À la télévision ou dans la bouche des politiciens, c'est souvent la
foire au n'importe quoi. Économie, écologie, démocratie, liberté de la
presse, Union européenne etc., on bouscule les idées reçues dans la
version 2019 de "L'état (d'urgence) de la France" :
En 2019, la
peur de la fin du monde côtoie désormais les angoisses de la fin du
mois. À l’échelle de la planète, presque deux tiers des populations
d’animaux sauvages ont disparu en moins d’un demi-siècle (1). Les
populations d’abeilles, d’insectes en général ou d’oiseaux, entre
autres, s’effondrent. Dans 30 ans, il y aura davantage de plastique que
de poissons dans les océans (2). La pollution de l’air, des sols et de
l’eau (3) constituent autant de menaces mortelles pour les générations
futures. Si les écosystèmes subissent une telle pression, c’est au nom
d’une prospérité économique très inégalement répartie. Alors que les
plus hauts patrimoines ne cessent de croître partout dans le monde, même
des pays parmi les plus riches connaissent de graves difficultés. Dans
les grands médias, la France est régulièrement présentée comme un pays
surendetté et ne disposant d’aucune marge de manœuvre. Le gouvernement
serait obligé de réduire les dépenses publiques s’il veut financer une
transition écologique. Qu’en est-il en réalité ? On fait le point.
Finances publiques : (encore) le casse du siècle ?
Pour bien comprendre, il faut regarder le projet de budget de l’État
pour 2019. Les recettes prévues s’élèvent à environ 290 milliards
d’euros, contre 390 milliards de dépenses (4). Les principales recettes
sont la TVA (130 milliards), l’impôt sur le revenu (70 milliards) et
l’impôt sur les sociétés (30 milliards). Parmi les dépenses, environ 50
milliards sont consacrés à l’enseignement scolaire, 35 à la défense, 30 à
la recherche et à l’enseignement supérieur ou encore 7 à la justice.
Concernant le budget de la sécurité sociale, il sera à l’équilibre en
2019 avec environ 510 milliards d’euros de recettes et de dépenses (5),
malgré une fraude patronale aux cotisations sociales (de la fausse
déclaration au travail illégal) qui coûterait au moins 20 milliards
d’euros par an (6).
Quelles sont les conséquences sur la dette ?
290 milliards d’euros de recettes pour 390 milliards de dépenses dans
le budget général de l’État, cela engendre un déficit public de l’ordre
de 100 milliards d’euros en 2019 (contre environ 80 milliards en 2018 et
moins de 70 milliards en 2017). Une fois empruntés, ils seront ajoutés à
la dette publique, laquelle pèse déjà aujourd’hui plus de 2 350
milliards d’euros (7). En 2019, les seuls intérêts de cette dette vont
coûter plus de 40 milliards d’euros, soit quatre fois le budget consacré
à l’écologie et au développement durable. Néanmoins, on ne peut pas
parler d’État en faillite. Le patrimoine total des administrations
publiques et des ménages français dépasse les 12 000 milliards d’euros,
soit six fois le montant de la dette publique (8). La dette est avant
tout un moyen de pression utilisé auprès du grand public par des
politiciens au service de grandes puissances d’argent qui cherchent
notamment à mettre la main sur certains services publics.
Faut-il donc faire des économies ?
Comment ? En diminuant encore le nombre de services publics dans les
territoires ruraux ? En fermant encore des écoles, des maternités ou
des hôpitaux publics ? En aidant encore moins les personnes malades ou
en situation de handicap, les retraités, les chômeurs, les étudiants,
les travailleurs ou les petites entreprises ? En exerçant toujours plus
de pression sur des militaires ou des policiers détournés de leurs vrais
métiers ? En cessant d’entretenir des routes et des ponts ? S’il est
indéniable que la lutte contre le gaspillage pourrait permettre
d’économiser quelques millions d’euros dans certaines administrations,
force est de constater que c’est surtout du côté des recettes qu’il y a
un grave problème.
