vendredi 22 février 2019

"On tire à boulets rouges sur les gilets jaunes !"

La tentation est grande de dénigrer un « mouvement populaire » pour en faire « un mouvement impopulaire » qui fera les choux gras de nos grands politiques. Les manipulateurs et récupérateurs tous azimuts affichent une telle volonté de brouiller les esprits qu'il devient indispensable d'ancrer sa pensée et d'activer son intelligence.

Pour commencer, on entend dire que le « gilet jaune » est contradictoire et désorganisé. Si le mouvement avait bénéficié de tout un appareillage politique, des ressources des grands partis ou des appuis des gros syndicats alors il aurait été nettement mieux organisé, c'est sûr. Mais point de syndicats ( aujourd'hui totalement en rade et dépassés par l'ampleur d'un mouvement qu'ils n'avaient pas vu venir ) ni de grands partis ( tellement vidés de substance, de signification et de crédibilité que le Père Noël a plus de chances d'être écouté). Le gilet jaune, c'est le peuple peu rompu aux stratégies fines de la propagande et de la manœuvre politique. Le gilet jaune c'est le peuple qui se lance tête la première dans la manifestation avec ses tripes qui débordent et son ras-le-bol parfois mal exprimé par des discours que le Sapiens Sapiens planqué derrière son bureau va qualifier d'incohérents. Le gilet jaune c'est le peuple qui descend dans la rue pour s'exposer à la rancune et à la raillerie pendant que les élus du peuple, sourds, muets et amorphes, se dorent la pilule protégés par l'immunité parlementaire. Y'a-t'il eu des leaders, des réunions de cellules, des délégués pour bien gérer tout ça ? Peut-être. Partout ? Peut-être pas. En même temps, insister sur la désorganisation du peuple pour enlever tout crédit à ses actions c'est la méthode désormais classique de la médiocrité politique. Mais que l'on se rassure : le gilet est réactif et la structure prend forme.

Deuxio, un pareil mouvement citoyen, apolitique, spontané et solidaire se discrédite facilement par un petit jeu habile de communication. J'écoute, je lis les médias et je m'interroge. Sous couvert de « neutralité et d'objectivité de la Presse » on observe quand même un gros paquet de manipulations linguistiques intéressantes : par exemple, dans les mêmes phrases on relève « gilets jaunes » et « pilleurs », « casse ». 4 lignes sur les blocages stratégiques des routes et 10 lignes sur les voitures incendiées par les casseurs. On en déduit quoi ? Les gilets jaunes nous pètent les bonbons et nos voitures. Il y a abondance d'informations révélées mais ce qui devrait nous préoccuper c'est ce qui n'est pas dit. Avez-vous vu dans les divers journaux une description des méthodes mises en place par les manifestants pour gérer les véhicules de secours ? Les personnels de santé ? Les véhicules avec enfants à bord ? Là encore, pas sûr. Au tout début du mouvement, mardi 20 novembre, mes voisins ont dû aller chercher leur fils de 12 ans à Gillot. A leur retour ils m'ont raconté : - la voie spécialement dégagée pour le passage des véhicules prioritaires - la manière dont les manifestants circulaient systématiquement de voiture en voiture pour s'enquérir de la présence d'enfants à bord ou de personnes âgées pour les faire passer – la distribution de bouteilles d'eau aux personnes à l'arrêt. On n'a peut-être pas observé ce comportement citoyen à tous les ronds-points mais lorsqu'on cherche à coller au plus près de la vérité il faut le souligner quand on le voit.

Oui, oui, les gilets jaunes nous pètent les couilles. Même Christophe Castaner, notre excellent ministre de l'Intérieur l'a dit ! Peut-être pas en ces termes mais l'idée y était. Ah oui mais bon un mouvement de contestation qui ne dérange rien ni personne peut-on appeler ça de la contestation ? En clair à cause de ces « bons à rien fumeurs de pétards et abrutis par l'alcool » ( la formule n'est pas de moi, je l'ai empruntée à un gentil lecteur de Clicanoo) mes petites habitudes pépères sont bien fichues ! Je ne vais pas pouvoir remplir mon chariot à ras-bord chez Leclerc, chez Carrouf, chez Leader, à Score ; je ne vais plus pouvoir continuer à me persuader que ma vie lisse est agréable ; je ne vais pas pouvoir manger mes carottes bourrées d' hormones Bayer tellement oranges et luisantes que je peux les accrocher au plafond de mon salon pour m'en faire des néons ; je ne peux plus aller bosser tranquillement et surtout, surtout, il va falloir que je réfléchisse à l'image que ce mouvement renvoie de moi-même. Un peu de maturité que diable ! Je ne peux pas me plaindre en pleurnichant que ce con de Français qui courbe l'échine devant l'Etat n'a rien dans le slip et ensuite taper du pied en hurlant que ce con de Français qui descend dans la rue avec son gilet jaune nous casse les burnes.

