jeudi 15 juillet 2010
Sans jamais cesser
de se prévaloir de l’anarchisme, la philosophie politique et sociale du
libertaire Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) a pris une orientation
toujours plus libérale qui culmine dans ses derniers ouvrages : la
Théorie contre l’impôt (1860), Du principe fédératif (1863) et
la Théorie de la propriété (1865).
Sans doute sa pensée a-t-elle continué à
véhiculer quelques positions peu libérales (l’opposition
au libre-échange international, l’évocation du « travailleur
collectif »...). Il n’a cessé de guerroyer contre plusieurs des grands
libéraux de son temps, s’en prenant volontiers à « l’école prétendument
libérale » à « la secte des soi-disant économistes ».
Proudhon et les libéraux : « je t’aime, moi non plus »
Mais, comme fasciné
par cette économie politique qu’il souhaite remettre sur ses pieds, il
cite simultanément les libéraux Say, Passy, Dunoyer comme des
références, dévore le Journal des Economistes et admire « Adam Smith, ce
penseur si profond ». Tout semble s’être passé comme si en se
mesurant constamment à eux, Proudhon avait peu à peu ingéré le meilleur
des théoriciens libéraux pour en faire son miel et aiguiser sa propre
pensée – prédisposée à accueillir la sève libérale.
Publiée en 1848 et 1849 dans la Voix du peuple, sa célèbre polémique avec Frédéric Bastiat au
sujet de la légitimité de l’intérêt et la gratuité du crédit a pu jouer
un rôle central à cet égard. Il a profondément ressenti l’influence de
l’auteur des Harmonies économiques - son involontaire instituteur et
accoucheur en libéralisme. C’est ainsi que Proudhon affirme son
programme politique profondément individualiste et anti-étatiste :
« Voilà
donc tout mon système : liberté de conscience, liberté de la presse,
liberté du travail, liberté de l’enseignement, libre concurrence, libre
disposition des fruits de son travail, liberté à l’infini, liberté
absolue, liberté partout est toujours ! C’est le système de 1789
et 1793 ; le système de Quesnay, de Turgot, de Jean-Baptiste Say (...)
La liberté, donc, rien de plus, rien de moins. Le ‘ laisser-faire,
laissez-passer’ dans l’acception la plus littérale et la plus large ;
conséquemment, la propriété, en tant qu’elle découle légitimement de
cette liberté : voilà mon principe. Pas d’autre solidarité entre les
citoyens que celle des accidents de force majeure (...) C’est la foi de
Franklin, Washington, Lafayette, de Mirabeau, de Casimir Périer,
d’Odilon Barrot, de Thiers... »
Proudhon était
foncièrement anarchiste, individualiste et anti-étatiste et souvent plus
proche d’être un libéral anticapitaliste et antibourgeois qu’un
socialiste. Par exemple, avec Tocqueville et Bastiat, Proudhon s’est
vivement opposé à une proposition de loi qui venait de Lamartine, sur
"le droit au travail". Pour eux ce "droit" voulait dire que l’on
retirait à l’individu la responsabilité de chercher lui-même du travail,
et qu’on l’incitait à attendre que les autres lui en donnent.
Une méfiance absolue envers le pouvoir
Dans son refus du pouvoir, c’est-à-dire de tout gouvernement, Proudhon se souvient de ce que disait Montesquieu « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Il écrit ainsi :
« Adorateurs du
pouvoir, vous ne songez qu’à fortifier le pouvoir et à museler la
liberté, votre maxime favorite est qu’il faut procurer le bien du
peuple, au lieu de procéder à la réforme sociale par l’extermination du
pouvoir et de la politique. Le gouvernement est de nature
contre-révolutionnaire, ou il résiste, ou il opprime, ou il corrompt, ou
il sévit. Pour combattre et réduire le pouvoir, pour le mettre à la
place qui lui convient dans la société, il ne sert à rien de changer les
dépositaires du pouvoir, ni d’apporter quelque variante dans ses
manœuvres ; il faut trouver une combinaison agricole et industrielle au
moyen de laquelle le pouvoir, aujourd’hui dominateur de la société, en
deviendra l’esclave. »
Refus du pouvoir et,
par conséquent, refus de tout gouvernement : concluons sans crainte que
la formule révolutionnaire et anarchiste de Proudhon ne peut plus être
ni législation directe, ni gouvernement direct, ni gouvernement
simplifié ; elle est « pas de gouvernement ».
