Lettre ouverte au ministre de l’Education nationale, accessoirement à ses experts de tout poil, à ses complices politiques, à beaucoup de profs, à beaucoup de parents…
Vous rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que vous êtes le maître absolu de 80% du temps quotidien[1] des enfants et adolescents de tout un pays que vous transformez en élèves ?
Vous
rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que vous leur imposez et leur
programmez tous leurs faits et gestes, ce qu'ils doivent faire et ne
pas faire, que vous les condamnez à rester assis, entassés dans des
sortes de stabulation, à écouter et à exécuter ce que vous décidez soi
disant pour leur bien pendant ces 80% ?
Vous
rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que vous leur faites subir à
jets continus des contrôles techniques aberrants (que vous appelez
évaluation) que l’on refuserait pour nos voitures ?
Vous
rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que vos Raspoutines, qui se
disent scientifiques et vous inspirent ces contrôles techniques avec les
réparations à effectuer, croient et font croire qu’en mettant quelques
enfants dans les conditions qui les arrangent avec quelques électrodes
sur le crâne, ils ont lu sur des écrans comment tous les enfants
fonctionnent et ce qu’il faut qu’on leur fasse faire pour être conformes
à ce qu’on attend d’eux ?
Croyez-vous
vraiment, Monsieur le Ministre, que, lorsque la moyenne des tableaux où
les enfants sont transformés en chiffres vous fait remonter dans des
échelles PISA ou autre, leur sort présent et futur va s’améliorer ?
Avez-vous
pu, Monsieur le Ministre, voir comment vos enfants ont appris à parler
et à marcher ? Vous est-il arrivé de voir vivre d’autres enfants qui ne
sont pas dans vos beaux quartiers ?
Vous
pouvez penser, Monsieur le Ministre comme bien d’autres, que, parce que
vous vous êtes docilement plié enfant à ce qu’un autre ministre vous
imposait, vous êtes devenu ce que vous êtes. Mais, en dehors des beaux
appartements où vous pouvez rentrer le soir, pensez-vous être si bien
que ça dans votre peau ? Pensez-vous que les mêmes enfants que vous qui
devenus grands dorment dans le rue, font la queue à Pôle emploi, ont été
moins dociles que vous ? Moins intelligent que vous ?
Vous
rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que vous condamnez enfants,
adolescents et même parents à n’avoir comme seuls principaux objectifs
et angoisses de leur vie d’éviter des sanctions, de faire des devoirs,
de réussir des contrôles, d’obtenir des bouts de papier appelés
diplômes ? Vous rendez-vous compte que l’école occupe toute leur vie,
tout leur corps, toute leur tête ? Pensez-vous qu’une essence
supérieure que vous auriez acquise vous donne le droit et le pouvoir
d’édicter les faits et gestes, les comportements, ce qu’il y a à penser,
à toute une population enfantine ? Cela ne vous effraie pas de prendre
cette responsabilité quasi divine d’un conducteur de troupeau qui sait
où le troupeau doit aller, doit manger ?
Vous
est-il venu à l’idée, Monsieur le Ministre, que l’école qui occupe
pratiquement seule tout le temps des enfants et adolescents sous vos
ordres, est celle qui fait ce que la société est, où seuls vous et
quelques autres êtes confortablement installés ? Est-ce parce que vous
le savez que vous accentuez sans cesse l’emprise que vous avez sur ceux
qui seront dans cette société… pour qu’ils n’aient aucune capacité de la
changer ? Avez-vous peur qu’en laissant les enfants un peu moins sous
votre coupe et celle de vos complices, en les laissant un peu plus
librement s’adonner à leur soif de curiosité, à leurs envies, à leurs
plaisirs, à leurs rires, à leurs tâtonnements, en les laissant être
enfants plutôt qu’élèves, ils pourraient se construire différemment que
le moule dans lequel vous voulez les couler, ils pourraient imaginer et
réaliser plus tard une autre société que celle à laquelle l’école les
formate et les destine ? Mais vous-même, Monsieur le Ministre qui avait
été un bon élève obéissant, êtes-vous capable d’imaginer autre chose que
ce qui vous a conduit à ce que vous pensez être un sommet, êtes-vous
capable d’imaginer une autre école, une autre société pour le bien être
de tous ? Êtes-vous capable d’imaginer quoi que ce soit ?
Vous
rendez-vous compte, Monsieur le Ministre, que la mère de tous les
enfants c’est vous et votre école qui les capturez ? Vous voulez même
les capturer dès 3 ans, vous pourriez même le faire dès leur naissance.
Mais
peut-être, puisque l’école vous aurait rendu intelligent à défaut de
vous rendre humain, vous pouvez vous rendre compte de tout cela.
Peut-être avez-vous un reste d’humanité qui pourrait vous déciller, un
tout petit peu d’audace qui ne vous ferait même pas perdre votre
situation que vous avez peut-être durement acquise (finalement,
avez-vous eu, vous-même enfant, le temps de vivre ? Avez-vous été enfant
ou toujours élève ?).
Alors, Monsieur le Ministre, puisque vous avez un pouvoir que nous vous avons malencontreusement donné, LAISSEZ LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS QUI NE SONT PAS DES ÉLÈVES (des objets) UN PEU PLUS TRANQUILLES.
