L’enseignement secondaire
(Alain, 1906)
L’enseignement secondaire n’est pas démocratique du tout. Et en disant cela, je ne pense point aux opinions des professeurs ; elles sont tout à fait variées, et c’est tant mieux. Je pense à des traditions déjà anciennes, et qui conduisent de bons esprits à faire de mauvais travail.
La tyrannie des examens et des concours aussi bien que l’étendue des programmes transforment la plupart des cours en des épreuves de vitesse. Quand l’examen arrive, une sélection est déjà faite ; et la plupart des concurrents sont déjà hors de course. Méthode excellente, si l’on ne pense qu’à distribuer de bons emplois aux plus méritants. Méthode détestable, si l’on veut instruire le plus grand nombre.
Si l’on croit que la culture de l’intelligence ne convient qu’à un petit nombre d’hommes bien doués, qui gouverneront ensuite les autres, alors oui il faut enseigner mal, et enseigner vite ; et c’est tant pis pour celui qui ne saura pas comprendre à demi mot ; il apprendra, au cours de ses études, le respect qui est dû à l’élite ; et cela suffit, dans un régime aristocratique. À ce point de vue l’Université [terme désignant l’ensemble du corps enseignant public] défie toute concurrence ; elle possède l’art d’enseigner mal ce qu’elle sait bien ; et ce n’est pas si facile qu’on le croirait.
Mais si l’on considère que les esprits les plus lents, et qui sont quelquefois les plus riches, sont ceux qui ont le plus besoin de conseils et de leçons ; si l’on croit que des citoyens préparés à la réflexion et à la critique sont le trésor d’une démocratie, et si l’on estime, d’après cela, que l’enseignement est fait principalement pour ceux qui ne sont pas capables de s’instruire tout seuls, alors, il faut reconnaître que l’Université ne nous en donne point pour notre argent.
Alain (Émile Chartier, formidable professeur de philosophie), Propos d’un Normand, 17 mars 1906.
Sources : https://philosophe-alain.fr/propos/lenseignement-secondaire/ et
jeudi 5 septembre 2024
L’enseignement secondaire n’est pas démocratique du tout (Alain, 1906)
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