On prétend aussi que les gilets jaunes ont 2 de Q.I ! Vu que les gilets jaunes ne sont pas tous Docteurs en physique des particules c'est pas faux, mais c'est pas vrai non plus. Un mouvement qui ratisse large par définition ratisse large. Ce qui explique qu'il y ait de tout à l'intérieur des gilets jaunes un peu comme il y a de tout à l'intérieur de notre humanité et à la surface de la Terre. Je ne pense pas que le Q.I soit l'étalon idoine qui permette de mesurer chez les individus l'intensité de la douleur face à l'injustice, la frustration causée par la privation et la colère provoquée par le mépris. Et surtout il faudra m'expliquer en quoi la souffrance du « petit Q.I » est moins légitime et plus insignifiante que celle d'une grosse tête. « De tout » ça veut dire aussi de toutes classes sociales et de tous horizons politiques et ça ne m'empêche pas de dormir. Par contre ce qui me dérange c'est que Guillaume Meurice pour sa chronique du 19 novembre sur France Inter n'ait interrogé parmi les quelques milliers de gilets jaunes en France qu'un gus qui est contre les cheminots et une petite dame qui trouve que les fonctionnaires ne bossent pas assez. Ces deux gilets jaunes sur des milliers ! J'imagine qu'ils ont été choisis parce qu'ils sont très représentatifs de tout l'ensemble, non ? Qu'en pensez-vous ? C'est sûrement ça. En tout cas , à l'antenne, on s'est bien marré de leurs réponses empêtrées et on s'est bien payé leurs poires. Maintenant si les « Q.I de moules » (ce n'est toujours pas de moi mais d'un autre brave écrivain) mettent en péril l'humanité j'entrevois une solution : je suggère qu'on euthanasie tous les pauvres en esprit pour que les intellectuels, les élites et Cyril Hanouna puissent enfin construire la France parfaite ! Parce que, vous en conviendrez, les revendications des Enarques sont tellement plus légitimes et pleines de bon-sens que celles des sans-dents !

Enfin, j'entends un peu partout que ce qui a fait bouger le gilet jaune c'est la hausse de son carburant. Où était le gilet-jaune quand les intermittents du spectacle en bavaient et se faisaient gazer ? Où était le gilet-jaune pendant que les infirmières perdaient leurs postes ? Que fait le gilet jaune pendant que la planète se réchauffe tragiquement ? Et pourquoi le gilet-jaune n'ouvre pas sa grande bouche quand le gouvernement ponctionne les vieux, les étudiants, les handicapés ? Et la solidarité ? Évidemment, nous connaissons tous personnellement LE gilet jaune et savons exactement qui il est, où il était et où il n'était pas. A quelle manifestation il a participé et surtout à quelle manifestation il n'a pas pointé son nez. J'ai bien une théorie. A mon avis, le gilet jaune était un petit peu partout mais sans son gilet jaune parce qu'à ce moment-là il est fort possible qu'il ait eu une autre banderole, une autre étiquette, une autre cause à défendre. Le gilet jaune c'est sans doute l'étudiante qui se demande à quoi va servir son Master parce que « no future », l'infirmière, la retraitée dont le quotidien se nomme « précarité », le papy qui crève de la canicule dans son EHPAD, le handicapé, la prof, l'intermittent du spectacle, le lycéen qui grâce à Parcoursup n'aura pas ce qu'il demande mais c'est pas grave, la mère au foyer, le travailleur social, l'agriculteur, l'éducatrice spé, l'ouvrier, le médecin, l'ingénieur, le chômeur, l'aide-soignante toute seule pour 100 patients … La liste est loin d'être exhaustive. L'augmentation du prix à la pompe c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il faut bien dire ce qui est : le gaz à effet de serre, notre asservissement aux lobbies, la vente du Bordelais aux Chinois ou les immeubles des Champs Élysées cédés au Qatar c'est moins fédérateur et nettement moins prégnant dans le quotidien de la grande majorité de nos concitoyens. C'est malheureux à dire mais par la force des choses ce sont les « intellos » (caste de nantis côté Q.I et pas trop mal lotis au niveau du frigo) qui ont les moyens et le temps de se préoccuper du sort de la planète car lorsqu'un individu en survie doit tous les jours se demander s'il va pouvoir nourrir correctement ses enfants, payer son loyer et garder son travail le glyphosate n'est clairement pas sa priorité. Il faut bien un facteur déclencheur quand la coupe est pleine. Alors taxes ou autre chose c'est kif-kif.

Un gilet jaune est une aubaine historique mieux fringuée qu'un Sans-Culotte dont on pourrait vraiment profiter parce que pour une fois on peut tous rentrer dans ce fameux gilet ! C'est pas comme « Cheminots en colère » ou « Profs tous ensemble » ou « Bonnets rouges » ou « La Santé fout le camp en France » : si tu n'es ni cheminot ni prof ni médecin ni agriculteur breton tu vas avoir un peu de mal à te reconnaître. Alors que le « Gilet Jaune » on l'a tous dans la voiture et il nous sied tous au teint.

Nathalie

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