vendredi 14 août 2020

Lanceur d'alerte, sentinelle et citoyen

 

L'affaire est inédite à La Réunion et rarissime en métropole. Des pédophiles locaux cherchant des proies sur internet ont été piégés par un lanceur d'alerte. Comme l'a révélé le JIR, Steven Moore, “chasseur de pédophile” a réussi, grâce à de la patience, sa connaissance des réseaux sociaux et de la détermination, à identifier deux pervers capables d'envoyer des photos de leur appareil génital à une enfant de 12 ans et de lui tenir des propos pornographiques.

L'enfant était virtuelle, mais eux étaient persuadés qu'elle existait. La preuve, l'un d'eux, un octogénaire, lui a donné rendez-vous dimanche au Tampon avec l'intention de “consommer” la fillette. C'est abject.

La justice a heureusement aussitôt réagi en ouvrant une enquête et en provoquant des interpellations. La procédure est en cours. C'est maintenant aux gendarmes d'établir les responsabilités délictuelles de ces suspects, de faire apparaître des complices, d'identifier d'autres pervers. Et ce sera aux juges de prononcer des sanctions.

Cette affaire a suscité beaucoup de réactions. Quasi unanimes pour se réjouir de l'action de celui qui se cache derrière le nom de Steven Moore, un natif de la région toulousaine venu s'installer à La Réunion, il y a dix ans. Certains ont une approche plus réservée, en s'interrogeant sur le fait que le lanceur d'alerte ait incité ces hommes à dévoiler leurs pulsions. Ou qu'il se soit substitué à la justice.

Sur ces points, deux réponses s'imposent.

La première est juridique. Elle est donnée par la loi. Le vice-procureur de Saint-Pierre, Benoît Bernard, l'a rappelé très clairement hier dans un communiqué. “Dans les cas de crime ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l'auteur et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche”, dit l'article 73 du code de procédure pénale. En alertant le JIR, qui a relaté le rendez-vous odieux, Steven Moore a fait sonner une alarme tout en contribuant à empêcher un délit voire un crime d'être commis. Il a fait apparaître ce qui pourrait bien être un réseau. Les enquêteurs ont pris le relais.

Le seconde réponse est plus d'ordre citoyenne ou morale. Comment aller chercher des noises ou contester l'action d'un homme qui a décidé de traquer efficacement des prédateurs capables d'entretenir de tels dialogues avec une gamine de 12 ans ?

Comme il nous le déclare dans son interview (lire pages 4 et 5), Steven Moore ne se considère pas comme un justicier masqué mais comme un militant. Il est “un parent déterminé”. Un homme indigné. Un papa révolté. “Il faut arrêter de faire comme si tout ça n'existait pas”, ajoute-t-il. Steven Moore agit bien en qualité de citoyen. Son objectif n'est pas de sanctionner mais d'éveiller les pouvoirs publics, de faire bouger la justice, de sensibiliser les parents sur l'usage dangereux des réseaux sociaux dont peuvent être victimes les enfants, de mobiliser l'opinion pour que la plateforme internet garantisse plus de sécurité. “La peur doit changer de camp”, lance-t-il avec justesse.

Steven Moore n'est pas un délateur. Mais bien un lanceur d'alerte. Une sentinelle face à un danger bien réel, grandissant et souterrain. Il convient d'applaudir son courage. En menant cette action, ce père de famille prend des risques. Car l'on sait que certains réseaux pédophiles sont aux mains de mafieux qui savent faire disparaître les gêneurs. Dans d'autres domaines, les puissants utilisent des méthodes légales pour les faire taire. Les lanceurs d'alerte ont payé cher leur action contre de grands groupes économiques en se voyant accabler de procès et de pressions en tout genre.

C'est pourquoi saluer l'engagement de Steven Moore est une question de bons sens.

jtalpin@jir.fr

Sourcehttps://www.clicanoo.re/Editorial/Article/2019/05/24/Lanceur-dalerte-sentinelle-et-citoyen_578263

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