilli comme un frère par ceux qu'il opprimait jadis à son insu ou
inconsciemment ; mais comment attendre acte pareil de toute une caste d'hommes
liés les uns aux autres par une chaîne d'intérêts, par les illusions et les
conventions professionnelles, par les amitiés et les complicités, même par les
crimes ? […] pour l'arrêter, il ne faudra rien moins que la puissance
collective, insurmontable, d'une révolution.
[…] il faut que les opprimés se relèvent par leur propre force, que les spoliés reprennent leur bien, que les esclaves reconquièrent la liberté. Ils ne l'auront réellement qu'après l'avoir gagnée de haute lutte.
[…] L'âpre marchand qui sait «tondre un œuf» est redoutable ; mais que dire de toute une compagnie d'exploitation moderne, de toute une société capitaliste constituée par actions, obligations, crédit ? Comment faire pour moraliser ces paperasses et ces monnaies ? Comment leur inspirer cet esprit de solidarité envers les hommes qui prépare la voie aux changements de l'état social ?
[…] Le tigre
peut se détourner de sa victime, mais les livres de banque prononcent des
arrêts sans appels ; les hommes, les peuples sont écrasés sous ces pesantes
archives, dont les pages silencieuses racontent en chiffre, l'œuvre
impitoyable. Si le capital devait l'emporter, il serait temps de pleurer notre
âge d'or, nous pourrions alors regarder derrière nous et voir, comme une
lumière qui s'éteint, tout ce que la terre eut de doux et de bon, l'amour, la
gaieté, l'espérance. L'Humanité aurait cessé de vivre.
[…] La République, comme forme de pouvoir, s'est affermie ; et est en proportion même de son affermissement qu'elle est devenue servante à tout faire. Comme par un mouvement d'horlogerie, aussi régulier que la marche de l'ombre sur un mur, tous ces fervents jeunes hommes qui faisaient des gestes de héros devant les sergents de ville sont devenus gens prudents et timorés dans leurs demandes de réformes, puis des satisfaits, enfin des jouisseurs et des goinfres de privilèges.
[…] République
et républicains sont devenus la triste chose que nous voyons ; et pourquoi nous
en irriterions-nous ? C'est une loi de nature que l'arbre porte son fruit ; que
tout gouvernement fleurisse et fructifie en caprices, en tyrannie, en usure, en
scélératesses, en meurtres et en malheurs.
Dès qu'une institution s'est fondée, ne fût-ce que pour combattre de criants abus, elle en crée de nouveaux par son existence même ; il faut qu'elle s'adapte au milieu mauvais, fonctionne en mode pathologique. Les initiateurs obéissant à un noble idéal, les employés qu'ils nomment doivent au contraire tenir compte avant toutes choses de leurs émoluments et de la durée de leurs emplois. […]
Dès qu'une institution s'est fondée, ne fût-ce que pour combattre de criants abus, elle en crée de nouveaux par son existence même ; il faut qu'elle s'adapte au milieu mauvais, fonctionne en mode pathologique. Les initiateurs obéissant à un noble idéal, les employés qu'ils nomment doivent au contraire tenir compte avant toutes choses de leurs émoluments et de la durée de leurs emplois. […]
C'est chimère d'attendre que l'Anarchie, idéal humain, puisse sortir de la République, forme gouvernementale. Les deux évolutions se font en sens inverse, et le changement ne peut s'accomplir que par une rupture brusque, c'est-à-dire par une révolution. C'est par décret que les républicains font le bonheur du peuple, par la police qu'ils ont la prétention de se maintenir ! Le pouvoir n'étant autre chose que l'emploi de la force, leur premier soin sera donc de se l'approprier, de consolider même toutes les institutions qui leur facilitent le gouvernement de la société. Peut-être auront-ils l'audace de les renouveler par la science afin de leur donner une énergie nouvelle. C'est ainsi que dans l'armée on emploie des engins nouveaux, poudres sans fumée, canons tournants, affûts à ressort, toutes inventions ne servant qu'à tuer plus rapidement. C'est ainsi que dans la police on a inventé l'anthropométrie, un moyen de changer la France entière en une grande prison. On commence par mensurer les criminels vrais ou prétendus, puis on mensure les suspects, et quelque jour tous auront à subir les photographies infamantes. […] La classe qui possède et qui gouverne est fatalement ennemie de tout progrès. […]