Quelle est la principale cause de ce déficit public de 100 milliards en 2019 ?
L’évasion et l’optimisation fiscale agressive des multinationales (80
milliards par an) ainsi que la fraude fiscale de riches particuliers
représentent un manque à gagner global estimé à 100 milliards d’euros
chaque année (9). C’est presque 140 fois le montant cumulé des fraudes
détectées à la Sécurité sociale et à Pôle Emploi en 2016 (10). 100
milliards par an, c’est un préjudice de 221 euros par mois pour chacun
des 37,7 millions de foyers fiscaux français. À eux seuls, les 3520
ménages français les plus riches cacheraient pas moins de 140 milliards
d’euros dans des paradis fiscaux (11).
N’est-il donc pas pertinent de vouloir baisser à tout prix les dépenses publiques ?
Non, il faudrait au contraire augmenter les recettes en luttant pour
que tout le monde paie ses impôts, y compris les multinationales et les
plus fortunés. Si ces 100 milliards d’évasion fiscale venaient plutôt
remplir les caisses de l’État, le budget serait à l’équilibre. Il n’y
aurait donc ni déficit, ni augmentation de l’endettement. D’après une
étude très récente, le montant du préjudice s’élèverait même à 120
milliards d’euros chaque année (12). Avec une méthode de calcul
différente, on peut même atteindre le chiffre à peine croyable de 200
milliards par an (13). Et ce n’est pas tout. En réformant l’impôt pour
plus de justice, en supprimant les niches fiscales injustes ou
inefficaces, en taxant les transactions financières ou en cessant de
subventionner les énergies fossiles, 100 autres milliards pourraient
être ajoutés chaque année aux recettes de l’État (9). La dette publique
de la France est donc en grande partie illégitime. Elle n’est pas celle
des Français.
La France n’est-elle pas un enfer fiscal ?
Cet argument ne tient pas une seule seconde, et encore moins lorsqu’il
est brandi par un exilé fiscal. Cause et conséquence sont inversées.
C’est justement parce que 100 milliards d’euros échappent chaque année à
l’État que la pression fiscale est forte pour celles et ceux qui
contribuent au fonctionnement de la société. Dans un centre-ville, on
peut voir une multinationale évadée fiscale à côté d’un petit commerçant
qui n’est pas épargné par l’impôt sur les bénéfices. Même la
concurrence, pourtant si chère aux « libéraux », est totalement faussée.
Or, si la multinationale payait sa part, comme tout le monde, l’effort
serait alors partagé. Le taux d’imposition légal pourrait mécaniquement
être diminué, et la France ne pourrait alors plus être qualifiée d’enfer
fiscal par ceux qui en sont les principaux responsables.
Cela n’entraînerait-il pas des destructions d’emplois dans les grands groupes et une hausse du chômage ?
Il s’agit d’un chantage auquel il ne faut absolument pas céder, car
l’évasion fiscale est justement la première cause du chômage de masse.
Il vaut mieux se demander combien d’emplois n’existent plus dans les
services publics ou n’existent pas dans les très petites, petites et
moyennes entreprises (TPE-PME) parce qu’elles croulent sous une pression
fiscale injuste. Rappelons que plus de 70 % de l’emploi dans le secteur
privé en France, pays qui compte plus de 5 millions de chômeurs pour
seulement 150 000 à 250 000 postes non pourvus (14), est concentré dans
ces plus petites entreprises (15). Forcément, sans évasion fiscale, et
donc avec une baisse des taux d’imposition, de l’emploi y serait
massivement crée. Le commerce en circuits courts exploserait. Des
initiatives locales moins gourmandes énergétiquement se développeraient
partout sur le territoire et constitueraient des alternatives
responsables aux produits fabriqués à l’autre bout du monde puis
importés par des porte-conteneurs géants. Il ne faut pas non plus
oublier « l’utilité » du chômage pour les grandes puissances d’argent et
leurs relais politiques. Un taux élevé de demandeurs d’emploi permet de
tirer les rémunérations et les conditions de travail vers le bas grâce à
la mise en concurrence des travailleurs. Ainsi, dans des pays qui ont
déjà subi les réformes ultra-libérales comme l’Allemagne ou la
Grande-Bretagne, le chômage a certes baissé mais le nombre de
travailleurs pauvres a explosé (16). En réalité, le meilleur moyen de
lutter contre la précarité et la pollution, c’est de faire la guerre aux
évadés fiscaux.
