samedi 26 janvier 2019

Le référendum d'initiative citoyenne (RIC), pourquoi pas en France ?

Commençons par l'origine historique : la Révolution française.
 Il faut se replacer dans le contexte de l’époque (fin XVIIIème siècle).

Si beaucoup s’accordent alors sur l’idée de souveraineté populaire, et sur sa conséquence constitutionnelle, la démocratie directe, nombreux sont ceux qui y renoncent devant l’apparente impossibilité matérielle de réaliser un tel programme : comment faire participer massivement un peuple illettré à la vie politique, et comment réunir l’opinion de millions de personnes réparties sur un vaste territoire ?
La France n’est pas un canton suisse…

Citations :

« La plupart de nos concitoyens n’ont ni assez d’instruction ni assez de loisir pour s’occuper directement des lois qui gouverneront la France » (Sieyès, Archives parlementaires, 1re série, VIII, p. 594, cité par Frank Alengry, Condorcet, guide de la Révolution française, théoricien du droit constitutionnel et précurseur de la science sociale, Slatkine Reprints, Genève, 1971, p. 193).

« Comme dans un État libre tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eut la puissance législative; mais comme cela est impossible dans les grands États et est sujet a beaucoup d’inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse par ses représentants tout ce qu’il ne peut pas faire par lui-même » (Montesquieu, L’esprit des lois, Livre XI, chap. VI).

« Sans doute le gouvernement direct du peuple est-il la vérité officielle après le dix août et la formule rem-plit-elle les discours des conventionnels, mais beaucoup n’y croient pas » (Michel Pertué, Les projets constitutionnels de 1793, in Révolution et République, L’exception française, sous la direction de M. Voyelle, Actes du colloque de Paris I, Sorbonne 21-26 septembre 1992, éd. Kimé, Paris 1994, p. 180).

Pourtant, en 1792, alors qu’il est en train de bâtir le plan de Constitution que la Convention lui a commandé, Condorcet renouvelle expressément sa défiance envers le système représentatif :

« Les hommes ont tellement pris l’habitude d’obéir à d’autres hommes, que la liberté est, pour la plupart d’entre eux, le droit de n’être soumis qu’à des maîtres choisis par eux-mêmes. Leurs idées ne vont pas plus loin, et c’est là que s’arrête le faible sentiment de leur indépendance. (…) Presque partout cette demi-liberté est accompagnée d’orages; alors on les attribue à l’abus de la liberté, et l’on ne voit pas qu’ils naissent précisément de ce que la liberté n’est pas entière; on cherche à lui donner de nouvelles chaînes, lorsqu’il faudrait songer, au contraire, à briser celles qui lui restent » 

Faute de pouvoir imposer la démocratie directe en France, à lui tout seul, Condorcet réussit un coup de génie lors de la rédaction de la Constitution de 1793 :
- tout en maintenant le régime représentatif que les bourgeois voulaient mettre en place depuis des décennies en s'inspirant de la monarchie parlementaire britannique
- il introduisit le référendum d'initiative populaire.

Voilà son principe de fonctionnement :

Tout commence par la proposition d’un groupe de 50 citoyens. Si elle reçoit le vote favorable de l’assemblée primaire (sections de mille citoyens), puis de la commune, puis du département, le Corps législatif s’en trouve saisi et doit délibérer. La délibération est alors susceptible d’être soumise à la censure d’un référendum national, qui peut mener, en cas de contrariété avec le vote des députés, à la dissolution du corps législatif.

Si la Constitution de 1793 avait été appliquée, concrètement, la France aurait été une demi-démocratie. Mais hélas, elle n'est depuis cette époque qu'une république oligarchique (un petit nombre dirige et fait les lois); et même, plus précisément, ploutocratique (parce que ceux qui financent les élections, dirigent ensuite les élus).

Nul n’est prophète en son pays. Condorcet apprit la justesse de l’adage à ses dépens : alors qu’il allait connaître une popularité croissante au cours du XIXe siècle en Suisse et aux États-Unis , l’idée et le mécanisme d’initiative populaire connut un échec presque total en France.

Jusqu'à ce que le soulèvement des "Gilets jaunes" s'en empare fin 2018-début 2019.

C’est donc ailleurs que le processus imaginé par Condorcet va se propager, à commencer par la Suisse, où la présence historique de la démocratie directe offre un humus propice à la prolifération de l’idée nouvelle .

Or, si la démocratie directe sous forme d’assemblées votantes est une institution traditionnelle dans certains cantons suisses, le nouveau mécanisme offert par le droit d’initiative n’y est apparu qu’au milieu du XIXe siècle.

En 1848, la Suisse est donc passée d'un régime démocratique à un régime semi-démocratique (combinant régime représentatif et votations citoyennes inspirées du référendum d'initiative populaire de Condorcet).

Rappel historique concernant la Suisse :

« Les landsgemeinde remontent au pacte historique qui unit, au XIIIe siècle, les trois célèbres Waldstätten, Schwyz, Uri, Unterwald; c’est peu après, en 1387, que Glaris tint sa première assemblée de ce type. (…) La source, est, non pas athénienne, mais germanique; les Alamans, ancêtres des Suisses alémaniques actuels, n’allouaient à chaque famille qu’une propriété limitée, le reste demeurant collectif; les pâturages étaient gérés en commun et c’est en commun également qu’on exploitait les forêts, qu’on fixait les dates de montée à l’alpage. Une gestion démocratique naissait naturellement de cette association d’hommes libres, l’homme libre, notons le bien, étant celui qui portait l’épée. La communauté rendait la justice, fixait la limite entre l’intérêt particulier et l’utilité publique. (…) Ces assemblées étaient ainsi amenées à établir des lois et des constitutions, la politique se confondant avec une simple administration » (André Siegfried, La Suisse, démocratie témoin, 4e éd., A La Baconnière, Neuchatel, 1969, p. 144).

D'autres pays ont, depuis, adopté l'idée de Condorcet avec des variantes ou des limitations (référendum révocatoire, référendum législatif mais pas sur la fiscalité, etc.).

En 1898, le Dakota du Sud fut le premier État à adopter le droit d’initiative. Actuellement, 24 États des États-Unis d’Amérique ont inscrit le droit d’initiative populaire dans leur Constitution .

Par ailleurs, le référendum d’initiative populaire est en pratique dans plusieurs pays du monde : l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne (référendum consultatif), le Canada, le Libéria, le Guatemala, le Venezuela et, récemment, les Iles Philippines et la Hongrie.

Alors, pourquoi pas la France ?!

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