jeudi 12 avril 2018

Proudhon : « la propriété, c’est la liberté ! »

par Alex Korbel (son site)
jeudi 15 juillet 2010


Sans jamais cesser de se prévaloir de l’anarchisme, la philosophie politique et sociale du libertaire Pierre Joseph Proudhon (1809-1865) a pris une orientation toujours plus libérale qui culmine dans ses derniers ouvrages : la Théorie contre l’impôt (1860), Du principe fédératif (1863) et la Théorie de la propriété (1865).

Sans doute sa pensée a-t-elle continué à véhiculer quelques positions peu libérales (l’opposition au libre-échange international, l’évocation du « travailleur collectif »...). Il n’a cessé de guerroyer contre plusieurs des grands libéraux de son temps, s’en prenant volontiers à « l’école prétendument libérale » à « la secte des soi-disant économistes ».

Proudhon et les libéraux : « je t’aime, moi non plus »

Mais, comme fasciné par cette économie politique qu’il souhaite remettre sur ses pieds, il cite simultanément les libéraux Say, Passy, Dunoyer comme des références, dévore le Journal des Economistes et admire « Adam Smith, ce penseur si profond ». Tout semble s’être passé comme si en se mesurant constamment à eux, Proudhon avait peu à peu ingéré le meilleur des théoriciens libéraux pour en faire son miel et aiguiser sa propre pensée – prédisposée à accueillir la sève libérale.
Publiée en 1848 et 1849 dans la Voix du peuple, sa célèbre polémique avec Frédéric Bastiat au sujet de la légitimité de l’intérêt et la gratuité du crédit a pu jouer un rôle central à cet égard. Il a profondément ressenti l’influence de l’auteur des Harmonies économiques - son involontaire instituteur et accoucheur en libéralisme. C’est ainsi que Proudhon affirme son programme politique profondément individualiste et anti-étatiste :

«  Voilà donc tout mon système : liberté de conscience, liberté de la presse, liberté du travail, liberté de l’enseignement, libre concurrence, libre disposition des fruits de son travail, liberté à l’infini, liberté absolue, liberté partout est toujours ! C’est le système de 1789 et 1793 ; le système de Quesnay, de Turgot, de Jean-Baptiste Say (...) La liberté, donc, rien de plus, rien de moins. Le ‘ laisser-faire, laissez-passer’ dans l’acception la plus littérale et la plus large ; conséquemment, la propriété, en tant qu’elle découle légitimement de cette liberté : voilà mon principe. Pas d’autre solidarité entre les citoyens que celle des accidents de force majeure (...) C’est la foi de Franklin, Washington, Lafayette, de Mirabeau, de Casimir Périer, d’Odilon Barrot, de Thiers...  »

Proudhon était foncièrement anarchiste, individualiste et anti-étatiste et souvent plus proche d’être un libéral anticapitaliste et antibourgeois qu’un socialiste. Par exemple, avec Tocqueville et Bastiat, Proudhon s’est vivement opposé à une proposition de loi qui venait de Lamartine, sur "le droit au travail". Pour eux ce "droit" voulait dire que l’on retirait à l’individu la responsabilité de chercher lui-même du travail, et qu’on l’incitait à attendre que les autres lui en donnent. 

Une méfiance absolue envers le pouvoir

Dans son refus du pouvoir, c’est-à-dire de tout gouvernement, Proudhon se souvient de ce que disait Montesquieu «  le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument  ». Il écrit ainsi :

« Adorateurs du pouvoir, vous ne songez qu’à fortifier le pouvoir et à museler la liberté, votre maxime favorite est qu’il faut procurer le bien du peuple, au lieu de procéder à la réforme sociale par l’extermination du pouvoir et de la politique. Le gouvernement est de nature contre-révolutionnaire, ou il résiste, ou il opprime, ou il corrompt, ou il sévit. Pour combattre et réduire le pouvoir, pour le mettre à la place qui lui convient dans la société, il ne sert à rien de changer les dépositaires du pouvoir, ni d’apporter quelque variante dans ses manœuvres ; il faut trouver une combinaison agricole et industrielle au moyen de laquelle le pouvoir, aujourd’hui dominateur de la société, en deviendra l’esclave. »

Refus du pouvoir et, par conséquent, refus de tout gouvernement : concluons sans crainte que la formule révolutionnaire et anarchiste de Proudhon ne peut plus être ni législation directe, ni gouvernement direct, ni gouvernement simplifié ; elle est « pas de gouvernement ».

