jeudi 4 avril 2019

Gilets jaunes, parlez aussi de l’école ! Parlez aussi de vos enfants !

29 novembre 2018
gilets-jaunes

Ce qui est le plus important dans ce qui se passe avec les gilets jaunes ce n’est pas l’éventuelle suppression d’une taxe, d’autres taxes… Le plus important c’est que des citoyens qui ne disaient jamais rien se mettent à parler, se mettent à parler entre eux, se mettent à parler publiquement, se mettent à exprimer ce qu’ils pensent, à exprimer ce qu’ils ne veulent plus. Pour la première fois depuis longtemps des citoyens osent exister. C’est encore et normalement brouillon, le temps que paroles et échanges produisent une intelligence collective. C’est aussi normalement brouillon parce que depuis que chacun est né, jamais et en particulier à l’école, il ne leur a été facilité les occasions, voire donné la permission, de s’exprimer librement, de se prendre en charge collectivement, de s’auto-organiser… Alors, chers Gilets jaunes…

Chers gilets jaunes,

dans tout ce que vous soulevez avec pertinence il y a un point qui n’est jamais abordé : l’école et l’éducation. Or il y a longtemps que ce vase aurait dû déborder, ce d’autant qu’il est profondément lié à tous les autres. 

Il est ignoré parce qu’il y a longtemps qu’on ne le voit plus.

- Avez-vous remarqué que vos enfants sont condamnés à être « élevés » de trois à 18 ans, c'est-à-dire à vivre quinze années de la plus grande partie de leur construction en adultes, dans des stabulations semblables à celles aux stabulations dans lesquelles sont « élevés » des vaches ou des cochons ? Condamnés à rester assis en rangs d’oignons la plus grande partie de leurs journées. Tout le monde proteste contre des fermes de mille vaches, mais personne ne proteste contre les usines à enfants. Tous les gouvernements depuis trente ans suppriment sans qu’il y ait une levée de boucliers toutes les petites écoles où les enfants pouvaient aller à pied, où ils étaient moins nombreux, moins serrés, ou des pédagogies plus humaines pouvaient être entreprises. Comme pour tout le reste c’est la politique de la concentration à outrance pour de soi disant économies d'échelle qui en réalité coûtent beaucoup plus à la collectivité, et on vous dit que c’est pour le bien de vos enfants. Voir cela est simple, il n’y a pas besoin d’être sorti d’une haute école de pédagogie pour le comprendre.

- L’école publique n’a jamais été instaurée pour le bien des enfants mais pour celui d’un type de société qu’une oligarchie et une ploutocratie maintiennent avec leurs outils, l’État et l’école de l’État appelée école publique. Le premier qui a instauré l’école publique, c’est Guizot, ministre de Louis-Philippe (monarchie de juillet, 1833). Il ne cachait nullement ses objectifs : former de bons et obéissants sujets du roi  et de bons catholiques. Jules Ferry qui l’a généralisée ne cachait pas non plus que son but était de former des citoyens conformes à ce qu’une république attendait d’eux et parallèlement à ce qu’une industrialisation avait besoin. Il faut savoir que des deux côtés du Rhin, les écoles en France et en Allemagne préparaient les enfants à ce qui a été la grande boucherie de 14-18. Cela n’a pas changé aujourd’hui : l’OCDE et le Conseil de l’Europe disaient clairement à partir de 1999 que l’école devait préparer des futurs travailleurs à s’adapter à l’économie de compétition, à la fluctuation des emplois, à l'économie de marché dont une partie est le marché aux esclaves (vous, nous, vos enfants quand ils seront grands, etc).

 - Vous avez bien dû vous rendre compte que vos enfants qui passent bien plus de temps dans l’école qu’à la maison n’y ont aucune autonomie, ne peuvent faire preuve d’aucune initiative, sont formatés à exécuter des consignes sans bouger. Ceci de 8H du matin à 18H le soir, plus les devoirs à la maison,  de 3 à 18 ans. Cela ne vous paraît pas anormal ?

- Vous me direz que s’il n’y avait pas l’école que feriez-vous de vos enfants pendant que vous êtes obligés d’aller au boulot, d’en revenir le soir épuisés ? Vous voyez, vos enfants, la vie de vos enfants est aussi liée à ce que vous imposent une organisation sociale, l’organisation du travail, son non partage, sa précarité, sa mobilité, sa délocalisation etc... Dans l’immédiat il y a bien toutes les associations de l’éducation populaire qui essaient de palier à ce qui est insupportable, mais le gouvernement leur ôte peu à peu tous leurs maigres moyens. Vous pourriez vous dire aussi que l'école pourrait être autrement pour que vos enfants y vivent autrement le temps où vous ne pouvez être avec eux, autrement que comme des prisonniers.