Pourquoi la lutte contre l’évasion fiscale n’est-elle pas la priorité ?
Par manque de réelle volonté politique face à la toute-puissance des
multinationales. Les grandes puissances d’argent ont une emprise sur les
deux grands partis de droite et de gauche qui avaient l’habitude de se
partager le pouvoir. Depuis longtemps, au moment des élections, le parti
d’extrême-droite était agité tel un chiffon rouge afin de provoquer un «
sursaut démocratique » et d’assurer la victoire de la « droite
républicaine » ou du Parti socialiste. Lorsque les milieux d’affaires
ont compris, sous le mandat de François Hollande, que jouer avec le feu
ne suffirait peut-être plus, l’idée de fabriquer un nouveau candidat
comme un produit s’est imposée. Il devait être jeune, dynamique, issu de
la société civile, ni de droite, ni de gauche, etc. La suite, tout le
monde la connaît. Aujourd’hui plus que jamais, de l’Élysée (17) au
Parlement, en passant par Matignon et les différents ministères, on ne
compte plus celles et ceux qui sont liés aux grandes multinationales.
Même le président de l’Union européenne est personnellement impliqué
dans le scandale de l’évasion fiscale (18). Ces gens-là n’ont aucun
intérêt à voir ce sujet faire son entrée dans le débat public. L’ampleur
du pillage et ses conséquences doivent être en permanence masqués par
de grands discours plein de bonne volonté ou le déclenchement de
polémiques inutiles. On invente en permanence un nombre incalculable de
raisons totalement fausses aux problèmes du pays en omettant
systématiquement la principale, ces 100 milliards qui s’envolent chaque
année vers des paradis fiscaux.
Peut-on lutter contre l’évasion fiscale sans changer la loi ?
Si tout le monde réalisait vraiment l’ampleur du phénomène, on pourrait
lutter contre les multinationales et l’évasion fiscale sans même
attendre que les élus votent des lois. Chaque personne dotée du strict
minimum de bon sens se dirait alors : « Aussi longtemps que je devrai
payer plus d’impôts et de taxes pour compenser ce qu’ils refusent de
payer, je ne consommerai plus leurs produits. » Cela s’appelle « se
gouverner soi-même », et on parle bien ici de boycott (19). Frapper ces
multinationales au portefeuille serait sans aucun doute une stratégie
extrêmement efficace. Une baisse sensible du chiffre d’affaires des
grands groupes entraînerait l’impossibilité de verser des dividendes aux
actionnaires. Ils devraient alors réagir très vite. Soit ils paient,
soit ils partent. Le boycott, c’est l’arme fatale dans une société de
consommation.
Et si certaines entreprises partent plutôt que de payer leurs impôts ?
On parle d’impôts sur les bénéfices, cela veut donc dire qu’il y a des
bénéfices. S’imaginer que les grands groupes vont abandonner des
milliards d’euros de profits potentiels sur un marché aussi important
que celui de la France simplement parce qu’il y en aurait un peu moins,
c’est une malhonnêteté intellectuelle. Mais nous ne sommes pas obligés
de retenir tout le monde, car il ne s’agit pas que de grandes firmes qui
plombent notre budget, détruisent notre économie et nos services
publics. Il s’agit également de groupes aux pratiques souvent
parfaitement indéfendables (20) qui, pour éviter d’avoir à se confronter
à la justice, incitent les États à programmer leur propre impuissance
en signant des traités instaurant des tribunaux privés (21) ou des
directives protégeant le « secret des affaires » (22). Si certaines
multinationales décidaient de réduire la voilure, elles libéreraient
alors des locaux dans des endroits stratégiques pour des activités plus
utiles à la société (23).
