mardi 6 juillet 2021

Il faut tirer des leçons de l'Histoire

J'aurais pu intituler cet article à la façon du film "Le bon, la brute et le truand" en mettant en avant trois des principaux personnages de l'histoire : "Le cœur pur, le traître et l'impitoyable". 
 
J'aurais également pu choisir un titre qui donne explicitement les motivations de ces mêmes personnages : "La lutte pour la liberté ou l'ambition du pouvoir".
 
Mais le but de ce récit historique est avant tout de donner à réfléchir. Il faut transposer ce récit dans le présent, car les motivations des hommes sont toujours les mêmes et, si l'on se place du côté de Jacques Bonhomme que je qualifie de cœur pur, il faut savoir qu'il faudra non seulement se méfier de l'ennemi armé, cruel, impitoyable, mais aussi des traîtres vénaux dans son propre camp.


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La Grande Jacquerie 

La Grande Jacquerie éclate à la fin du mois de mai 1358, peut-être le 23 ou le 28, à la frontière entre l'Île-de-France et le Clermontois et plus particulièrement dans un petit village appelé Saint-Leu-d'Esserent. La principale troupe paysanne est écrasée les 9 et près de Mello par l'armée de nobles rassemblée par Charles le Mauvais, roi de Navarre.

Les origines immédiates de cette révolte sont mal connues mais semblent résulter d'échauffourées survenues entre des hommes d'armes et des paysans. De façon plus générale, cette révolte s'inscrit dans le contexte difficile de la guerre de Cent Ans, assombri depuis 1348 par la peste noire. La noblesse, après les défaites de Crécy en 1346 et de Poitiers en 1356, est déconsidérée. Le roi Jean II Le Bon est prisonnier des Anglais, menés par Edouard III, et le Royaume connaît une grave crise politique. Les grandes compagnies, lorsqu'elles ne guerroient pas pour l'un ou l'autre des partis, pillent les villages et rançonnent les villes. Au-delà, la pression fiscale, due au versement de la rançon du roi, la mévente des productions agricoles placent les paysans dans une situation intolérable qu'aggravent les exigences des seigneurs qui cherchent à compenser l'effondrement de leurs revenus. Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris en lutte contre le pouvoir royal, entretient sciemment l'agitation, offrant même l'alliance de la capitale aux Jacques avant de changer de camp et de s'allier aux nobles rassemblés par Charles de Navarre.

Quelle que puisse être l'étincelle qui déclenche la révolte, celle-ci est tout de suite décrite avec horreur sous le terme d'« effrois » et enflamme, de proche en proche, la moitié nord du pays. Les chroniques du temps dressent un catalogue des violences anti-nobiliaires qui se déchaînent alors sur le pays.

Ainsi, le chroniqueur Jean Froissart, dépeint, sous le terme de cruautés des « Jacques Bonhommes », un tableau pour le moins sinistre des méfaits de ceux qu'il qualifie de « chiens enragés ». Ce récit est ponctué de faits qui veulent souligner l'animalité des émeutiers :

« Ils déclarèrent que tous les nobles du royaume de France, chevaliers et écuyers, haïssaient et trahissaient le royaume, et que cela serait grands biens que tous les détruisent. […] Lors se recueillirent et s'en allèrent sans autre conseil et sans nulle armure, seulement armés des bâtons ferrés et de couteaux, en premier à la maison d'un chevalier qui près de là demeurait. Si brisèrent la maison et tuèrent le chevalier, la dame et les enfants, petits et grands, et brûlèrent la maison. […] Ils tuèrent un chevalier et boutèrent en un hâtier et le tournèrent au feu, et le rôtirent devant la dame et ses enfants. »

Le pseudo Jean de Venette, un frère carme d'origine modeste, est plus favorable aux paysans  :

« En cette même année 1358, en été, les paysans qui habitaient autour de Saint-Leu-d'Esserent et de Clermont-en-Beauvaisis, voyant les maux et les oppressions qui, de toute part, leur étaient infligés sans que leurs seigneurs les en protègent — au contraire ils s'en prenaient à eux comme s'ils étaient leurs ennemis — se révoltèrent contre les nobles de France et prirent les armes. Ils se regroupèrent en une grande multitude, élurent comme capitaine un paysan fort habile, Guillaume Carle, originaire de Mello. »

De fait, quel que soit l'effroi réel des contemporains, d'autres chroniqueurs se montrent eux aussi moins éloquents sur les atrocités et moins favorables aux nobles que Froissart. Ainsi, Pierre Louvet, dans son Histoire du Beauvoisis, rappelle que « la guerre appelée la Jacquerie du Beauvoisis qui se faisait contre la noblesse du temps du roi Jean, et en son absence, arriva par le mauvais traitement que le peuple recevait de la noblesse » et le cartulaire d'une abbaye de Beauvais souligne que « la sédition cruelle et douloureuse entre le populaire contre les nobles s'éleva aussitôt. »

L'issue de la révolte, une forme de contre-jacquerie, fut marquée par une grande violence qui marqua autant les contemporains que celle commise par les paysans. Après avoir exterminé bon nombre de révoltés, le comte de Foix et le captal de Buch, Jean de Grailly, assiégèrent la ville de Meaux dont quelques quartiers furent incendiés. De son côté, Charles le Mauvais participa à la répression et, le 9 juin lors du carnage de Mello, mit fin à la révolte à grands renforts d'atrocités. Le chef des révoltés, Guillaume Carle, ayant reçu l'assurance d'une trêve et d'une rémission, fut entraîné par traîtrise dans le camp des nobles où il fut supplicié et décapité. Cependant, par la suite, une certaine clémence royale se manifesta envers les principaux meneurs sous la forme de « lettres de rémission » qui constituent une autre source pour l'histoire de la Jacquerie. 

