samedi 21 mars 2020

Etat d’urgence sanitaire, libertés individuelles, municipales : ce que contient le projet de loi d’urgence face au coronavirus

Selon la version du projet de loi que s’est procuré publicsenat.fr, le texte permet de mettre en place un « état d’urgence sanitaire », notamment des mesures « limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tout biens et services nécessaires » afin de lutter contre le coronavirus.

Le 18 mar 2020
François  Vignal Par François Vignal
5mn
C’est un ensemble de mesures, prises par ordonnances, qui mettent entre parenthèses une partie de nos règles et de nos lois, ou qui permettent simplement des dérogations, de la souplesse. Une parenthèse à durée indéterminée, le temps de la crise sanitaire causée par le coronavirus.
Le « projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 », c’est son nom, est présenté en Conseil des ministres ce mercredi 18 mars. Selon la version du texte envoyée par le gouvernement au Conseil d’Etat, que publicsenat.fr a pu se procurer (voir ci-dessous), le projet de loi comporte 23 articles, pour le moins fourre-tout : report des municipales, mesures d’urgence sanitaire, soutien à l’économie, mais aussi droit du travail ou justice, le projet de loi compile toutes les mesures d’urgence prises par l’exécutif. Un projet de loi de finances rectificative est aussi présenté, en parallèle.
Le gouvernement peut encore apporter quelques modifications, après l’avis du Conseil d’Etat, qui n’est pour l’heure pas connu. Il faudra voir le texte définitif présenté en Conseil des ministres. Mais ce « rose » (jargon administratif pour parler d’un texte envoyé au Conseil d’Etat), composé de trois titres, donne déjà de nombreuses indications sur ce projet de loi, examiné jeudi par les sénateurs puis vendredi par les députés.

TITRE I : DISPOSITIONS ELECTORALES

  • Comme annoncé, le deuxième tour des municipales est reporté « au plus tard au mois de juin 2020 » dit l’article 1er. La date exacte sera fixée par un décret pris en Conseil des ministres. Le premier ministre a proposé le 21 juin. « Au plus tard le 10 mai », sera remis au Parlement un rapport du gouvernement sur l’état de l’épidémie, avant l’échéance du second tour. Autrement dit, le scrutin pourra encore être repoussé si les conditions ne sont pas réunies.
     
  • L’article 1er précise bien que « les conseillers municipaux et communautaires et les conseillers de Paris élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020 entrent en fonction immédiatement ».
     
  • L’article 2 habilite le gouvernement à prendre une série de mesures par ordonnance, notamment concernant les intercommunalités, les plafonds des dépenses de campagne et « les règles de dépôt des déclarations de candidature et l’organisation du second tour ». C’est un point qui fait polémique. Le gouvernement souhaite laisser trois mois, au lieu de quelques jours, pour déposer les listes du second tour. Les sénateurs sont vent debout contre cette mesure. Ils y voient un risque de « tripatouillage » et de « manipulation » (voir notre article sur le sujet). Des amendements sont attendus sur le sujet.
     
  • Un autre projet de loi « portant ratification de cette ordonnance » sera « déposé devant le Parlement » dans les trois mois.

TITRE II : L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE

  • Les attentats avaient amené le gouvernement a décidé de l’état d’urgence. Cette fois, l’épidémie pousse l’exécutif a décrété l’état d’urgence sanitaire. « L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, des départements d'outre-mer (…) en cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en jeu par sa nature et sa gravité, la santé de la population » dit l’article 4.
     
  • L’article 5 précise que « l'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur ». « La prorogation de l'état d'urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi ». Cette loi « fixe sa durée définitive, qui peut être prorogée de douze jours par décret en Conseil des ministres ». L’article 7 ajoute que « la loi portant prorogation de l'état d'urgence est caduque à l'issue d'un délai de quinze jours francs suivant la date de démission du gouvernement ou de dissolution de l'Assemblée nationale ». Selon l’article 8, « l'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le gouvernement pendant l'état d'urgence sanitaire ».
     