Les grands médias ne font-ils pas bien leur travail sur l’évasion fiscale ?
C’est délicat. Le fait que la quasi-totalité des grands médias français
soient détenus par une poignée d’industriels (24) qui pratiquent
l’évasion fiscale est un grave problème. Tout d’abord, il ne faut pas
sous-estimer le nombre de personnes présentées comme cultivées ou
expertes et qui ignorent les deux chiffres fondamentaux du déficit
public et de l’évasion fiscale. Ensuite, pour celles qui n’ignorent rien
de ce fléau et qui travaillent dans des médias détenus par des
champions de l’évasion fiscale, on peut imaginer que la situation doit
parfois être compliquée. Un journaliste grand public sait pertinemment
qu’il mettrait sa carrière et/ou sa sécurité financière en danger s’il
faisait de ce sujet son cheval de bataille. Il y a également les risques
de procédures-bâillons (25), quand ce n’est pas pire. À cela, il faut
ajouter les pressions qu’une rédaction peut subir de la part de sa régie
publicitaire. Les grands médias sont déficitaires et vivent de la
publicité. Dire du mal d’une entreprise qui débourse des millions
d’euros chaque année dans ce secteur est donc très risqué (26). Il faut
bien comprendre que si des industriels milliardaires ou des banques
acceptent de perdre de l’argent dans des médias qui ne sont pas
rentables, c’est qu’ils y gagnent autre chose.
Y a-t-il de la malhonnêteté chez certains « grands journalistes » ?
Il est indéniable que quelques « éditocrates » vedettes sont tout à
fait malhonnêtes. Ces derniers font beaucoup de mal à la profession et
ne font clairement pas le même métier que les journalistes qui prennent
encore des risques pour révéler des scandales. Ces gens-là se moquent de
la vérité. On peut les entendre dire qu’en s’attaquant aux GAFAM
(Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), le gouvernement lutte
contre l’évasion fiscale. Or, les géants du fast-food, de l’habillement,
de l’ameublement ou les banques ne sont pas des GAFAM, et ne sont donc
pas concernés par ces mesures. Ils peuvent également disserter pendant
des heures lorsqu’une vitre est brisée pendant une manifestation, mais
ne parlent jamais de l’ampleur de la casse sociale ou de la destruction
du monde par les multinationales. Ils utilisent quelques mots-clés pour
tenter de décrédibiliser quiconque ne pense pas comme eux. Dire que les
élus ne représentent plus le peuple aujourd’hui, c’est du « populisme ».
Affirmer que la baisse des dépenses publiques n’est pas la seule
option, c’est de la « démagogie ». Émettre l’hypothèse que la société
pourrait mieux fonctionner, c’est de « l’utopie ». Ils n’ont pas compris
qu’aujourd’hui, les utopistes sont ceux qui pensent qu’ils vont pouvoir
continuer à semer la misère et le chaos sans que les peuples ne se
révoltent.
Comment ces « éditocrates » imposent-ils le dogme néo-libéral ?
En martelant cette idée folle que la croissance infinie du PIB (le
produit intérieur brut est la somme des richesses créées au cours d’une
année) est possible dans un monde aux ressources limitées et qu’elle est
une obligation vitale pour la société. Mais imaginons par exemple que
chaque ville, plutôt que d’effectuer des appels d’offres auprès de
grands groupes privés mondialisés, puisse librement nouer des relations
avec des agriculteurs locaux afin d’approvisionner ses cantines d’écoles
et administrations publiques. Les produits locaux étant moins longtemps
conservés, on aurait besoin de moins d’électricité, et donc, à terme,
de centrales nucléaires. Le local, c’est aussi moins de transports, donc
moins de camions sur les routes, moins d’essence brûlée, moins de
pétrole importé, moins d’ingérences dans certains pays étrangers et
moins de conflits. Bien entendu, il y aurait moins de pollution, donc
moins de gens malades et moins de médicaments vendus. La simple
généralisation d’une mesure de bon sens comme celle-ci aurait très
certainement un impact négatif sur la croissance de l’économie, mais
serait pourtant profitable à la population. Si la croissance est
présentée comme un Graal, c’est parce qu’elle permet le remboursement
des crédits sur lesquels elle est assise et fait exploser les
rémunérations des actionnaires et de dirigeants devenus surpuissants. Or
aujourd’hui, il ne faut pas produire toujours plus, il faut répartir
mieux (27).