Mais les
socialistes, dira-t-on, les amis évolutionnaires et révolutionnaires, sont-ils
également exposés à trahir leur cause, et les verrons-nous un jour accomplir
leur mouvement de régression normale, quand ceux d'entre eux qui veulent
«conquérir les pouvoirs publics» les auront conquis en effet ? Certainement,
les socialistes, devenus les maîtres, procéderont et procèdent de la même
manière que leurs devanciers les républicains : les lois de l'histoire ne
fléchiront point en leur faveur. Quand une fois ils auront la force, et même
bien avant de la posséder, ils ne manqueront pas de s'en servir, ne fût-ce que
dans l'illusion ou la prétention de rendre cette force inutile par un balayage
de tous les obstacles, par la destruction de tous les éléments hostiles. Le
monde est plein de ces ambitieux naïfs vivant dans le chimérique espoir de
transformer la société par une merveilleuse aptitude au commandement ; puis,
quand ils se trouvent promus au rang des chefs ou du moins emboîtés dans le
grand mécanisme des hautes fonctions publiques, ils comprennent que leur
volonté isolée n'a guère de prise sur le seul pouvoir réel, le mouvement intime
de l'opinion, et que leurs efforts risquent de se perdre dans l'indifférence et
le mauvais vouloir qui les entoure. Que leur reste-t-il alors à faire, sinon
d'évoluer autour du pouvoir, de suivre la routine gouvernementale, d'enrichir
leur famille et de donner des places aux amis ?
[… Les ] chefs socialistes qui, se trouvant pris dans l'engrenage des élections, finissent par être graduellement laminés en bourgeois à idées larges […] Nous avons vu naguère le parti républicain se dédoubler, pour constituer, d'une part, la foule des «opportunistes», de l'autre, les groupes socialistes. Ceux-ci seront divisés également en ministériels et antiministériels, ici, pour édulcorer leur programme et le rendre acceptable aux conservateurs ; là, pour garder leur esprit de franche évolution et de révolution sincère. […] Mais qu'ils sachent bien que tout «parti» comporte l'esprit de corps et par conséquent la solidarité dans le mal comme dans le bien : chaque membre de ce parti devient solidaire des fautes, des mensonges, des ambitions de tous ses camarades et maîtres. L'homme libre, qui de plein gré unit sa force à celle d'autres hommes agissant de par leur volonté propre, a seul le droit de désavouer les erreurs ou les méfaits de soi-disant compagnons. Il ne saurait être tenu pour responsable que de lui-même.
VII.
[…] le monde
actuel se divise en deux camps : ceux qui agissent de manière à maintenir
l'inégalité et la pauvreté, c'est-à-dire l'obéissance et la misère pour les
autres, les jouissances et le pouvoir pour eux-mêmes ; et ceux qui revendiquent
pour tous le bien-être et la libre initiative.
Entre ces deux camps, il semble d'abord que les forces soient bien inégales : les conservateurs, se dit-on, sont incomparablement les plus forts. Les défenseurs de l'ordre social actuel ont les propriétés sans limites, les revenus qui se comptent par millions et par milliards, toute la puissance de l'État avec les armées des employés, des soldats, des gens de police, des magistrats, tout l'arsenal des lois et des ordonnances, les dogmes dits infaillibles de l'Église, l'inertie de l'habitude dans les instincts héréditaires et la basse routine qui associe presque toujours les vaincus rampants à leurs orgueilleux vainqueurs. Et les anarchistes, les artisans de la société nouvelle, que peuvent-ils opposer à toutes ces forces organisées ? Rien semble-t-il. Sans argent, sans armée, ils succomberaient, en effet, s'ils ne représentaient l'évolution des idées et des mœurs. Ils ne sont rien, mais ils ont pour eux le mouvement de l'initiative humaine. Tout le passé pèse sur eux d'un poids énorme, mais la logique des événements leur donne raison et les pousse en avant malgré les lois et les sbires.
