mardi 24 octobre 2017

Gouvernance par consentement

Décision par consentement

[Extrait du guide des outils pour agir publié par la Fondation Nicolas Hulot et réalisé en partenariat avec L’Université du Nous.]

1. Définition

La gestion par consentement est la pratique de décision collective associée à la sociocratie, un modèle organisationnel issu des théories systémiques qui a émergé en Hollande dans les années 70 sous l’impulsion de Gerard Endenburg. Il vise à favoriser l’expression et la responsabilité des membres de l’organisation à travers notamment la co-décision dans une relation d’équivalence au pouvoir. Ce dernier point introduit une forme d’organisation construite en cercles qui délimitent les différents périmètres d’autorité d’une organisation. La prise de décision par consentement se différencie de la prise de décision par consensus : en consensus tout le monde dit « oui », en consentement, personne ne dit « non ». Cela sous-entend que lorsque l’on prend une décision par consentement, on ne va pas chercher la « meilleure solution » mais l’on va partir du principe qu’une bonne décision est celle qui respecte les limites de celles et ceux qui devront l’assumer, et qui ne compromet en rien la capacité de l’organisation à mener à bien sa mission. Le consentement implique qu’une décision ne peut être prise que lorsqu’il n’y a plus d’objection raisonnable à celle-ci. Tant qu’il y a des objections, l’ensemble du groupe est mobilisé pour bonifier la proposition. Ainsi, les objections permettent de révéler les limites avec lesquelles le groupe devra composer et indiquent donc l’espace de liberté dont le cercle dispose. L’affectation des personnes à leurs fonctions ou la délégation d’une mission peut également se réaliser par consentement. On utilise alors un second processus sociocratique appelé «l’élection sans candidat » qui, par définition, permet d’ouvrir une grande diversité d’opportunité au groupe puisqu’au départ il est possible d’élire chacun des membres de l’organisation. Elle permet de mettre en lumière les qualités requises pour le poste et de valoriser les richesses humaines disponibles.

LE FACILITATEUR

À la différence de l’animateur qui emmène un groupe vers un objectif à atteindre, le rôle du facilitateur est de dérouler les différentes étapes proposées dans le processus de décision. Qu’il soit ou non membre, il n’a pas de pouvoir sur le groupe. Il n’est pas plus responsable que les autres membres du groupe de la qualité du résultat obtenu.

LE SECRÉTAIRE

Dans le cercle, le secrétaire assure un relevé des décisions et de la matière qui ont émergé de la séance. Durant les prises de décisions, il seconde le facilitateur en notant les propositions, amendements, objections et bonifications. Il est également celui qui remplace le facilitateur lorsque ce dernier est impliqué directement dans une phase du processus. Par exemple, pendant que le facilitateur est concentré sur le traitement d’une objection qu’il a posée, il peut demander au secrétaire d’assurer la facilitation du processus et la reprendra ensuite. Les rôles de facilitateurs et de secrétaires sont attribués par le processus de l’élection sans candidat afin de donner toute la légitimité nécessaire à ceux qui assureront ces missions.

CIRCULATION DE LA PAROLE

S’il est socialement extrêmement simple de se répartir la nourriture contenue dans un plat, il est beaucoup moins naturel de se répartir la parole. À défaut d’une plus grande sagesse collective, les processus régissent la circulation de celle-ci et le facilitateur peut, selon les étapes du processus ou les circonstances, proposer différentes façons de la distribuer :
  • Parole tournante : le facilitateur lance la parole à sa droite ou sa gauche. Chacun s’exprime à son tour. Si quelqu’un n’est pas prêt, il peut passer. Le facilitateur reviendra vers lui une fois le tour terminé.
  • Parole au centre : pour inviter chacun à s’exprimer sur le sujet lorsque bon lui semble. À noter que cette pratique demande de la discipline pour rester centré sur le sujet de départ et ne pas réagir à ce que la personne précédente a exprimé.
  • Parole libre : permet de libérer la circulation de la parole. Celles et ceux qui souhaitent s’exprimer le font. On utilise ce terme en cercle dans l’intention de ne pas rentrer en débat. Chacun s’exprime pour nourrir le centre, c’est à dire pour faire avancer le groupe dans le processus de décision.

L’ÉCOUTE DU CENTRE

Écouter le centre, c’est écouter attentivement ce qui émerge du groupe au-delà de l’expression de chacun de ses membres. Si l’on considère que chaque personne a sa vérité et que personne ne détient LA vérité, alors le cercle sera d’autant plus riche que chacun dispose d’une facette de la résolution de la problématique qui est au centre.
L’écoute du centre invite ainsi chacun à écouter ce que l’autre a à offrir dans une posture de coopération, en lâchant son point de vue (potentiellement divergeant) sur la question et en essayant d’entrevoir en quoi ce qui est dit peut servir le sujet commun.
L’écoute du centre repose sur l’implication de chacun à nourrir le centre, c’est-à-dire d’aller lors de son tour de parole, écouter « ce qui est juste » en soi, participer de façon active, précise, argumentée de sorte à éclairer, apporter de la matière à la construction commune.

