En juillet 1846, Henry David Thoreau est emprisonné pour avoir refusé, en signe d'opposition à l'esclavage et à la guerre contre le Mexique, de payer un impôt à l’État américain. Cette expérience sera à l'origine de cet essai paru en 1849 et qui fonde le concept de désobéissance civile. Un texte qui influença Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela, et ne cesse d'inspirer philosophes et politiciens depuis plus d'un siècle et demi.
Cette voix indocile redit obstinément que la politique est l'affaire de tous et pas uniquement celle des gouvernants.
Morceaux choisis
p.5 Objection à l'idée d'entretenir une armée permanente.
L'armée n'est que le bras du gouvernement permanent.
p.6 Les échanges et le commerce [sont gênés] par les obstacles que les législateurs ne cessent de dresser sur leur voie.
p.7 Je réclame, non pas la disparition de tout gouvernement mais la formation immédiate d'un gouvernement meilleur. [...] Un gouvernement dans lequel la majorité dicte toujours la loi ne saurait être fondé en justice.
p.7 Le citoyen doit-il abandonner sa conscience au législateur ? La seule obligation que j'ai le droit de suivre est celle de faire en tout temps ce que je pense être le bien.
p.10 Tous les hommes reconnaissent qu'il existe une droit à la révolution c'est-à-dire le droit de refuser de prêter allégeance au gouvernement et le droit de lui résister lorsque sa tyrannie et son inefficacité sont profondes et insupportables.
p.12 [Certains] vont jusqu'à subordonner la question de la liberté à celle du libre-échange.
p.13 Même lorsque vous votez pour la justice, vous ne faîtes rien pour elle [...] Le sage ne doit pas laisser la justice à la merci du hasard ou souhaiter qu'elle l'emporte grâce au pouvoir de la majorité.
p.15 Il n'est du devoir évident d'aucun homme de se vouer entièrement à l'éradication d'une injustice, fut-elle énorme, [...] Mais il est du devoir de [chacun] de ne pas lui apporter son soutien dans les faits.
p.16 Ceux qui, tout en désapprouvant le caractère et les actes d'un gouvernement, lui offrent leur allégeance et leur soutien, sont sans doute ses plus solides piliers et sont, par ce fait même, les plus sérieux obstacles à la réforme.
p.16 Pourquoi [ceux qui se plaignent] ne dissolvent-ils pas [leur relation avec l’État] en refusant de payer leur écot à son trésor public ?
p.18 Il est de mon devoir, en tout état de cause, de m'assurer que je ne contribue pas au mal que je condamne.
p.18 On ne peut attendre d'un homme qu'il fasse tout; on peut simplement attendre de lui qu'il fasse quelque chose.
p.19 Je rencontre le gouvernement [...] une fois par an - pas plus- en la personne de son collecteur d'impôts. [...] La manière la plus simple, la plus efficace d'exprimer le peu de satisfaction qu'il vous procure et le peu d'amour que vous éprouvez pour lui, est de lui signifier en cette occasion, une fin de non-recevoir.
p.20 Peu importe l'éventuelle modestie du premier mouvement : ce qui a été bien fait une fois le reste pour toujours.
p.20 Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, c'est en prison que l'homme juste est à sa juste place.
p.21 Ceux qui pensent qu'ils perdraient en ce lieu [la prison] toute influence, ceux qui pensent que leur voix n'atteindrait plus les oreilles de l’État, ceux qui pensent qu'ils cesseraient d'êter perçus comme une menace entre les murs de cette prison, ceux-là ne savent pas à quel point la vérité est plus forte que l'erreur, ni quel surcroît d'éloquence et d'efficacité l'on gagne à combattre l'injustice lorsqu'on l'a éprouvée un tant soit peu dans sa chair.
p.21 Si mille hommes refusaient de payer leurs impôts cette année, ils ne commettraient pas un acte aussi violent et sanguinaire que s'ils les payaient et permettaient ainsi à l’État d'exercer sa violence et de faire couler un sang innocent. C'est là, en réalité, la définition même de ce qu'est une révolution pacifique, si tant est qu'une telle révolution soit possible. Si le collecteur d'impôt ou n'importe quel agent de la puissance publique, me demande, comme l'un d'entre eux le fit, "Mais que puis-je faire ?", ma réponse est : "Si vous désirez vraiment faire quelque chose, alors démissionnez de votre charge.". Lorsque le sujet a refusé de prêter allégeance, et lorsque le fonctionnaire a démissionné de sa charge, alors la révolution est achevée.