Entre ces deux camps, il semble d'abord que les forces soient bien inégales : les conservateurs, se dit-on, sont incomparablement les plus forts. Les défenseurs de l'ordre social actuel ont les propriétés sans limites, les revenus qui se comptent par millions et par milliards, toute la puissance de l'État avec les armées des employés, des soldats, des gens de police, des magistrats, tout l'arsenal des lois et des ordonnances, les dogmes dits infaillibles de l'Église, l'inertie de l'habitude dans les instincts héréditaires et la basse routine qui associe presque toujours les vaincus rampants à leurs orgueilleux vainqueurs. Et les anarchistes, les artisans de la société nouvelle, que peuvent-ils opposer à toutes ces forces organisées ? Rien semble-t-il. Sans argent, sans armée, ils succomberaient, en effet, s'ils ne représentaient l'évolution des idées et des mœurs. Ils ne sont rien, mais ils ont pour eux le mouvement de l'initiative humaine. Tout le passé pèse sur eux d'un poids énorme, mais la logique des événements leur donne raison et les pousse en avant malgré les lois et les sbires.
[…] Après
l'écrasement de la Commune de Paris, on put croire dans le monde officiel et
courtisanesque d'Europe que le socialisme, l'élément révolutionnaire de la
société, était mort, définitivement enterré. […] les conservateurs purent se
vanter d'avoir «saigné la gueuse».
[…] Il faut
être bien dévoué soi-même pour avoir le droit d'en vouloir à ceux qui n'osent
pas se déclarer libertaires quand leur travail, c'est-à-dire la vie de ceux
qu'ils aiment, dépend de leur silence. […] Dans telle ville où il n'existe pas
un seul groupe d'anarchistes déclarés, tous les ouvriers le sont déjà d'une
manière plus ou moins consciente. D'instinct, ils applaudissent le camarade qui
leur parle d'un état social où il n'y aura plus de maîtres et où le produit du
travail sera dans les mains du producteur. Cet instinct contient en germe la
révolution future, car de jour en jour il se précise et se transforme en
connaissance. […] ne commencent-ils pas à comprendre que la terre doit
appartenir à celui qui la cultive ?
[…] ce sont
les idées qui font la société. Or, il n'est pas un conservateur qui ne se
lamente de ce que les idées, les mœurs, tout ce qui fait la vie profonde de
l'Humanité, se soit modifié depuis le «bon vieux temps».
[…] La
fonction présente de l'État consistant en premier lieu à défendre les intérêts
des propriétaires, les «droits du capital», il serait indispensable pour
l'économiste d'avoir à sa disposition quelques arguments vainqueurs, quelques
merveilleux mensonges que le pauvre, très désireux de croire à la fortune
publique, pût accepter comme indiscutables. Mais, hélas ! ces belles théories,
autrefois imaginées à l'usage du peuple imbécile n'ont plus aucun crédit : il y
aurait pudeur à discuter la vieille assertion que «prospérité et propriété sont
toujours la récompense du travail». En prétendant que le labeur est l'origine
de la fortune, les économistes ont parfaitement conscience qu'ils ne disent pas
la vérité. A l'égal des anarchistes, ils savent que la richesse est le produit,
non du travail personnel, mais du travail des autres ; ils n'ignorent pas que
les coups de bourse et les spéculations, origine des grandes fortunes, peuvent
être justement assimilés aux exploits des brigands ; et certes, ils n'oseraient
prétendre que l'individu ayant un million à dépenser par semaine, c'est-à-dire
exactement la somme nécessaire à faire vivre cent mille personnes, se distingue
des autres hommes par une intelligence et une vertu cent mille fois supérieures
à celles de la moyenne. Ce serait être dupe, presque complice, de s'attarder à
discuter les arguments hypocrites sur lesquels s'appuie cette prétendue origine
de l'inégalité sociale.