Les personnages clés 

1) Le révolutionnaire "pur", un paysan, qui sera trahi : Jacques Bonhomme

Jacques Bonhomme est le nom attribué par Jean Froissart à Guillaume Caillet ou Callet. On trouve aussi Guillaume Carle, Cale ou Karle. 

Guillaume est vraisemblablement né dans le village de Mello dans le Beauvaisis. Son nom est attesté par les lettres de rémissions produites par l'autorité royale à l'issue de la révolte. Les chroniques et cartulaires de l'époque le décrivent comme un homme d'un certain charisme, « un homme bien sachant et bien parlant, de belle figure et forme. »

En , les paysans révoltés, les Jacques, le prirent pour chef et le nommèrent « roi » ou « capitaine souverain du plat pays » ; il refusa tout d'abord le commandement mais, menacé de mort, s'inclina. Il était accompagné d'un membre de l'ordre des Hospitaliers et d'un certain Jacques Bernier de Montataire.

Il essaya en vain d'établir un front commun avec les Parisiens regroupés derrière Étienne Marcel. Attiré dans le camp nobiliaire par ruse, il fut capturé par Charles le Mauvais, qui le fit mourir en le couronnant d'un trépied de fer rougi au feu. D'autres sources avancent qu'il fut par la suite décapité sur la place de Grève de Clermont-en-Beauvaisis

2) Le réformiste bourgeois, "retourneur de veste", prévôt des marchands parisiens :  Etienne Marcel

Étienne Marcel, né entre 1302 et 1310 et mort à Paris le , est prévôt des marchands de Paris sous le règne de Jean le Bon. Personnalité issue du grand patriciat urbain proche du pouvoir, il s'est illustré par la défense des petits artisans et compagnons qui forment le gros des citadins et prend la tête du mouvement réformateur qui cherche à instaurer une monarchie française contrôlée en 1357, en affrontant le pouvoir royal exercé par le dauphin Charles, futur Charles V.

En tant que délégué du tiers état, il joue un rôle de premier plan au cours des états généraux successifs de 1355, 1356 et 1357 (qui devaient régler le paiement de la rançon du roi Jean).

Le conflit avec le roi devient une guerre civile ouverte qui tourne en faveur de ce dernier. Étienne Marcel est assassiné par les bourgeois parisiens qui lui reprochent d'être allé trop loin dans l'opposition à la monarchie et l'accusent d'avoir voulu livrer la ville aux Anglais. 

3) Le bourreau, chien de garde du pouvoir en place, et ambitieux comploteur : Charles le "Mauvais" 

Charles II de Navarre, dit « Charles le Mauvais » (Évreux, - Pampelune 1er janvier 1387) est roi de Navarre de 1349 à 1387 et comte d'Évreux de 1343 à 1378. Il est le fils de Philippe III comte d'Évreux et de Jeanne II reine de Navarre, fille du roi de France et de Navarre, Louis X le Hutin.

Sa mère, seul enfant du roi Louis X lui survivant, est trop jeune et trop peu soutenue pour pouvoir imposer ses droits à son oncle le comte de Poitiers, qui se fait couronner roi sous le nom de Philippe V. La loi salique est alors ignorée de tous et ne sera découverte qu'en 1358. Toutefois, Jeanne ne renoncera jamais formellement à la couronne de France. Charles de Navarre ne naît qu'en 1332 et Jeanne de Navarre ne peut toujours pas revendiquer en 1328 la couronne qui est attribuée à Philippe VI de Valois, descendant le plus direct par les mâles, mais qui n'est que cousin de Louis X. Mais les premiers Valois sont confrontés à la crise économique, sociale et politique qui conduit à la guerre de Cent Ans, pendant laquelle la supériorité tactique anglaise est telle que les désastres s'enchaînent pour l'armée du roi de France. Le discrédit des Valois permet à Charles de Navarre, fils de Jeanne II, de contester leur légitimité et de réclamer le trône de France. Il n'a de cesse d'essayer de satisfaire son ambition et de profiter de la déstabilisation du royaume pour jouer sa carte. Pour parvenir à ses fins, il change plusieurs fois d'alliance, s'accordant avec le dauphin Charles (le futur Charles V) puis avec les Anglais et Étienne Marcel, pour ensuite se retourner contre les Jacques quand la révolte parisienne tourne court.

En 1361, il échoue à obtenir la succession du duché de Bourgogne, confié à Philippe le Hardi, le jeune fils de Jean le Bon. En représailles, il saisit l'occasion de la mort de Jean le Bon pour lever, en 1364, une puissante armée et tenter d'empêcher le sacre de Charles V, mais il est vaincu à Cocherel et doit retourner aux affaires espagnoles. Il tente un retour sur la scène française en complotant avec les Anglais en 1378, mais il est découvert. Déconsidéré, il s'isole diplomatiquement et finit vaincu et neutralisé par Charles V.

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