ADAGES
Août 2024
Source :
https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/08/16/adagios-2/
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Recommençons alors avec quelques aphorismes datant d’il y a plusieurs décennies. Voyez par vous-mêmes si ce qui a été dit alors aide ou pas à comprendre ce qui se passe maintenant.
I
Le but de la pensée critique n’est pas de trouver la vérité (et donc de construire un nouvel alibi pour l’arbitraire du moment), mais de mettre en question les “vérités”, les confronter, les démanteler et les montrer pour ce qu’elles sont : l’opinion idiote d’un ou plusieurs idiots (homme ou femme bien entendu, n’oublions pas la parité de genre…) ayant peu ou beaucoup de suiveurs. La pensée critique n’est pas juste une position théorique. C’est, par dessus tout, une position éthique sur la connaissance et la réalité.
II
Ce qu’ils appellent “l’Histoire” avec un “H” majuscule n’est qu’un corps fébrile inventé par les politiciens et leurs scribes. Mais, à la table des politiciens au pouvoir, il n’y a pas de squelette. Juste un miroir. Vous pouvez toujours embellir le cadre, mais le miroir lui, continue de réfléchir la même décomposition de la réalité. La différence entre des cercueils ne changent en rien la similarité de leur contenu. Quand les gouvernements accusent le miroir, parce qu’il est concave, de déformer la réalité, ils prétendent cacher que c’est leur regard qui exclut les distorsions. Le même regard par lequel IL est celui qui illumine et met tout en couleur.
L’histoire passée, celle avec un “h” minuscule, n’est rien d’autre que l’antécédent du cauchemar actuel. Aujourd’hui se construit la mort et la destruction de demain.
III
L’idée ne précède pas la matière. C’est l’inverse. Ce n’est pas une théorie sociale ou philosophique qui fait se lever et met le capitalisme comme système dominant, ni non plus ses étapes différentes. La théorie sociale est une gigantesque étagère d’idées vers lesquelles se tournent les différentes propositions politiques à la recherche de raisons donnant un sens à la déraison. Les systèmes dominants ne sont rien que le même corps portant des habits différents dans leur présentation, mais égaux dans leur hypocrisie.
La théorie sociale à la mode n’est qu’un “bestseller” momentané, qui coexiste avec des théories d’aide à soi-même, du comment gagner des amis (des “suiveurs” comme ils appellent ça maintenant) et de fondations affirmant que la fin justifie les moyens selon que ce soit le conservatisme ou le progressisme (qui n’est rien d’autre qu’un conservatisme plus léger…)
Ce qui fait croître le capitalisme est un crime. Chaque étape de son développement ressemble à un tueur en série : il y gagne de plus en plus d’expérience. Le boulot des théoriciens officiels est d’embellir ce crime avant un zeste de romantisme, d’aventure et bien sûr, de frivolité.
Dans la théorie sociale, la plupart du temps, on ne cherche pas à comprendre pour révolutionner, c’est à dire pour changer le matériel de base d’un système. Ce que les “théoriciens” qui étaient dans l’opposition hier et dans le gouvernement aujourd’hui, recherchent, est un remplacement dans la confraternité. C’est pourquoi les “aNexos” d’hier sont les caricaturistes d’aujourd’hui. Les noms et travaux changent, mais la promotion demeure et bien sûr, la paie. La réaction de la droite est celle d’un ex-époux(se), indigné(e) parce que quelqu’un d’autre fut choisi. Et ces autres, ce à quoi ils aspirent est d’occuper la place de ceux qui y étaient au chaud hier encore. Ils partagent tous la même anémie intellectuelle, ainsi, il n’y a pas de problème.
IV
L’historien d’aujourd’hui accommode l’historiographie au goût de son patron. Il va sur l’étagère des idées y voir des personnages, soit pour construire des méchants ou des héros. L’inclusion d’héroïnes ou de vilaines se sexe féminin est une concession bénévole à un féminisme qui se satisfait de pas grand chose. La plus grande peur de l’historien aujourd’hui, est de trouver des groupes, des collectifs ou des peuples entiers responsables durant une période. Qui peut vendre un livre avec la biographie d’un non-individu ? Parce que c’est ce qu’est une communauté.
L’historien d’aujourd’hui vend des alibis et fait la pub pour le soutien de l’histoire en carton au pouvoir. Pour lui, l’histoire n’est que l’arrière-plan qui met en valeur son présent lumineux. L’équivalent littéraire de la scène kitsch sur les peuples indigènes sont les biographies et la recherche cultivées dans les cercles du Pouvoir. Ainsi, les calendriers sont ajustés sur les hauts et les bas, les victoires et les défaites d’un empire après l’autre.
La confusion est telle qu’il y a ceux qui pensent, maintiennent et argumentent que l’empire Aztec était la panacée des peuples natifs du continent avant la conquête espagnole, que la Russie est l’URSS et que la Chine est une géographie ayant le communisme comme système dominant ; que les gens sont intelligents s’ils votent pour Lula, Kirchner, le PSOE, Macron et Harris et ignorants s’ils votent Bolsonaro, Le Pen, Milei ou Trump. Bien peu de choses sont aussi prostituées que la “démocratie”, mais rien n’est plus cher.