p.22 Si j'ai envisagé l'emprisonnement du contrevenant plutôt que la saisie de ses biens -même si l'un et l'autre peuvent servir le même but-, c'est parce que les hommes qui postulent la justice la plus pure, et qui de ce fait sont les plus dangereux pour un État corrompu, n'ont en général pas consacré beaucoup de temps à accumuler des biens. A ce genre d'hommes, l’État rend comparativement peu de services, et un impôt, même faible, peut leur sembler exorbitant, surtout s'ils doivent gagner les sommes correspondantes en effectuant un travail spécifique avec leurs mains. A un homme qui vivrait entièrement sans faire usage d'argent, l’État lui-même hésiterait à faire une telle demande. L'homme riche, en revanche -je ne cherche aucune offense en affirmant cela-, est toujours vendu à l'institution qui le rend riche. Fondamentalement, plus il y a d'argent, moins il y a de vertu, car l'argent s'insinue entre un homme et ses buts, et les atteint pour lui [...]
p.23 Lorsque je parle avec les plus libres de mes voisins, je vois bien que, quoi qu'ils puissent dire de l'importance et du sérieux de la question, et quel que soit le respect qu'ils ont pour l'ordre public, le fond du problème est qu'il ne peuvent se passer de la protection que le gouvernement présent leur offre, et ils redoutent les conséquences que pourraient avoir sur leurs biens et familles toute infraction à cet ordre.
p.23 Mais si je nie l'autorité de l’État lorsqu'il me présente sa facture d'impôt, il ne tardera pas à prendre et à dilapider l'ensemble de mes biens, me tourmentant ainsi, moi et mes enfants. C'est dur. Cela rend impossible à un homme de vivre à la fois honnêtement et confortablement, sur le plan matériel. Cela ne vaut pas la peine d'accumuler des biens, car l'on peut être sûr de bientôt devoir les perdre. Vous devez louer votre logement, ou en occuper un à titre gracieux, ne cultiver que de maigres récoltes et les manger rapidement. Vous devez vivre en vous-même, être toujours sur le qui-vive, prêt à partir, sans posséder beaucoup d'affaires.
p.24 Il me coûte moins à tout point de vue de subir le châtiment encouru pour avoir désobéi à l’État qu'il m'en eût coûté d'y obéir. Dans ce dernier cas, je en pourrais que me sentir misérable.
p.26 L'État n'est doué ni d'un esprit supérieur ni d'une honnêteté supérieure mais uniquement d'une force physique supérieure.
p.37 Le progrès qui mène d'une monarchie absolue à une monarchie limitée et d'une monarchie limitée à une démocratie, est un progrès vers le respect authentique de l'individu.
p.38 Il me plaît d'imaginer un État qui pourra enfin se permettre d'être juste envers tous les hommes, et en même temps traiter l'individu avec respect, comme un voisin. Un État, même, qui ne considèrerait pas comme dangereux pour sa propre pérennité qu'un petit nombre d'hommes vivent à l'écart de sa mêlée, sans y intervenir, sans se faire entraîner par lui, tout en accomplissant tous les devoirs qui échoient aux voisins et aux concitoyens. Un État qui porterait ce genre de fruits, et qui accepterait de le voir tomber aussitôt qu'il est mûr, ouvrirait la voie à un État encore plus parfait et encore plus glorieux, que j'ai aussi imaginé, mais encore jamais vu.
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1 commentaire:
Henry david Thoreau dénonce la coercition exercée par l’État sans pour autant citer les théoriciens anarchistes; sans rejeter l'existence d'un gouvernement.
Il dénonce l'usage de l'appareil d’État (forces armées et collecteurs d'impôts) pour le forcer à agir contre sa conscience. Il associe cette oppression à une sorte de tyrannie de la majorité. Il pointe ainsi du doigt les limites de la "démocratie".
Mais s'agit-il réellement de la démocratie ?
Le gouvernement dont il parle c'est l'Union (des États américains), c'est-à-dire les États-Unis d'Amérique. Il s'agit d'une république oligarchique, élective, inspirée du modèle de la République romaine et non de la Démocratie athénienne. Ce sont les parlementaires du Congrès (les 100 sénateurs du Sénat et les 435 "représentants" de la Chambre des représentants) qui décident en lieu et place des 324 millions d’États-uniens réduits au silence et soumis à l'obéissance.
Je devine que la gouvernance à laquelle rêve Henry David Thoreau serait celle de communautés d'hommes libres, sans pouvoir coercitif, vivant en bon voisinage les unes avec les autres.
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