Ces idées sont développées dans sa grande œuvre éditée en 1851 Idée générale de la révolution au XIX° siècle, qui influença beaucoup Bakounine.

La propriété privée comme rempart de l’individu contre l’Etat

Sa vision d’une société de coopération régie par des contrats volontaires est tout à fait libérale. Malgré son anticapitalisme, il finit par reconnaître que la propriété individuelle, absolue et incoercible, peut assurer la protection des faibles contre l’Etat, qui est l’ennemi véritable du citoyen :

« La propriété est la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir (...) Où trouver une puissance capable de contre-balancer cette puissance formidable de l’Etat ? Il n’y en a pas d’autre que la propriété (...) La propriété moderne peut être considérée comme le triomphe de la liberté (...) La propriété est destinée à devenir, par sa généralisation, le pivot et le ressort de tout le système social. » (Théorie de la propriété, 1862)

Il assure que sa célèbre formule : « la propriété, c’est le vol » a été mal comprise. Il s’en explique en 1849 dans les Confessions d’un Révolutionnaire :

« Dans mes premiers mémoires, attaquant de front l’ordre établi, je disais, par exemple : La propriété, c’est le vol ! Il s’agissait de protester, de mettre pour ainsi dire en relief le néant de nos institutions. Je n’avais point alors à m’occuper d’autre chose. Aussi, dans le mémoire où je démontrais, par A plus B, cette étourdissante proposition, avais-je soin de protester contre toute conclusion communiste.

Dans le Système des Contradictions économiques, après avoir rappelé et confirmé ma première définition, j’en ajoute une toute contraire, mais fondée sur des considérations d’un autre ordre, qui ne pouvaient ni détruire la première argumentation, ni être détruites par elle : La propriété, c’est la liberté ! »

La formule « la propriété, c’est le vol » ne condamnait pas la propriété en soi, mais l’injuste distribution de la propriété qui est le fait de l’étatisme.

Tout avait fort mal commencé, pourtant, avec cet immortel « la propriété, c’est le vol », morceau de bravoure initial de Qu’est-ce que la propriété ? (1840). La correction de tir survient toutefois assez vite : dès 1846, avec le Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, aussitôt dénoncé par Marx dans sa Misère de la philosophie. Proudhon s’y emploie déjà à réhabiliter le droit de propriété en le reliant aux principes de libre concurrence qu’il défend contre les premières attaques collectivistes.

Proudhon et les socialistes

Surtout, son originaire et viscéral anti étatisme prend désormais presque davantage pour cibles le socialisme et le communisme. Cette théorie de la propriété est aux yeux de son auteur non seulement compatible, mais la conclusion logique de l’anarchisme bien compris- ce principe « contractuel » faisant que « le plus haut degré d’ordre de la société s’exprime par le plus haut degré de liberté individuelle » où prime « le gouvernement de l’homme par lui-même. »

Il critiqua les socialistes autoritaires comme le socialiste et très étatiste Louis Blanc. Grand ennemi du communisme, il dénonce le système phalanstérien qui selon lui ne « renferme que bêtise et ignorance ». Dans son Système des contradictions économiques il écrit notamment que « Le communisme est synonyme de nihilisme, d’indivision, d’immobilité, de nuit, de silence ».
 
A noter que Proudhon fit peu de critiques publiques de Marx ou du marxisme parce que de son vivant Marx était un penseur relativement mineur. Le discrédit dans lequel tomba Proudhon au 20° siècle, après l’internationalisation du Marxisme, permet aux disciples de Marx de récupérer sans vergogne certaines idées ainsi que des principe formulés par Proudhon bien avant Marx.

Sourcehttps://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/proudhon-la-propriete-c-est-la-78467

1 commentaire:

Je a dit…

Montesquieu a écrit : «Tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le dirait! La vertu même a besoin de limites».

Alors que John Emerich Edward Dalberg-Acton ( 10 janvier 1834 – 19 juin 1902 ), 1er baron Acton, dit Lord Acton a dit : «Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument.»