En même temps vous laisseriez leurs parents aussi un peu plus
tranquilles, malgré l’enfer du métro-boulot-dodo, les soucis de la
subsistance (que vous n’avez pas); ils pourraient vivre un peu avec leurs
enfants au lieu que ce maigre temps soit encore occupé par l’école, par
vous.
C’est facile, Monsieur le Ministre, puisque vous avez tous les leviers entre vos mains.
Vous
ne seriez même pas révolutionnaire si vous desserreriez simplement
l’obligation de vos programmes qui veulent tout prévoir, tout conduire,
tout imposer. Vous ne seriez même pas révolutionnaire si vous cessiez de
vouloir évaluer à tout bout de champ ce que vos apprentis-sorciers
scientifiques vous disent qu’il faut contrôler pour s’assurer de la
conformité de tous comme ils croient l’avoir vu dans leurs éprouvettes.
Vous ne seriez même pas révolutionnaire si vous admettiez qu’aucun
enfant n’apprend ce que vous voulez qu’il apprenne aux mêmes moments,
aux mêmes rythmes, de la même façon, comme vous croyez qu’ils
apprennent, ce dont il n’est même pas besoin d’être scientifique pour le
constater. Êtes-vous certain d’ailleurs de savoir ce qu’ils DOIVENT
apprendre pour devenir des adultes autonomes faisant LEUR société ? Vous
ne seriez même pas révolutionnaire si vous lâchiez un peu la bride à
tous ces profs qui savent qu’un enfant est un être vivant qui se
construit plutôt qu’on le fabrique et si vous laissiez les parents et
les enfants qui le veulent choisir ces profs. Vous ne seriez même pas
révolutionnaire si vous laissiez un peu plus les parents rentrer dans
l’école plutôt que de leur arracher leurs enfants devant une grille et
les accuser ensuite d’irresponsabilité. Vous ne seriez même pas
révolutionnaire si vous diminuiez un peu le temps de l’école pour
laisser du temps aux enfants (il est vrai qu’il faudrait quand même que
vos collègues qui gèrent et décident le temps des adultes, qui gèrent
l’espace des cités, se rendent compte à quel point ils sont aussi les
maîtres tout puissants de la vie des autres). Vous ne seriez même pas
révolutionnaire si dans le temps de l’école vous laissiez se développer
un peu de temps à la seule initiative des enfants, même si c'est pour ce
que vous appelez jouer ou ne rien faire. Vous ne seriez même pas
révolutionnaire si vous cessiez de vouloir supprimer les dernières
petites écoles où les enfants ont un peu plus le temps de vivre ensemble
et d’évoluer à leur rythme, si vous cessiez de vouloir les concentrer
et de les entasser dans des usines à enfants. Vous ne seriez même pas
révolutionnaire, simplement si vous diminuiez la pression que vous
mettez en continu sur tous.
Qu’est-ce
que vous risquez ? Qu’est-ce que les enfants risquent ? Qu’est-ce que
le pays risque ? Cherchez bien ! Si avec votre école tout le monde est
heureux, tous les enfants heureux, tous les adultes heureux, alors oui,
ne prenez aucun risque. Mais prenez enfin conscience que votre école ne
peut être une fabrique d’objets, une chaîne industrielle dont il suffit
de programmer, même scientifiquement, ce qui va être opéré dans chaque
maillon sur les objets-élèves que vous voulez fabriquer. Mais au fait,
savez-vous, vous avez-nous dit ce qui doit ressortir à l’extrémité de
votre chaîne ?
Ce
ne serait même pas révolutionnaire, nous le savons bien que vous n’êtes
pas révolutionnaire, mais, dans l’immédiat, vous permettriez aux
enfants, aux profs, aux parents de respirer un peu, de déstresser un
peu, d’être moins conduits à réagir à l’étau qui les compresse… avec un
pistolet jouet. Avez-vous conscience que le crime qu’avait commis cet
enfant qui a pété les plombs c’était d’être absent un peu de temps de la
prison école ? L’autorité que vous réclamez c’est celle de geôliers, ne
vous étonnez pas que des enfants veuillent s’évader et se comportent
ensuite comme des fugitifs en cavale ou des brigands de grands chemins.
Victor Hugo disait que lorsqu’on ouvre une école, on ferme une prison,
mais pas quand l’école est une autre prison.
Monsieur le Ministre, réveillez-vous enfin et laissez-les un peu vivre, à l’école, en dehors de l’école.
Bernard Collot
[1]
Une journée de 24 H. Si l’école commence à 8H30, beaucoup d’enfants y
sont « déposés » avant pour être « gardés » puisque les parents, eux,
sont partis au travail. 16H30 pour les plus jeunes, plus tard pour les
collégiens et lycéens, mais ce n’est pas pour ça qu’ils sont tous
libérés, il faudra qu’ils soient encore gardés parfois jusqu’à 18 H,
pour être « repris » épuisés par les parents revenus du travail eux
aussi épuisés. L’école va même se prolonger chez eux par l’intermédiaire
des « devoirs » que vous laissez complaisamment donner. Repas, coucher
vers 21 h, lever 7H pour recommencer. Qu’est-ce qui leur reste comme
temps que vous ne dirigez pas ?
1 commentaire:
Le bétail est dit en stabulation lorsqu'il est maintenu saisonnièrement ou en permanence dans un espace restreint et clos couvert ou non. Les bâtiments ou parcs enclos dévolus à la stabulation s'emploient dans plusieurs types d'élevages : bovins, ovins, caprins…
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