2. Mise en œuvre avec deux outils : l'élection sans candidat et la gestion par consentement

A. LA GESTION PAR CONSENTEMENT

0. Préparation de la proposition

  • Écoute du centre : chacun est invité à formuler les éléments importants relatifs au point traité. Cette phase peut prendre la tournure d’une discussion ouverte, cela peut être un temps à part entière.
  • Élaboration de la proposition : déterminer le sujet, la problématique, les arguments.
    Il est conseillé de faire une proposition simple au départ, qui sera transformée par intelligence collective au travers du processus de gestion par consentement.
    Deux possibilités sont offertes :
    • le facilitateur peut demander à une personne de formuler une proposition,
    • quelques personnes peuvent constituer un groupe d’amélioration qui va plancher sur l’élaboration écrite et argumentée de la proposition.
  • Présentation de la proposition : une personne est « porteuse » de la proposition, une seule proposition est traitée à la fois.

1. Clarifications : est-ce clair ? Est-ce que je comprends ?

Chaque participant pose des questions en vue de comprendre la proposition dans son ensemble. C’est le porteur qui répond et clarifie les éléments de la proposition. L’objectif est d’ôter tout doute ou possible interprétation erronée de la proposition, cependant le porteur ne répond pas aux « pourquoi ? ». Il ne s’agit pas à ce stade d’exprimer ce que l’on ressent vis-à-vis de la proposition (phase 2).

2. Ressentis : en quoi la proposition vient satisfaire mes besoins, ceux du projet par rapport à l’organisation ?

Chacun exprime ce que la proposition lui évoque. C’est à ce stade qu’un maximum d’informations peuvent être exposées afin de nourrir le proposeur pour lui permettre d’amender la proposition en phase 3.
Le proposeur tente d’avoir une écoute large, de saisir la température globale de ce qui se dégage au centre.

3. Amendements

Le proposeur est invité, sur la base de ce qu’il a entendu, à, éventuellement :
  • Reclarifier la proposition.
  • Amender la proposition : proposer des modifications (ajouts, retraits).
  • Retirer la proposition s’il s’avère qu’elle n’est pas pertinente. En cas de retrait, le processus reprend à la phase 0 avec une nouvelle proposition.

4. Formuler les objections

Les objections ne sont pas des préférences, des avis, d’autres propositions, c’est ce que l’on considère comme des limites pour soi et pour la mise en œuvre du projet.
  • Le facilitateur fait un tour pour savoir si les membres du groupe ont des objections. Dans un premier temps, ils sont juste invités à dire si « oui » ou « non » ils ont une objection. S’il n’y a que des « non », la proposition est adoptée, aller directement en célébration. S’il y a des objections, elles sont écoutées et traitées une à une. La formulation d’une objection n’est pas la formulation de la solution à celle-ci. Le facilitateur se centre sur l’obtention de la formulation de l’objection. Il note les objections au tableau avec le prénom de la personne qui les porte. Émettre une objection, c’est s’en défaire comme quelque chose de personnel pour en faire la richesse du groupe. Une objection est un véritable cadeau pour le groupe : elle va lui permettre d’aller plus loin en explorant des parties de la proposition encore inexplorées.
  • Le facilitateur teste les objections D’abord, identifier si une objection annule la proposition. Si c’est le cas, retour en 0. Le facilitateur n’a pas le pouvoir de dire si l’objection est raisonnable ou non. Il peut seulement poser des questions afin d’aider celui qui porte l’objection à le déterminer.
Une objection est raisonnable si :
  • Elle invite à une bonification de la proposition par l’intelligence collective du groupe.
  • Elle élimine la proposition, en la rendant impossible à réaliser (on gagne du temps en passant à une autre proposition).
  • Elle est argumentée de manière claire.
  • Elle n’est pas une manière détournée, consciemment ou non, d’exprimer une préférence ou une autre proposition.

5. Bonifications

Le facilitateur traite les objections une par une. Les objections posées au centre sont celles du groupe. La discussion est libre, chacun peut apporter des solutions dans le but de lever l’objection traitée. Le facilitateur s’assure régulièrement de vérifier que l’objection se lève auprès de la personne qui l’a émise. Si une solution lève l’objection d’une personne, celle-ci en informe le groupe.
Après un tour de levée d’objections, le facilitateur s’assure que de nouvelles ne sont pas apparues. Lorsqu’il n’y a plus d’objection, il y a consentement mutuel, la proposition est adoptée.