Faudrait-il alors aussi partager le temps de travail ?
C’est inéluctable. Une société qui a produit l’ensemble des biens et
services nécessaires à son bon fonctionnement s’arrête de travailler si
elle est libre. Dans le cas contraire, si elle continue de produire,
dans le seul but d’enrichir des actionnaires, au détriment de l’intérêt
de général, de la santé publique et de l’environnement, c’est qu’elle
est l’esclave de quelques maîtres. Sans le fonctionnement actuel du
système monétaire, la quête de profits, les effets de mode,
l’obsolescence programmée ou le gaspillage massif inhérent à la société
de consommation, une moindre quantité de travail suffirait à loger,
nourrir, éduquer et soigner tout le monde. Avec une répartition plus
juste des richesses, le temps de travail pourrait donc être diminué et
mieux réparti, laissant à chacun plus de temps libre pour vivre sa vie.
L’autogestion des entreprises et le salaire à vie (28) pourraient
accompagner cette transition.
Les multinationales sont-elles le plus grand fléau des temps modernes ?
Ces firmes sont le bras armé d’un capitalisme sauvage. Dans l’espoir de
transformer toujours plus de citoyens en simples consommateurs, elles
nous inondent de publicités. Notre libre arbitre est mis à mal. Trouver «
cool » des chaussures de marque fabriquées par des enfants réduits en
esclavage, ce n’est pas normal. Rêver d’avoir un 4x4 quand on habite en
ville ou de pouvoir prendre l’avion plusieurs fois par an, ce n’est pas
normal non plus. Banaliser la consommation de viande, et encore plus
lorsqu’elle est issue d’élevages industriels dans lesquels les animaux
vivent et meurent dans des conditions insupportables, c’est insensé.
Pourtant, ce mode de vie si nuisible est encore et toujours présenté
comme moderne et, surtout, comme le seul possible. Dans une démocratie,
une population correctement informée ne se laisserait jamais influencer
dans de telles proportions.
Le Président de la République n’est-il pas démocratiquement élu ?
Non. La notion de « démocratie représentative » est une tromperie.
Emmanuel Macron a conquis le pouvoir en 2017 avec les suffrages de
seulement 18,2 % des inscrits au premier tour de l’élection
présidentielle (29). Au second tour, seulement 18 % de ses électeurs ont
voté pour lui par adhésion à son projet, soit moins de 8 % des inscrits
(30). Quant à ses troupes, elles ont obtenu la majorité des sièges à
l’Assemblée nationale grâce aux voix de seulement 13 % des inscrits au
premier tour des élections législatives (31). Le pouvoir dont disposent
ces gens ne repose sur aucune légitimité démocratique. La démocratie,
c’est le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. Donc, dans
une démocratie, quand les gens votent, c’est pour choisir la loi, pas
pour choisir qui va les représenter. Quand on vote pour choisir ses
représentants, le régime est représentatif. Et qu’on ne fasse pas le
coup de comparaison avec les dictatures, car il s’agit d’une caricature.
Le régime représentatif, ce n’est ni la démocratie, ni la dictature,
c’est le régime représentatif, point.
Pourquoi le régime représentatif est-il présenté comme une démocratie ?
Changer le sens des mots est une ficelle vieille comme le pouvoir.