Mais voici
qu'on emploie un raisonnement d'une autre nature et qui a du moins le mérite de
ne pas reposer sur un mensonge. On invoque contre les revendications sociales
le droit du plus fort, et même le nom respecté de Darwin a servi, bien contre
son gré, à plaider la cause de l'injustice et de la violence. La puissance des
muscles et des mâchoires, de la trique et de la massue, voilà l'argument
suprême ! En effet, c'est bien le droit du plus fort qui triomphe avec
l'accaparement des fortunes. Celui qui est le plus apte matériellement, le plus
favorisé par sa naissance, par son instruction, par ses amis, celui qui est le
mieux armé par la force ou par la ruse et qui trouve devant lui les ennemis les
plus faibles, celui-là a le plus de chances de réussir ; mieux que d'autres, il
peut se bâtir une citadelle du haut de laquelle il tirera sur ses frères
infortunés.
[Ainsi est-ce justifié par] les théoriciens de la force […].
[Ainsi est-ce justifié par] les théoriciens de la force […].
[…] «La
force prime le droit», a dit Bismarck après tant d'autres ; mais on peut
préparer le jour où la force sera au service du droit. […] Contre les masses
associées, que pourront les individus isolés, si forts qu'ils soient par
l'argent, l'intelligence et l'astuce ? Les gens de gouvernement, désespérant de
pouvoir donner une morale à leur cause, ne demandent plus que la poigne, seule
supériorité qu'ils désirent avoir. Il ne serait pas difficile de citer des
exemples de ministres qui n'ont été choisis ni pour leur gloire militaire ou
leur noble généalogie, ni pour leurs talents ou leur éloquence, mais uniquement
pour leur manque de scrupules. À cet égard on a pleine confiance en eux : nul
préjugé ne les arrête pour la conquête du pouvoir ou la défense des écus.
En aucune des révolutions modernes nous n'avons vu les privilégiés livrer leurs propres batailles. Toujours ils s'appuient sur des armées de pauvres auxquels ils enseignent ce qu'on appelle «la religion du drapeau» et qu'ils dressent à ce qu'on appelle «le maintien de l'ordre».
En aucune des révolutions modernes nous n'avons vu les privilégiés livrer leurs propres batailles. Toujours ils s'appuient sur des armées de pauvres auxquels ils enseignent ce qu'on appelle «la religion du drapeau» et qu'ils dressent à ce qu'on appelle «le maintien de l'ordre».
[…] Quand
les déshérités se seront unis pour leurs intérêts, […] Quelque puissant que
soit le maître d'alors, il sera bien faible en face de tous ceux qui, réunis
par un seul vouloir, se lèveront contre lui pour être assurés désormais de leur
pain et de leur liberté.
VIII.
Outre la
force matérielle, la pure violence éhontée qui se manifeste par l'exclusion du
travail, la prison, les mitraillades, une autre force plus subtile et peut-être
plus puissante, celle de la fascination religieuse, se trouve à la disposition
des gouvernants. […] la foi comme le grand remède social ; si la bourgeoisie
européenne, naguère composée de sceptiques frondeurs, de voltairiens n'ayant
d'autre religion qu'un vague déisme, a cru prudent d'aller régulièrement à la
messe et de pousser même jusqu'au confessionnal […] Ainsi que dit Flaubert dans une lettre à
George Sand, «il faut être pour le catholicisme sans en croire un mot». […] l'obéissance
parfaite, si souvent recommandée aux enfants de Dieu […]
Une preuve incontestable de l'impuissance réelle des églises, c'est qu'elles ne possèdent plus la force d'arrêter le mouvement scientifique d'en haut ni l'instruction d'en bas : elles ne peuvent que retarder, non supprimer la marche du savoir […]
[…] la
première interdiction formulée par leur dieu : «Tu ne toucheras point au fruit
de l'arbre du savoir». La prodigieuse ironie des choses en fait maintenant les
distributeurs officiels de ces fruits vénéneux. […]
[…] l'idéal
des anarchistes n'est point de supprimer l'école, mais de l'agrandir au
contraire, de faire de la société même un immense organisme d'enseignement
mutuel, où tous seraient à la fois élèves et professeurs, où chaque enfant,
après avoir reçu des «clartés de tout» dans les premières études, apprendrait à
se développer intégralement, en proportion de ses forces intellectuelles, dans
l'existence par lui librement choisie.
[…] des
privilégiés voudraient bien garder pour eux le bénéfice de la science et
laisser l'ignorance au peuple : chaque jour des industriels s'approprient tel
ou tel procédé chimique et, par brevet ou lettres patentes, s'arrogent le droit
de fabriquer seuls telle ou telle chose utile à l'humanité […].
