Par Modeste Schwartz.
Europe – Quand les
titres de la grande presse anglo-saxonne commencent à faire écho à vos
propos de comptoir, cela n’indique généralement pas que vous êtes,
depuis votre PMU et votre compte Facebook, en train de gagner une guerre
cognitive, mais de la perdre. C’est le genre de coïncidences suspectes,
qui, au lieu d’inciter à des share euphoriques, devrait vous
amener à réviser vos propos de comptoir, en vous demandant s’ils
n’intégraient pas déjà certains éléments de langage parfaitement
étrangers à vos préoccupations (ou, en tout cas, à votre intérêt bien
compris), savamment greffés sur votre conversation par certaines
officines marginales de l’appareil d’intoxication planétaire qui fait aussi fonctionner le New York Times, le Guardian et le Monde.
En application de cette règle
universellement valable, un cas d’école vient de se présenter. « La
mondialisation est morte ! ». Champagne ? « Orbán avait raison ! »
Métempsychose des élites libérales ? A vérifier.
En commençant par ne pas oublier que,
dans toute situation de guerre, le rôle structurel de tout slogan est
avant tout de majorer votre implication émotionnelle dans un combat qui
n’est pas forcément le vôtre.
En l’occurrence : dans une guerre
atlantiste contre la Chine. Dans le discours truqué des droites
trumpiennes, le rejet – ô combien légitime – de la mondialisation
libérale devient brusquement une mesure de rétorsion contre le « virus
chinois ». Puisqu’« ils » nous infectent, reprenons leur les usines
qu’ils nous ont « volées ».
Abrutis par des décennies de propagande
moralisto-messianique atlantiste, les Européens sont aujourd’hui pour la
plupart intellectuellement incapables de faire la différence entre le
frère et le père : entre un allié (dont les intérêts ne coïncident par
définition jamais à 100% avec les nôtres) et un protecteur/modèle ayant
pour mission divine de nous conduire vers tel ou tel paradis terrestre
(qui s’avère généralement, en bout de course, être un abattoir). En
d’autres termes : non, bien sûr, la Chine n’est pas en mesure de
remplacer le mythe américain dont nos parents et grands-parents ont été
les victimes adoratrices. Nous ne deviendrons pas chinois. Bonne
nouvelle, au passage : la Chine ne nous le demande pas – ne nous le
propose, à vrai dire, même pas.
En revanche, mauvaise nouvelle : les
Chinois ne « rendront » rien. Surtout pas sous la contrainte. Les
Chinois ne se sont rendus coupables que du recel des délocalisations
opérées par nos propres élites cleptocratiques. Désormais maîtres de
l’appareil productif mondial, ils peuvent – non sans coûts et sacrifices
douloureux, mais possibles – le réorienter vers leur marché intérieur
et leur commonwealth régional, travailler à leur indépendance
énergétique et laisser l’Occident détechnologisé se débrouiller avec ses
infrastructures vétustes. Contrairement au bavardage obscène de la
droite trumpienne, « l’option isolationniste » n’est pas – n’est plus
depuis longtemps – une carte du jeu de l’empire atlantiste, qui depuis
des décennies ne survit que grâce à son « privilège monétaire
exorbitant » – de façon, donc, essentiellement parasitaire –,
mais une carte du jeu chinois. Carte catastrophique pour nous, qui
impliquerait de livrer définitivement les marges actuelles (notamment
européennes) de l’empire atlantiste à la prédation de son cœur
anglo-saxon, désormais privé de conquêtes externes.
La Chine, heureusement, dispose d’une autre option, plus ambitieuse et plus risquée, dans le prolongement de l’initiative One Road, One Belt :
un plan Marshall chinois, troquant aide techno-économique contre
allégeance politique et ouverture de marchés. A l’étage du PR, les
offres d’assistance sanitaire récemment faites par Pékin (notamment aux
pays d’Europe centrale) sont, de toute évidence, le prélude et le ballon
d’essai d’une telle politique. Il est de l’intérêt vital des Européens d’accepter ce plan.
L’Empire anglo-saxon le sait, et
déclenche, d’ores et déjà, une guerre cognitive préventive contre lui.
Pour ce faire, il ne passe naturellement pas par ses canaux gauchistes
(qui détestent « le totalitarisme », mais ont tout de même les yeux de
Chimène pour les systèmes de santé publics des pays néosocialistes),
mais par ses canaux droitards – et notamment ceux des diverses droites
européennes identitaires/islamophobes. Dans le discours relayé par ces
idiots utiles, tout devient mondialisation : les containers chinois
(pourtant assez faciles à désinfecter) au même titre que les jeunes
aventuriers somaliens des barges Soros (dont l’utilité sociale, à
supposer même qu’ils soient en parfaite santé, reste problématique).
L’Union dite européenne, qui vient en effet de démontrer une fois de
plus son inexistence géopolitique crasse, au même titre que l’initiative
One Road, One Belt. Pourtant, en Europe orientale, les principaux bénéficiaires actuels de One Road, One Belt
sont ces mêmes pays que l’UE s’emploie systématiquement à punir pour
leurs divers crimes illibéraux – et notamment pour avoir l’insolence
d’accepter la main tendue chinoise !