Lorsque tout est fait, depuis l’école puis dans les grands médias, pour
nous faire croire que nous vivons dans une démocratie, on finit par y
croire. On se dit alors que le pouvoir est légitime. D’ailleurs, on
aurait le choix entre ça ou la dictature. Or, quand on sait qu’on vit
dans un régime représentatif, on sait alors aussi qu’on ne vit pas en
démocratie. On peut alors se demander à quoi pourrait bien ressembler
une démocratie, une vraie. Et on réalise alors qu’une alternative
positive est possible. Et comme un pouvoir ne tient bien souvent que
parce que suffisamment de monde croit en sa légitimité, son pire
cauchemar est que plus personne n’y croit. Car il devrait alors soit
laisser sa place, soit dévoiler son côté autoritaire et violent (32).
Le langage est-il utilisé comme une arme par le pouvoir ?
Bien entendu. Au cours des dernières décennies, c’est tout un pan du
vocabulaire courant qui s’est transformé (33). Dans la bouche des
politiciens ou des éditocrates, les « gardiens de la paix » sont devenus
des « forces de l’ordre », les « cotisations sociales » sont désormais
des « charges sociales », la « vidéo-surveillance » s’est muée en «
vidéo-protection », le mot « anarchie » est constamment employé à tort
en lieu et place du mot « anomie » pour désigner le chaos ou le désordre
social, etc. Les exemples sont innombrables et rappellent bien entendu
la novlangue décrite par Georges Orwell dans son roman « 1984 ». On
attribue également les mêmes qualificatifs à des personnes que tout
oppose, comme le mot « extrémiste ». Ainsi, une personne qui milite
contre la toute puissance des banques et des multinationales, la
souffrance animale ou la destruction de l’environnement est considérée
comme faisant partie des « extrêmes », au même titre qu’une personne qui
voudrait qu’on laisse mourir en mer des êtres humains qui fuient la
misère ou la guerre.
La situation peut-elle déraper ?
Sans
basculement vers un pouvoir démocratique, cela semble malheureusement
possible. Le pouvoir représentatif permet aux plus riches de contrôler
le pouvoir politique, notamment grâce au monopole des médias, au
pantouflage, au lobbying ou aux financements de partis et de campagnes
électorales. Par définition, si les élus représentent les intérêts de
ceux qui les ont fait élire, ils ne représentent donc pas l’intérêt
général. Cela crée inéluctablement des tensions au sein de la population
lésée. Le pouvoir tente alors de diviser pour mieux régner. Cela
implique l’invention de boucs-émissaires, comme les étrangers, créant
ainsi un terreau fertile dans lequel peuvent proliférer les idées
d’extrême-droite. On monte également les travailleurs contre les
chômeurs ou ces mêmes chômeurs contre les fonctionnaires.
Faut-il sortir de l’Union européenne ?
Si l’Union européenne constitue bien aujourd’hui une structure qui
protège les multinationales et permet l’évasion fiscale, la solution
miracle qui consisterait à en sortir pour tout régler est une vue de
l’esprit. Si le système représentatif interne à la France ne change pas,
les grands groupes et les particuliers les plus fortunés trouveraient
facilement et rapidement d’autres moyens d’échapper à l’impôt, quand
bien même la France ne ferait plus partie de l’Union européenne. Une
transformation concrète de la société implique une totale refonte de
toutes les institutions. Un jour, l’Europe disposera peut-être d’une
Constitution qui garantira l’autonomie fiscale, de larges compétences,
le tirage au sort des assemblées ou le mandat impératif à des communes
et des régions qui seront devenues le cœur des infrastructures
politiques. Mais il est impossible d’affirmer d’où viendra le
changement. D’un grand pays européen qui servira d’exemple en portant au
pouvoir par les urnes une force nouvelle chargée de convoquer d’une
assemblée constituante ? D’une reprise en main progressive des communes
par les citoyens à travers des assemblées populaires, de l’engagement
associatif, du boycott et des élections locales ? D’une nouvelle crise
financière, vaste purge dont les prédateurs sortent toujours renforcés,
qui pourrait être celle de trop ? Quoi qu’il en soit, tout doit être mis
en œuvre pour que l’ouverture aux autres l’emporte sur le repli sur
soi. En piratant le système de l’intérieur, en se levant avec les autres
peuples européens plutôt que face à eux, il serait peut-être possible
d’éviter que le pire se produise à nouveau.