- On vous parle d’égalité des chances à l’école. Quelles chances semblables ont des enfants vivant dans de belles villas, avec de beaux jardins, des parents disponibles sans soucis d’argent,… avec des enfants vivant dans 20 m2 au 10ème étage d’une tour, parfois le ventre creux, souvent seuls attendant le retour des parents ? Vous savez très bien que même avec un bac en poche aucun avenir n'est plus assuré par l'école, sauf pour ceux qui ont une famille qui avec ou sans école leur assure un avenir. Alors vous pourriez vous demander ce à quoi pourrait servir ce qui serait alors une autre école.

- Avez-vous remarqué que tous nos présidents, ministres, dirigeants sont les meilleurs « produits » de cette école inchangée depuis plus d’un siècle ? Tous énarques ou brillants élèves de science po et autres grandes écoles. Autrement dit les mieux formatés par l’école et aussi par leurs milieux familiaux privilégiés et en adéquation parfaite avec l’école. Vous avez bien dû remarquer qu’ils étaient incapables de penser, imaginer autre chose que ce par quoi ils ont été formatés. Ce sont les « élites » fabriquées par l’école qui vous dirigent et auxquelles vous êtes soumis. 

- Quelles « élites » fabriquent l’école puis les sélectionnent ? Vous pensez que ce sont les plus intelligents ? Ce sont ceux les plus aptes à la compétitivité : les meilleures notes, la plus grande obéissance aux consignes, le plus grand temps passé à ça dans leur vie d’enfants et d’adolescents,… les mieux aptes à un formatage. Vous savez bien que la compétitivité ou la concurrence, c’est l’élimination des autres, l’accaparement  par les uns au détriment des autres. Bien sûr quelques-uns de vos enfants tireront leur épingle du jeu. Bien sûr que l’aboutissement c’est quelques-uns avec de belles positions sociales et financières… et les autres pour ramasser les poubelles au service des premiers (ou être chômeur pour n’avoir qu’une envie : accepter n’importe quoi des premiers pour survivre). D’ailleurs qu’est-ce qui est le plus utile à la société, ceux qui ramassent les poubelles avec un salaire de misère ou un animateur célèbre de télé avec une ou deux dizaines de milliers d’euros chaque mois ? L’école, telle elle est, est parfaitement faite pour produire ce qui vous fait aujourd’hui enfiler les gilets jaunes.

- Savez-vous que depuis près d’un siècle et encore plus aujourd’hui il a été prouvé que les enfants n’apprenaient pas comme l’école veut qu’ils apprennent tous ? Savez-vous que d’autres pédagogies basées sur la coopération, l’autonomie, l’action, une certaine liberté dans les activités, existent depuis aussi un siècle, qu’elles ont démontré que tous les enfants non seulement y apprenaient facilement mais s’y épanouissaient, y étaient heureux ? Savez-vous que beaucoup des « grands » de ce monde mettent leurs propres enfants dans des écoles semblables… mais payantes ? Pourquoi vous, vous et vos enfants, vous n’auriez pas la même possibilité ? Pourquoi vous ne la réclamez pas ?

- Les enseignants ne peuvent pas grand-chose pour améliorer l’école bien que beaucoup essaient d’en atténuer les méfaits pour les enfants. Eux aussi sont dans ce système éducatif semblable à une chaîne industrielle tayloriste ou tout est découpé (l’âge des enfants mis dans des cases successives, le temps des enfants dans la journée, dans la semaine, dans l’année, les matières et le programme dont chacun doit faire ingurgiter les morceaux dans la case où il est comme un OS, contrôler, évaluer ce qui n’évalue rien du tout excepté des chiffres, etc.). Eux aussi ils doivent exécuter ce qu’un ministre qui ne sait pas ce qu’est un enfant leur dit d’exécuter.

- Vous-mêmes n’avez rien à dire sur ce qu’un ministre et son administration décident de ce que doivent faire vos enfants, comment ils doivent être, comment ils doivent se comporter… tout cela obligatoirement. Vous n’avez même pas le droit de regarder ce qui se passe derrière les grilles de l’école, pas le droit d’émettre un avis ! Vous croyez que c’est parce qu’il le sait mieux que vous ? Allons ! Personne ne pense une minute qu’un ministre de l’agriculture sait comment poussent les plantes ou ce que doit faire un paysan pour qu’elles poussent sainement et nous nourrissent ! D’ailleurs le même ministre peut très bien devenir ministre de l’éducation, des transports, de n’importe quoi !

- Je pourrais rajouter encore beaucoup, beucoup de choses. Mais vous savez tout comme moi que les enfants et comment on leur permettra de se construire en adultes, ce sont eux qui feront une société où ils n’auront plus besoin d’enfiler des gilets jaunes.

Alors, peu importe que vous soyez d’accord avec moi ou non, vous avez été à l’école, vos enfants vont ou iront à l’école, vous aurez des enfants qui iront à l’école, alors dans tous vos rassemblements parlez aussi de l’école, parlez aussi de vos enfants.

Bernard Collot

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