  • ​L’article 9 est important, puisqu’il touche aux libertés individuelles. Il dit : « La déclaration de l’état d’urgence sanitaire donne pouvoir au premier ministre de prendre par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, les mesures générales limitant la liberté d’aller et venir, la liberté d’entreprendre et la liberté de réunion et permettant de procéder aux réquisitions de tout bien et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire mentionnée à l’article 4. Ces mesures sont proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Précision utile : « Il est mis fin sans délai aux mesures mentionnées au premier alinéa dès lors qu’elles ne sont plus nécessaires ». Cette absence de durée ici peut faire débat. Certains parlementaires pourraient estimer qu’une mesure d’urgence doit avoir un calendrier plus précis, avec une date.
     
  • L’article 11 précise que si le premier ministre ou le ministre de la Santé prennent des mesures d’urgence sanitaire, « ils peuvent habiliter le représentant de l’Etat territorialement compétent », comme le Préfet, « à prendre toutes les mesures d’application de ces dispositions, y compris des mesures individuelles. Ces dernières mesures font immédiatement l’objet d’une information du procureur de la République ».
     
  • « En cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire » l’article 12 prévoit qu’« il est immédiatement réuni un comité de scientifiques » qui donnera son avis. Son Président est nommé par le président de la République. Il comprend deux personnalités qualifiées nommées par le Président de l’Assemblé et du Sénat.

TITRE III : MESURES D’URGENCE ÉCONOMIQUE ET D’ADAPTATION À LA LUTTE CONTRE L’ÉPIDÉMIE DE COVID 19

Le titre III comprend de nombreuses mesures. Il autorise là encore l’exécutif à légiférer par ordonnance en de nombreux domaines. Un projet de loi de ratification devra aussi être adopté dans un délai de deux mois à compter de la publication de chaque ordonnance.
  • On trouve ainsi dans l’article 15 les mesures d’aide aux entreprises. Pas d’interdiction des licenciements, comme évoqué. Le texte vise simplement à « limiter les ruptures des contrats de travail, en facilitant et en renforçant le recours à l’activité partielle ».
     
  • On trouve aussi des dérogations au droit du travail et de la sécurité sociale, notamment dans certains secteurs. Il s’agit de « permettre aux entreprises de secteurs particulièrement nécessaires à la sécurité de la nation ou à la continuité de la vie économique et sociale de déroger de droit aux règles d’ordre public et aux stipulations conventionnelles relatives à la durée du travail, au repos hebdomadaire et au repos dominical ».
     
  • Le texte permet aussi de « modifier les conditions d’acquisition de congés payés et permettre à l’employeur d’imposer ou de modifier unilatéralement les dates de prise d’une partie des congés payés, des jours de réduction du temps de travail et des jours de repos affectés sur le compte épargne-temps du salarié ».
     
  • Des ordonnances « modifiant le droit des procédures collectives et des entreprises en difficulté afin de faciliter le traitement préventif des conséquences de la crise sanitaire » peuvent aussi être prise.
     
  • Le gouvernement prévoit également une série de mesures de nature administrative ou juridictionnelle. Les contacts dans les tribunaux sont ainsi limités. Pour les gardes à vue, les détentions provisoires, ou les bracelets électroniques, l’intervention à distance de l’avocat est prévue, tout comme « la prolongation de ces mesures sans présentation devant les magistrats compétents ».
     
  • Pour les étrangers, l’article 21 du projet de loi autorise la prolongation de « la durée de validité des visas de long séjour, titres de séjour, autorisations provisoires de séjour, récépissés de demande de titre de séjour ainsi que des attestations de demande d’asile qui ont expiré entre le 16 mars et le 15 mai 2020, dans la limite de cent quatre-vingt jours ».
Publié le : 18/03/2020 à 13:50 - Mis à jour le : 18/03/2020 à 15:32
Crédits photo principale : AFP

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