Si on arrête de se diviser, c’est gagné ?
Non. Et les exemples qui le prouvent sont infinis. Quand bien même une
majorité de la population serait fédérée vers un but commun, à savoir
changer la Constitution pour abolir le régime représentatif, lutter
contre l’évasion fiscale ou libérer la presse du joug des financiers,
ainsi que sur les moyens concrets d’y parvenir, la situation pourrait
rester tendue un bon moment. On ne compte plus les fois où ceux qui
voulaient s’accrocher au pouvoir à tout prix pour préserver leurs
intérêts de classe se sont volontairement accoquinés avec des fascistes
pour anéantir une vague démocratique. Même en Europe, s’imaginer qu’un
tel scénario est impossible serait une grave erreur. On ne se sait
jamais où tombera la première goutte qui débordera du vase. Il faudra
donc rester très vigilants.
Moralité ?
La situation
actuelle n’a rien d’accidentelle (34). L’évasion fiscale est érigée en
système, y compris au sein de l’Union européenne, par les grandes firmes
et des politiciens complices. Ces grands groupes appauvrissent ainsi
les États, ce qui sert de prétexte pour affirmer qu’il faut faire des
économies. Les services publics sont ensuite progressivement démantelés
pour finalement terminer dans le giron du privé, qui pourra en tirer des
bénéfices considérables. Les acquis sociaux sont attaqués dans des
proportions insensées et l’instauration d’un état d’urgence permanent
sert à réprimer toute contestation (35). Les principales armes de ceux
qui détiennent le vrai pouvoir sont les multinationales, les médias de
masse et le régime représentatif. L’heure est à l’union de toutes les
forces démocratiques. Les querelles doivent laisser place à la
résistance. L’avènement de la démocratie et la lutte contre les crises
sociales et environnementales constituent désormais des urgences vitales
(36).
(1) « La Terre a perdu 60 % de ses populations d’animaux sauvages depuis 1970 », sur FranceInfo : https://www.francetvinfo.fr/…/la-terre-a-perdu-60-de-ses-po…
(2) « Plus de plastique que de poissons dans les océans d’ici 2050 », sur Mr Mondialisation : https://mrmondialisation.org/plus-de-plastique-que-de-pois…/
(3) « Atlas de la France toxique », par l’association Robin des bois : http://www.robindesbois.org/atlas-de-la-france-toxique-2/
(4) PLF 2019, chiffres clés : https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/…/chiffresc…
(5) Budget 2019 de la Sécurité sociale (article 32) : https://www.legifrance.gouv.fr/…/12/22/CPAX1824950L/jo/texte
(6) Rapport de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale (septembre 2014, page 128) : https://www.ladocumentationfrancaise.fr/…/rap…/144000552.pdf
(7) Compteur de la dette publique française : http://www.dettepublique.fr/
(8) Thomas Piketty, « Le capital au XXIe siècle ».