Les étapes du processus de 'gestion par consentement'


B. L’ÉLECTION SANS CANDIDAT

0. Définition : fonction, critères, mandat (effectué par le groupe)

Le secrétaire écrit ce qui émerge sur un tableau afin que les informations soient visibles de tous. Il peut reformuler mais il ne censure, ni n’interprète ce qui est proposé.
  • Définir la fonction
    Il s’agit de clarifier les missions afférentes au poste. Quelles tâches ? Quelles responsabilités ? Quel périmètre d’action ? La fonction est généralement déterminée en amont. Une écoute du centre suivie d’une gestion par consentement peut permettre au groupe de l’établir.
  • Lister les critères de choix
    Chacun exprime, selon son point de vue, quels seraient les critères pour remplir la fonction déterminée. Les critères peuvent être contradictoires. Ils pourront être la base de l’argumentation qui suivra, mais pas de façon restrictive. Cela permet une écoute globale par le groupe.
  • Définir le mandat
    Combien de temps ? Quelles conditions ? (Rémunération, nombre d’heures...).

1. Voter

Chacun vote sur un papier collant, écrit son nom et pour qui il vote : « moi X... je vote pour Y... ».
Ce n’est pas un vote à « bulletin secret », il est inutile de plier le bulletin de vote.
Le secrétaire récupère les papiers et les transmet au facilitateur.

2. Dépouillement

Le facilitateur lit à voix haute les résultats, il demande à chaque personne les raisons de son choix : « X... tu as voté pour Y..., peux-tu nous dire pourquoi ? ».
Chacun, au fur et à mesure du dépouillement, va argumenter son choix au groupe, va mettre en avant les qualités qu’il voit en la personne proposée et les raisons pour lesquelles elle pourrait remplir la fonction attendue.
Au tableau, le secrétaire inscrit le nom de la personne proposée et aligne en face le ou les papiers collants.

3. Report de voix

« À l’écoute des arguments : qui souhaite reporter sa voix ? »
À l’invitation du facilitateur, et à l’écoute des arguments évoqués lors du dépouillement, chacun peut, s’il le souhaite, reporter sa voix vers une autre personne ayant été proposée en 2. Ce n’est pas obligatoire.
La personne qui effectue un report argumente son réajustement. Si une personne n’obtient plus de voix à la fin de cette étape, elle ne sera plus éligible pour la suite du processus.

4. Proposition

Le facilitateur va demander au groupe si quelqu’un a une proposition de personne parmi les nominés. Cette proposition sera le départ d’un processus de gestion par consentement afin d’élire la personne qui sera proposée. La proposition peut concerner toute personne ayant au moins une voix après le tour 4. À ce stade, se remémorer le changement de paradigme proposé par l’élection sans candidat : n’est pas recherchée la meilleure personne, mais celle qui saura répondre à la fonction spécifiée.

5. Émettre les objections

Le facilitateur fait un tour en s’adressant à chacun pour savoir s’il y a des objections à ce que la personne proposée soit élue à la fonction. Dans un premier temps, est juste évalué le nombre d’objections. Le facilitateur ne s’adresse pas encore à la personne proposée, elle sera consultée en dernier.
S’il y a des objections, elles sont écoutées. Le secrétaire les note au tableau avec le prénom de celui qui les porte.
Les objections ne sont pas formulées contre la personne, elles ne marquent pas le fait d’une préférence pour une autre personne.

6. Bonifications

La facilitateur, en fonction du nombre d’objections et leur variété, a la possibilité de :
  • retourner en 4. et demander si quelqu’un a une autre proposition afin de voir si une autre personne proposée serait plus à même d’être élue avec moins d’objections à lever.
  • Traiter les objections.
    Le facilitateur traite les objections une par une. Les objections sont devenues celles du groupe.
    La discussion est libre, chacun peut apporter des solutions dans le but de lever l’objection traitée. Le facilitateur s’assure régulièrement de voir si l’objection se lève auprès de la personne qui l’a émise. Si une solution lève l’objection d’une personne, celle-ci en informe le groupe. Quand toutes les objections sont levées, le facilitateur s’adresse enfin à la personne proposée et lui demande si elle émet une objection à être élue
    • si « non », la proposition est adoptée, aller en célébration
    • si « oui », traiter l’objection. Si l’objection argumentée ne peut pas être levée : retourner en 4. Lorsqu’il n’y a plus d’objection, il y a consentement mutuel. La personne est élue !

Célébration

Pour marquer le fait que l’élection a été prise en consentement mutuel, se féliciter pour cette étape franchie en groupe. Au groupe de définir la manière dont il va célébrer cela (applaudissements, repas, fête...).

Les étapes du processus 'élection sans candidat'



Sources : « La démocratie se meurt, vive la sociocratie », Gilles Charest, Centro Esserci, 2007.

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