Les
travailleurs, instruits par la vie, sont bien autrement experts que les
économistes de profession sur les lois de l'économie politique. Ils ne se
donnent point souci d'inutiles détails et vont droit au cœur des questions, se
demandant pour chaque réforme si, oui ou non, elle assurera le pain. Les
diverses formes d'impôt, progressive ou proportionnelle, les laissent froids,
car ils savent que tous les impôts sont, en fin de compte, payés par les plus
pauvres. Ils savent que pour la grande majorité d'entre eux fonctionne une «loi
d'airain», qui, sans avoir le caractère fatal, inéluctable qu'on lui attribuait
autrefois, n'en présente pas moins pour des millions d'hommes une terrible
réalité. En vertu de cette loi le famélique est condamné, de par sa faim même,
à ne recevoir pour son travail qu'une pitance de misère. La dure expérience
confirme chaque jour cette nécessité qui découle du droit de la force. Même
quand l'individu est devenu inutile au maître quand il ne vaut plus rien,
n'est-ce pas la règle de le laisser périr ?
[…] La nécessité d'un maître, d'un chef ou capitaine en toute organisation, paraissait hors de doute : un Dieu dans le ciel, ne fût-ce que le Dieu de Voltaire ; un souverain sur un trône ou sur un fauteuil, ne fût-ce qu'un roi constitutionnel ou un président de république, «un porc à l'engrais», suivant l'heureuse expression de l'un d'entre eux ; un patron pour chaque usine, un bâtonnier dans chaque corporation, un mari, un père à grosse voix, dans chaque ménage. Mais de jour en jour le préjugé se dissipe et le prestige des maîtres diminue ; les auréoles palissent à mesure que grandit le jour.
[…] La nécessité d'un maître, d'un chef ou capitaine en toute organisation, paraissait hors de doute : un Dieu dans le ciel, ne fût-ce que le Dieu de Voltaire ; un souverain sur un trône ou sur un fauteuil, ne fût-ce qu'un roi constitutionnel ou un président de république, «un porc à l'engrais», suivant l'heureuse expression de l'un d'entre eux ; un patron pour chaque usine, un bâtonnier dans chaque corporation, un mari, un père à grosse voix, dans chaque ménage. Mais de jour en jour le préjugé se dissipe et le prestige des maîtres diminue ; les auréoles palissent à mesure que grandit le jour.
IX.
L'ignorance
diminue, et, chez les évolutionnistes révolutionnaires […] cet ensemble de transformations, pacifiques ou
violentes, que d'avance on appelle « révolution sociale », et qui
consistera surtout à détruire le pouvoir despotique des personnes et des
choses, et l'accaparement personnel des produits du travail collectif.
Le fait
capital est la naissance de l'Internationale des Travailleurs. […] la future unité normale que désiraient les
philosophes n'eut un commencement de réalisation qu'au jour où des travailleurs
anglais, français, allemands, oubliant la différence d'origine et se comprenant
les uns les autres malgré la diversité du langage, se réunirent pour ne former
qu'une seule et même nation, au mépris de tous les gouvernements respectifs. […]
leurs sentiments d'exécration contre les
maîtres et rois qui de part et d'autre conduisaient leurs sujets à l'abattoir.
[…] Ils
prohibent l'Internationale, mais ce qu'ils ne peuvent prohiber, c'est l'accord
naturel et spontané de tous les travailleurs qui pensent, c'est le sentiment de
solidarité qui les unit de plus en plus, c'est leur alliance toujours plus
intime contre les parasites de diverses nations et de diverses classes. […]
quand ils réclament un salaire supérieur ou la diminution des heures de
travail, ils menacent les patrons de se croiser les bras […] mais on les entoure de troupes, l'arme
chargée, la baïonnette au canon, et on les tient sous la menace constante du
massacre : c'est ce que l'on appelle «protéger la liberté du travail».