(9) Enquête « Rendez l’argent », par Attac France : https://france.attac.org/…/notes-et…/article/rendez-l-argent
(10-1) Fraude aux prestations sociales servies par les organismes de sécurité sociale : https://www.economie.gouv.fr/…/Fiche_Fraude_aux_prestations…
(10-2) Fraude à Pôle emploi : https://www.economie.gouv.fr/…/actualisation_chiffre_presta…
(11) « Les 3.520 ménages les plus riches de France planquent… 140
milliards d'euros dans les paradis fiscaux ! », sur Marianne : https://www.marianne.net/…/les-3-520-menages-les-plus-riche…
(12) « 825 milliards manquent à l’Europe », sur l'Humanité : https://www.humanite.fr/evasion-fiscale-825-milliards-manqu…
(13) « Fraude et évasion fiscale en France : 200 milliards par an ? », sur le blog d’Alternatives économiques : https://blogs.alternatives-economiques.fr/…/fraude-et-evasi…
(14) « 600 000 offres d’emplois ne seraient pas pourvues en France, est-ce vrai ou faux ? », sur Europe 1 : https://www.europe1.fr/…/600000-offres-demplois-ne-seraient…
(15) Tableaux de l’économie française, édition 2017, par l’INSEE : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2569436…
(16) « La France va-t-elle suivre le modèle allemand et transformer ses
chômeurs en travailleurs pauvres ? », sur Basta, média indépendant : https://www.bastamag.net/La-France-va-t-elle-suivre-le-mode…
(17) Question de Raphaël HALET lanceur d'alerte Luxleaks à Emmanuel Macron : https://www.youtube.com/watch?v=0CdhzREjgFA&t=3s
(18) Juncker au centre d'un scandale fiscal impliquant 340 multinationales, sur Politis.fr : https://www.politis.fr/…/juncker-au-centre-dun-scandale-fi…/
(19) Découvrez i-boycott.org : https://www.i-boycott.org/
(20) Découvrez l'Observatoire des multinationales : http://multinationales.org/
(21) « Multinationales : le pouvoir hors-les-lois », sur DataGueule : https://www.youtube.com/watch?v=qeMjaNxENY8&t=153s
(22) « La loi secret des affaires », par Nicolas Meyrieux (avec Osons Causer, Et tout le monde s'en fout…) : https://www.youtube.com/watch?v=wRCKJkjiiNg
(23) Découvrez des alternatives sur Reporterre : https://reporterre.net/Alternatives
(24) Médias français : qui possède quoi, par Le Monde diplomatique et Acrimed - Action-Critique-Médias : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA
(25) « Procédures bâillons et indépendance de la presse », sur MetaMorphosis, collectif de lanceurs d’alerte : http://meta-m.org/…/procedures-baillons-et-independance-de…/
(26) Les 5 filtres des médias de masse, par Noam Chomsky : https://www.youtube.com/watch?v=zQJNJzLvr9E&t=5s
(27) « En finir avec les inégalités extrêmes », par Oxfam France : https://www.oxfam.org/…/en-finir-avec-les-inegalites-extrem…
(28) Bernard Friot, « Théorie du revenu universel », chez Thinkerview : https://www.youtube.com/watch?v=zrS-OkFTLkc
(29) Résultats du premier tour de l’élection présidentielle de 2017 : https://www.interieur.gouv.fr/…/Election-presidentielle-201…
(30) « Présidentielle 2017 – Second tour, décrypter le vote des Français », sur BVA : https://www.bva-group.com/…/presidentielle-2017-2nd-tour-d…/
(31) Résultats du premier tour des élections législatives de 2017 : https://www.interieur.gouv.fr/…/(…/legislatives-2017/FE.html
(32) « Droit de manifester en France », par Amnesty International France : https://www.amnesty.fr/dossie…/droit-de-manifester-en-france
(33) « Novlangue de bois et résistance », sur DataGueule : https://www.youtube.com/watch?v=bliStO5z5dY&t=249s
(34) Le néolibéralisme est un fascisme, sur Les-Crises : http://www.lesoir.be/…/2016-…/neoliberalisme-est-un-fascisme
(35) [Gilets jaunes] « Violences policières : non, les forces de
l’ordre n’ont pas seulement répondu à des agressions, comme le dit le
gouvernement », sur Libération : https://www.liberation.fr/…/violences-policieres-non-les-fo…
(36) « Effondrement de la civilisation ? », par Pablo Servigne sur Thinkerview : https://www.youtube.com/watch?v=5xziAeW7l6w
Cet article est également disponible sur :
– notre site internet : https://lhuiledanslesrouages.fr/…/letat-durgence-de-la-fra…/
– le Blog de Mediapart : https://blogs.mediapart.fr/…/04…/letat-durgence-de-la-france
– Libre Actu : http://www.libreactu.fr/letat-durgence-de-la-france/
Et vous, êtes-vous bien informé·e ? 50 pages à suivre absolument : https://www.facebook.com/lhuiledanslesrouages/posts/2223869374531830
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