Source : https://olivierdemeulenaere.wordpress.com/2014/01/17/le-ministere-de-la-verite/
« Derrière
Winston, la voix du télécran continuait à débiter des renseignements
sur la fonte et sur le dépassement des prévisions pour le neuvième plan
triennal. Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait
tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De
plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque
de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il
n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé.
Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se
branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne
pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le
monde, constamment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre une prise
sur votre ligne chaque fois qu’elle le désirait. On devait vivre, on
vivait, car l’habitude devient instinct, en admettant que tout son émis
était entendu et que, sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu.
Winston restait le dos tourné au
télécran. Bien qu’un dos, il le savait, pût être révélateur, c’était
plus prudent. À un kilomètre, le ministère de la Vérité, où il
travaillait, s’élevait vaste et blanc au-dessus du paysage sinistre.
Voilà Londres, pensa-t-il avec une sorte de vague dégoût, Londres,
capitale de la Première Région Aérienne, la troisième, par le chiffre de
sa population, des provinces de l’Océania.
Il essaya d’extraire de sa mémoire
quelque souvenir d’enfance qui lui indiquerait si Londres avait toujours
été tout à fait comme il la voyait. Y avait-il toujours eu ces
perspectives de maisons du XIXe siècle en ruine, ces murs étayés par des
poutres, ce carton aux fenêtres pour remplacer les vitres, ces toits
plâtrés de tôle ondulée, ces clôtures de jardin délabrées et penchées
dans tous les sens ? Y avait-il eu toujours ces emplacements bombardés
où la poussière de plâtre tourbillonnait, où l’épilobe grimpait sur des
monceaux de décombres ? Et ces endroits où les bombes avaient dégagé un
espace plus large et où avaient jailli de sordides colonies d’habitacles
en bois semblables à des cabanes à lapins ? Mais c’était inutile,
Winston n’arrivait pas à se souvenir. Rien ne lui restait de son
enfance, hors une série de tableaux brillamment éclairés, sans
arrière-plan et absolument inintelligibles.
Le ministère de la Vérité – Miniver,
en novlangue – frappait par sa différence avec les objets environnants.
C’était une gigantesque construction pyramidale de béton d’un blanc
éclatant. Elle étageait ses terrasses jusqu’à trois cents mètres de
hauteur. De son poste d’observation, Winston pouvait encore déchiffrer
sur la façade l’inscription artistique des trois slogans du Parti :
LA GUERRE C’EST LA PAIX
LA LIBERTE C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE C’EST LA FORCE
Le ministère de la Vérité comprenait,
disait-on, trois mille pièces au-dessus du niveau du sol, et des
ramifications souterraines correspondantes. Disséminées dans Londres, il
n’y avait que trois autres constructions d’apparence et de dimensions
analogues. Elles écrasaient si complètement l’architecture environnante
que, du toit du bloc de la Victoire, on pouvait les voir toutes les
quatre simultanément. C’étaient les locaux des quatre ministères entre
lesquels se partageait la totalité de l’appareil gouvernemental. Le
ministère de la Vérité, qui s’occupait des divertissements, de
l’information, de l’éducation et des beaux-arts. Le ministère de la
Paix, qui s’occupait de la guerre. Le ministère de l’Amour qui veillait
au respectde la loi et de l’ordre. Le ministère de l’Abondance, qui
était responsable des affaires économiques. Leurs noms, en novlangue,
étaient : Miniver, Minipax, Miniamour, Miniplein.
Le ministère de l’Amour était le seul
réellement effrayant. Il n’avait aucune fenêtre. Winston n’y était
jamais entré et ne s’en était même jamais trouvé à moins d’un kilomètre.
C’était un endroit où il était impossible de pénétrer, sauf pour
affaire officielle, et on n’y arrivait qu’à travers un labyrinthe de
barbelés enchevêtrés, de portes d’acier, de nids de mitrailleuses
dissimulés. Même les rues qui menaient aux barrières extérieures étaient
parcourues par des gardes en uniformes noirs à face de gorille, armés
de matraques articulées.
Winston fit brusquement demi-tour. Il
avait fixé sur ses traits l’expression de tranquille optimisme qu’il
était prudent de montrer quand on était en face du télécran ».
1984, George Orwell, éditions Gallimard, p.7-9
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Addendum 1 : Les voeux de Noël d’Edward Snowden
(source : LeMonde.fr via Les-crises.fr)
«Bonjour et Joyeux Noël
Je suis honoré d’avoir la chance de m’adresser à vous et votre famille cette année.
Récemment, nous avons appris que nos
gouvernements ont travaillé ensemble pour créer un système mondial de
surveillance massive, afin de surveiller tout ce que nous faisons.
Le Britannique George Orwell
nous a averti des dangers de ce genre de surveillance. Les outils
utilisés dans son livre –les micros, les caméras, les télés qui nous
surveillent– ne sont rien à côté de ce qui est utilisé de nos jours :
nous avons des capteurs dans nos poches qui nous traquent où que nous
allions.
Pensez à ce que cela signifie pour la vie privée d’une personne lambda. Un
enfant né aujourd’hui grandira sans conception aucune de la vie privée.
Il ne saura jamais ce que c’est d’avoir un moment rien qu’à lui, une
pensée non enregistrée, non analysée. Et c’est un problème, parce que la
vie privée est importante. La vie privée est ce qui nous permet de
déterminer qui nous sommes et qui nous voulons être.
La conversation qui a lieu en ce
moment déterminera à quel point nous pouvons faire confiance à la
technologie qui nous entoure et au gouvernement qui la régule.
Ensemble nous pouvons trouver un
meilleur équilibre, mettre fin à la surveillance de masse, et rappeler
au gouvernement que s’il veut vraiment savoir ce que nous ressentons,
demander est toujours moins cher qu’espionner.
A tous ceux qui me regardent, merci, et joyeux Noël.»
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Addendum 2 (humoristique) : Harlem Désir interviewé par Jean-Jacques Bourdin
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