Il convient donc, avant tout, de
clarifier les termes. L’expression « routes de la soie » – choix génial
de la communication d’État chinoise – nous y aide d’ailleurs : la «
mondialisation » comme unification commerciale de l’Eurasie lato sensu
(incluant l’Afrique du nord et l’Océanie proche) n’a rien à voir avec
le libéralisme, les Lumières, le cosmopolitisme etc.. C’est un processus
à l’œuvre depuis des milliers d’années. L’empire romain – si cher au
cœur de tant d’identitaires européens – importait déjà des soieries
chinoises – d’où la présence de monnaies romaines dans les sites
archéologiques jusqu’au fin fond de l’Indochine. Et la Chine qui –
depuis des millénaires – fournit son moteur productif à ce processus
n’est pas une puissance messianique/universaliste comme la pseudo-nation
américaine, mais au contraire une civilisation sédentaire, qui a
sciemment tourné le dos à la tentation de l’impérialisme maritime.
Pour que l’illusion du « retour des
usines » soit plus qu’une illusion, il faudrait que notre planète
héberge plusieurs chines. Or il n’y en a qu’une. Même à supposer qu’on
puisse convaincre les travailleurs européens d’imiter la discipline et
la frugalité de leurs homologues chinois des années 1980-90, la
démographie européenne sonne par avance le glas de telles rêveries.
Ironie du sort : les nouveaux croisés rhétoriques de la démondialisation
atlantiste le savent bien ; et, dans leur véritable vision du monde, une fois la Chine contrainte à l’isolationnisme par la cécité géopolitique provoquée
des européens, le retour de la production se fera nécessairement au
moyen d’importations humaines massives, en provenance d’autres
continents.
Conspirationnisme ? Futurologie
dévoyée ? Peut-être. Mais dans le laboratoire des PECO, ce futur-là a
déjà commencé. En Europe post-communiste, un seul pays – totalement
contrôlé par l’Amérique – refuse 100% des offres chinoises : la
Roumanie. Ce pays de migrants digère actuellement le retour chaotique de
dizaines, voire de centaines de milliers de Gastarbeiter, dont
beaucoup vivaient encore en Italie du nord il y a dix jours. En dépit
de cette situation épidémiologique apocalyptique, la Roumanie – dont les
infrastructures hospitalières font passer la Hongrie voisine pour un
paradis de la santé – vient d’opposer un dédain spectaculaire aux offres
chinoises d’aide sanitaire.
Au cours des cinq dernières années, deux leaders roumains talentueux (V. Ponta et L. Dragnea)
y ont vécu des fins de carrière aigres-douces après avoir été putschsés
par « leur » État profond – pour avoir commis le crime de regarder vers
l’Est. Comme par hasard, c’est aussi, de tous les PECO inclus dans
l’UE, le pays qui subit la plus forte hémorragie migratoire (devancé
dans la statistique générale uniquement par des pays hors-UE comme la
Serbie ou la Moldavie) : un quart des Roumains travaillent et vivent de
façon plus ou moins stable à l’étranger (avant tout en Europe de
l’Ouest) ; et, subséquemment, le pays qui s’apprête à ouvrir le plus
largement ses portes à une immigration extra-européenne de remplacement.
L’afflux de travailleurs vietnamiens, notamment, est en train
d’apporter une solution à la fois radicale et originale au vieux
problème des chiens errants – étendue, à l’occasion, à d’autres animaux domestiques moins errants.
Pourtant, l’extrême-droite « européenne » s’émeut assez peu de cet
afflux massif, qui a, à leurs yeux, le mérite de ne pas être
arabo-musulman. Argument auquel les habitants des localités roumaines
concernées – qui aiment leurs chiens et chats en vertu de critères moins
gastronomiques que ces nouveaux arrivants voraces et sous-payés –
s’avèrent finalement peu sensibles. Mais la propagande d’État roumaine
fait tout son possible pour attribuer aux « discours de haine hongrois » ces réactions bien naturelles de propriétaires d’animaux de compagnie convertis en phô multiculturel.
La Roumanie actuelle nous fournit donc une illustration in vivo
du cauchemar sur lequel pourrait facilement déboucher le rêve du
pseudo-souverainisme européen sur fonds atlantistes. Un État fort, oui –
voire dictatorial, sous des apparences parlementaires précaires
–, mais uniquement au service d’une mince élite comprador, dont les
membres vivent dans un mépris abyssal de cette masse de pauvres dont ils
partagent l’ethnie sans pour autant lui manifester la moindre empathie
(phénomène du « nègre blanchi »). Un État fort qui ne contrôle ses
frontières (la Roumanie n’est pas membre de Schengen) que pour mieux
organiser les remplacements ethnico-démographiques dictés par le
principe anglo-saxon d’optimisation du rendement des populations. Un
État fort d’une admirable tenue zemmourienne dans la désignation de
l’ennemi (en l’occurrence : la Russie et l’Iran), et d’une prodigalité
d’État-stratège quand il s’agit d’acheter hors de prix au complexe
militaro-industriel américain des armes vieillissantes,
qui ne pourraient jamais servir à la Roumanie quand dans le cadre de
guerres dont elle a la certitude préalable de sortir totalement
anéantie.
Voilà les impasses dans lesquelles peut
facilement nous conduire un usage confusif, impressionniste et
émotionnel des concepts de « mondialisation » et de « souveraineté ».
Carthago delenda est !
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