En 1860, quand les quatre essais d’Unto this last paraissent en Angleterre, ils soulèvent un flot de critiques outrées. John Ruskin a eu l’audace de rejeter toutes les assertions de l’économie politique, autoproclamée “science de devenir riche”. On ne pourfend pas impunément les économistes à la mode, John Stuart Mill, Adam Smith, David Ricardo et autre Malthus. Le violent opprobre médiatique a contraint l’auteur des Pierres de Venise à suspendre provisoirement ses écrits d’économie. Mais John Ruskin a toujours considéré Unto this last comme son œuvre capitale.
Cet ouvrage questionne les fondements mêmes de l’économie : la définition de la richesse, de la valeur, la nature du travail, de l’échange, du prix, de la production et de la consommation. Toutes les certitudes de l’évangile mercantile en sortent ébranlées. Dans une Angleterre victorienne en pleine célébration de sa puissance coloniale, militaire, industrielle et commerciale, John Ruskin pointe l’absurdité de la course à la production et attaque la puissance de l’argent. Contre un capitalisme prédateur, fondé sur l’exploitation et l’inégalité, Unto this last oppose une organisation sociale conviviale, basée sur la coopération, le partage, la justice.
« L’esprit des économistes est focalisé en permanence sur l’alimentation des comptes en banque, plutôt que sur l’alimentation des bouches ; et ils tombent dans toutes sortes de filets et de pièges, éblouis qu’ils sont par l’éclat des pièces de monnaie, comme les volatiles par le miroir de l’oiseleur ; ou plutôt (car ils n’ont guère en commun avec les oiseaux) comme des enfants essayant de sauter sur la tête de leur propre ombre : le gain d’argent n’étant que l’ombre du véritable bénéfice, qui est l’humanité. »Unto this last n’a été publié qu’en 1902 en France. C’est une nouvelle traduction que nous proposons. Alors que le dogme des économistes révèle l’étendue de son désastre dans la “crise” omniprésente que nous vivons, il nous a paru important de diffuser ce livre, qui a inspiré d’illustres penseurs anticapitalistes comme Gandhi, William Morris ou Nicholas Georgescu-Roegen.
« Rien dans l’histoire n’a été aussi dégradant pour l’intellect humain que notre acceptation en tant que science des doctrines courantes de l’économie politique. »
« La véritable science de l’économie politique – qui doit encore être distinguée de sa science bâtarde, comme la médecine de la sorcellerie, et l’astronomie de l’astrologie – est celle qui enseigne aux nations à désirer et travailler pour les choses qui conduisent à la vie, et à mépriser et détruire les choses qui amènent à la destruction. »
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Dans son autobiographie, Gandhi évoque l’influence déterminante qu’a exercée Unto this last sur lui. Dans un chapitre intitulé « La magie d’un livre », voici ce qu’il écrit sur l’ouvrage de John Ruskin, qu’il dévora lors d’un voyage en train :
« Impossible de m’en détacher, dès que je l’eus ouvert. Il m’empoigna. De Johannesburg à Durban, le parcours prend vingt-quatre heures. Le train arrivait le soir. Je ne pus fermer l’œil de la nuit. Je résolus de changer de vie en conformant ma nouvelle existence aux idées exprimées dans cet ouvrage.C’était le premier livre de Ruskin que je lisais. Durant toutes mes études, je n’avais presque rien lu en dehors de manuels ; ensuite, je m’étais plongé dans la vie active, et j’avais eu très peu de temps pour lire. Je ne saurais donc me vanter de posséder beaucoup de connaissances livresques (…). Mes lectures limitées m’ont permis de digérer parfaitement les ouvrages qui sont tombés entre mes mains. De ces livres, celui qui a été cause, dans ma vie, d’un bouleversement pratique et immédiat, c’est précisément Unto this last. (…)Je crois que ce livre immense de Ruskin me renvoya alors, comme un miroir, certaines de mes convictions les plus profondes ; d’où la grande séduction qu’il exerça sur moi et la métamorphose qu’il causa dans ma vie. (…)Je me levai avec l’aube, prêt à mettre ces principes en pratique. »Gandhi, Autobiographie ou mes expériences de vérité (traduit de l’anglais par G. Belmont), Presses universitaires de France, 1950.
Source : http://www.lepasdecote.fr/?p=144
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