Ces idées sont
développées dans sa grande œuvre éditée en 1851 Idée générale de la
révolution au XIX° siècle, qui influença beaucoup Bakounine.
La propriété privée comme rempart de l’individu contre l’Etat
Sa vision d’une société de coopération régie par des contrats volontaires est tout à fait libérale. Malgré
son anticapitalisme, il finit par reconnaître que la propriété
individuelle, absolue et incoercible, peut assurer la protection des
faibles contre l’Etat, qui est l’ennemi véritable du citoyen :
« La propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir (...) Où
trouver une puissance capable de contre-balancer cette puissance
formidable de l’Etat ? Il n’y en a pas d’autre que la propriété (...) La
propriété moderne peut être considérée comme le triomphe de la liberté
(...) La propriété est destinée à devenir, par sa généralisation, le pivot et le ressort de tout le système social. » (Théorie de la propriété, 1862)
Il assure que sa
célèbre formule : « la propriété, c’est le vol » a été mal comprise. Il
s’en explique en 1849 dans les Confessions d’un Révolutionnaire :
« Dans mes premiers mémoires, attaquant de front l’ordre établi, je disais, par exemple : La propriété, c’est le vol ! Il
s’agissait de protester, de mettre pour ainsi dire en relief le néant
de nos institutions. Je n’avais point alors à m’occuper d’autre chose.
Aussi, dans le mémoire où je démontrais, par A plus B, cette
étourdissante proposition, avais-je soin de protester contre toute
conclusion communiste.
Dans le Système
des Contradictions économiques, après avoir rappelé et confirmé ma
première définition, j’en ajoute une toute contraire, mais fondée sur
des considérations d’un autre ordre, qui ne pouvaient ni détruire la
première argumentation, ni être détruites par elle : La propriété, c’est
la liberté ! »
La formule « la
propriété, c’est le vol » ne condamnait pas la propriété en soi, mais
l’injuste distribution de la propriété qui est le fait de l’étatisme.
Tout avait fort mal commencé, pourtant, avec cet
immortel « la propriété, c’est le vol », morceau de bravoure initial de
Qu’est-ce que la propriété ? (1840). La correction de tir survient
toutefois assez vite : dès 1846, avec le Système des contradictions
économiques ou Philosophie de la misère, aussitôt dénoncé par Marx dans
sa Misère de la philosophie. Proudhon s’y
emploie déjà à réhabiliter le droit de propriété en le reliant aux
principes de libre concurrence qu’il défend contre les premières
attaques collectivistes.
Proudhon et les socialistes
Surtout, son
originaire et viscéral anti étatisme prend désormais presque davantage
pour cibles le socialisme et le communisme. Cette théorie de la
propriété est aux yeux de son auteur non seulement compatible, mais la
conclusion logique de l’anarchisme bien compris- ce principe
« contractuel » faisant que « le plus haut degré d’ordre de la société
s’exprime par le plus haut degré de liberté individuelle » où prime « le
gouvernement de l’homme par lui-même. »
Il critiqua les socialistes autoritaires comme le socialiste et très étatiste Louis Blanc. Grand
ennemi du communisme, il dénonce le système phalanstérien qui selon
lui ne « renferme que bêtise et ignorance ». Dans son Système des
contradictions économiques il écrit notamment que « Le communisme est
synonyme de nihilisme, d’indivision, d’immobilité, de nuit, de
silence ».
A noter que Proudhon fit peu de critiques publiques de Marx ou du marxisme parce que de son vivant Marx était un penseur relativement mineur. Le discrédit dans lequel tomba Proudhon au 20° siècle, après l’internationalisation du Marxisme, permet aux disciples de Marx de récupérer sans vergogne certaines idées ainsi que des principe formulés par Proudhon bien avant Marx.
Source : https://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/proudhon-la-propriete-c-est-la-78467
1 commentaire:
Montesquieu a écrit : «Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait! La vertu même a besoin de limites».
Alors que John Emerich Edward Dalberg-Acton ( 10 janvier 1834 – 19 juin 1902 ), 1er baron Acton, dit Lord Acton a dit : «Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument.»
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