[…] le
capitaliste physiquement dispos est sans nulle crainte pour le maintien de son
bien-être ; le boulanger et tous les autres fournisseurs continuent de
s'empresser autour de lui et les soldats de monter la garde à la porte de sa
demeure ; toute la puissance de l'État, même, s'il est nécessaire, celle des
États voisins, se mettent à son service.
[…] les
historiens de la période contemporaine doivent reconnaître que dans les
conditions du milieu la pratique des grèves partielles, entreprises par des
foules aux bras croisés, ne présente certainement aucune chance d'amener une
transformation sociale.
[…] Or, dans
les assemblées où la pensée de chacun se précise en volonté collective,
l'accroissement des salaires n'est point l'idéal acclamé : c'est pour
l'appropriation du sol et des usines, considérée déjà comme le point de départ
de la nouvelle ère sociale, que les ouvriers de tous les pays, réunis en
congrès, se prononcent en parfait accord. […] ont su noblement fêter la journée
du 1er mai
[…] le
tisseur a pris l'étoffe tissée par lui, et l'agriculteur mettra la main sur le
produit du sillon. Tel est l'espoir du travailleur et telle est aussi la
crainte du capitaliste. […]
Dès que
l'esprit de revendication pénétrera la masse entière des opprimés, tout
événement, même d'importance minime en apparence, pourra déterminer une
secousse de transformation : c'est ainsi qu'une étincelle fait sauter tout un
baril de poudre. Déjà des signes avant-coureurs ont annoncé la grande lutte.
Ainsi, lorsque, en 1890. retentit l'appel du «1er mai» lancé par un inconnu
quelconque, peut-être par un camarade australien, on vit les ouvriers du monde
s'unir soudain dans une même pensée. Ils prouvèrent ce jour-là que
l'Internationale, officiellement enterrée, était pourtant bien ressuscitée, et
cela non à la voix des chefs, mais par la pression des foules. […]
Chaque jour peut amener une catastrophe. Le
renvoi d'un ouvrier, une grève locale, un massacre fortuit, peuvent être la
cause de la révolution : c'est que le sentiment de solidarité gagne de plus en
plus et que tout frémissement local tend à ébranler l'Humanité. […] un nouveau
mot de ralliement, «Grève générale», […] maintes fois le monde des capitalistes
en a tremblé. […] pourquoi […] pas demain, surtout si à la grève des
travailleurs s'ajoute celle des soldats ? Les journaux se taisent unanimement
avec une prudence parfaite quand des militaires se rebellent ou quittent le
service en masse. Les conservateurs qui veulent absolument ignorer les faits
qui ne s'accordent pas avec leur désir, s'imaginent volontiers que pareille
abomination sociale est impossible, mais les désertions collectives, les rébellions
partielles, les refus de tirer sont des phénomènes qui se produisent
fréquemment dans les armées mal encadrées et qui ne sont pas tout à fait
inconnus dans les organisations militaires les plus solides.
[…] il existe aussi des œuvres d'association
directe, et celles-ci contribuent également pour une part croissante à la
révolution sociale. […] Néanmoins de très nombreux indices de la société future
se montrent chez les ouvriers, […] les tentatives d'associations plus ou moins
communautaires déjà faites en diverses parties du monde […] beaucoup plus
d'insuccès que de réussites, et il ne saurait en être différemment puisqu'il
s'agit d'une révolution complète, le remplacement du travail, individuel ou
collectif, au profit d'un seul, par le travail de tous au profit de tous. Les
personnes qui se groupent pour entrer dans une de ces sociétés à idéal nouveau
ne sont point elles-mêmes complètement débarrassées des préjugés, des pratiques
anciennes, de l'atavisme invétéré ; elles n'ont pas encore «dépouillé le vieil
homme !» […]
Pour des causes analogues, c'est-à-dire le manque d'adaptation au milieu, la plupart des associations communautaires ont péri […] des «coopératives», sociétés de consommation et autres, qui, elles aussi, eurent des commencements difficiles et qui maintenant ont, en si grand nombre, atteint une prospérité merveilleuse. Sans doute, la plupart de ces associations ont fort mal tourné, surtout parmi les plus prospères, en ce sens que les bénéfices réalisés et le désir d'en accroître l'importance ont allumé l'amour du lucre chez les coopérateurs, ou du moins les ont détournés de la ferveur révolutionnaire des jeunes années. C'est là le plus redoutable péril […]
Néanmoins
les anarchistes studieux et sincères peuvent tirer un grand enseignement de ces
innombrables coopératives qui ont surgi de toutes parts et qui s'agrègent les
unes aux autres, constituant des organismes de plus en plus vastes, de manière
à embrasser les fonctions les plus diverses, celles de l'industrie, du
transport, de l'agriculture, de la science, de l'art et du plaisir et qui
s'évertuent même à constituer un organisme complet pour la production, la
consommation et le rythme de la vie esthétique. […]
Rappelons-nous
l'histoire de la petite société d'amis qui s'était groupée sous le nom de
«Commune de Montreuil». Peintres, menuisiers, jardiniers, ménagères,
institutrices s'étaient mis en tête de travailler simplement les uns pour les autres
sans se donner un comptable pour intermédiaire et sans demander conseil du
percepteur ou du tabellion. Celui qui avait besoin de chaises ou de tables
allait les prendre chez l'ami qui en fabriquait ; celui-ci, dont la maison
n'était plus bien propre, avertissait un camarade, qui apportait le lendemain
son pinceau et son baquet de peinture. Quand le temps était beau, on se parait
du linge propre bien tenu et repassé par les citoyennes, puis on allait en
promenade cueillir des légumes frais chez le compagnon jardinier, et chaque
jour les mômes apprenaient à lire chez l'institutrice. C'était trop beau !
Pareil scandale devait cesser. Heureusement un «attentat anarchiste» avait jeté
l'épouvante parmi les bourgeois, et le ministre dont le vilain nom rappelle les
«conventions scélérates» avait eu l'idée d'offrir aux conservateurs, en présent
de bonne année, un décret d'arrestations et de perquisitions en masse. Les
braves communiers de Montreuil y passèrent, et les plus coupables, c'est-à-dire
les meilleurs, eurent à subir cette torture déguisée qu'on appelle
l'instruction secrète. C'est ainsi que l'on tua la petite Commune redoutée ;
mais, n'ayez crainte, elle renaîtra.
X.
[…] Sous la grande forteresse qu'ont
bâtie les héritiers de la Rome césarienne et papale, le sol est miné partout et
partout on attend l'explosion. Trouverait-on encore, comme au siècle dernier,
des Louis XV assez indifférents pour hausser les épaules en disant : «Après moi
le déluge !» […]
Toutefois nous ne nous leurrons
point d'illusions : nous savons que la victoire définitive nous coûtera encore
bien du sang, bien des fatigues et des angoisses. À l'Internationale des
opprimés répond une Internationale des oppresseurs.
Des syndicats s'organisent de par le
monde pour tout accaparer, produits et bénéfices, pour enrégimenter tous les
hommes en une immense armée de salariés. Et ces syndicats de milliardaires et
de faiseurs, circoncis et incirconcis, sont absolument certains, que par la
toute-puissance de l'argent ils auront à leurs gages les gouvernements et leur
outillage de répression : armée, magistrature et police. Ils espèrent en outre
que par l'habile évocation des haines de races et de peuples, ils réussiront à
tenir des foules exploitables dans cet état d'ignorance patriotique et niaise
qui maintient la servitude. En effet, toutes ces vieilles rancunes, ces
traditions d'anciennes guerres et ces espoirs de revanche, cette illusion de la
patrie, avec ses frontières et ses gendarmes, et les excitations journalières des
chauvins de métier, soldats ou journalistes, tout cela nous présage encore bien
des peines […]
[…] L'évolution s'est faite, la
révolution ne saurait tarder. […] Plus les consciences, qui sont la vraie
force, apprendront à s'associer sans abdiquer, plus les travailleurs, qui sont
le nombre, auront conscience de leur valeur, et plus les révolutions seront
faciles et pacifiques.
Finalement, toute opposition devra
céder et même céder sans lutte. Le jour viendra où l'Évolution et la
Révolution, se succédant immédiatement, du désir au fait, de l'idée à la
réalisation, se confondront en un seul et même phénomène. C'est ainsi que fonctionne
la vie dans un organisme sain, celui d'un homme ou celui d'un monde.
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