Dans l’histoire inconnue des capitulations, ceux qui demeurent silencieux et matures (comme enseigné à l’école des cadres du Parti…), vont sur l’étagère des idées pour y acheter quelque chose qui leur sera utile. Cela est inutile : la trahison des principes et des convictions est une capitulation, même déguisée comme Poulantzas. L’étiquette “gauche” ne change pas l’essence du fait : c’est une complicité de crime, le pire de tous : celui d’un système contre l’humanité.
V
En politique il n’y a pas de morts, seulement des cadavres à répétition.
Comme le disent les gens à propos de Pedro Infante : le PRI n’est pas mort, il vit dans le cœur de tous les partis politiques. Voilà pourquoi les politiciens professionnels changent d’acronymes de parti comme ils changent de slip, sans aucun problème. Que le slip soit propre… ou pas.
Il n’y a aucune différence entre les politiciens conservateurs de droite et progressistes de gauche, tout comme il n’y a aucune différence fondamentale entre un bon et un mauvais patron. Tous deux gèrent la dépossession et l’exploitation.
Les options politiques ne changent pas dans leurs objectifs (agent le gouvernement), non plus dans leur fonctionnement (servant le pouvoir économique). Elles ne font que changer leurs alibis.
VI
Dans son étape actuelle, le système mène une n nouvelle guerre de conquête et son but est de détruire/reconstruire, dépeupler/repeupler. Destruction / dépopulation et Reconstruction / Réorganisation d’une zone est la destinée de cette guerre.
Le gouvernement israélien ne se venge pas des attaques du Hamas et de la résistance palestinienne du 7 octobre 2023, il détruit et dépeuple un territoire entier. Le business ne se limite pas à la destruction et au meurtre de masse, ce sera aussi de reconstruire et de réorganiser. C’est pourquoi il y a une évidente complicité entre les états-nations du monde à cet égard. Lorsque les “nations” envoient de la logistique militaire à Israël, elles ne soutiennent pas seulement le génocide du peuple palestinien ; ils investissent dans un crime. Les dividendes de cette affaire en cours viendront plus tard. (NdT : nous l’avons dit ici et le répétons, les guerres dans cette région sont essentiellement des guerres du gaz naturel menées par Exxon-Mobil et la clique financière… Il y a un gigantesque champ gazier au large de Gaza, du Liban, de la Syrie s’étendant jusqu’à Chypre, qui est déjà une colonie anglo-sioniste.)
VII
Il n’y a pas de “bonnes” ou “mauvaises” destructions. Les excuses et les couleurs changent, mais le résultat est le même. Il n’y a pas de différences substantielles entre le Porfirian Isthmus Train, le Plan Fixiste de Puebla-Panama et le couloir Trans-Isthme Morena. L’un a échoué et l’autre échouera aussi. Son objectif est en rien le bien-être (sauf celui du Capital), ceci n’est en fait que l’imposition supplémentaire de frontières à celles qui existent déjà. Et comme les autres, ce ne sera pas respecté ; et pas par les milliers de migrants, mais par la corruption et le cynisme que, des siècles plus tard, les néo-esclavagistes d’aujourd’hui découvrent : le trafic des êtres humains est un business très lucratif et il y a d’énormes ressources naturelles de matières premières (obtenues par les guerres et les politiques des différents gouvernements). L’investissement de capital est minimum : vous n’avez besoin que d’une bureaucratie, de cruauté et de cynisme. Et de cela, il y en a à revendre dans le Capital et dans l’État.
Les soi-disants mega-projets ne mènent pas au développement. Ce ne sont que des couloirs commerciaux ouverts de façon à ce que le crime organisé puisse avoir de nouveaux marchés. La dispute entre les cartels rivaux n’est pas seulement au sujet du trafic des êtres humains et de la drogue, mais c’est avant tout au sujet du monopole du droit de passage de ce qui a été faussement appelé le “train maya” et le “couloir trans-isthme”. On ne peut pas taxer les animaux et les arbres, mais on peut le faire sur les communautés et les entreprises qui s’établissent sur cette autre frontière inutile dans le sud-ouest du Mexique.
Ceci assure la croissance des guerres pour le contrôle territorial dans lequel l’hologramme de l’état-nation sera absent.
Partant du critère que la violence de ce qu’ils appellent le “crime organisé” est une anomalie du système n’est pas seulement faux, cela nous empêche également de comprendre ce qui se passe et donc de pouvoir agir en accord. Ce n’est pas une irrégularité mais une conséquence.
L’objectif est consensuel : l’État veut un marché de libres-échanges (“libre” d’envahisseurs, c’est à dire en clair, des peuples indigènes) et les autres veulent le contrôle d’un territoire.
Dans l’image de ce qui fut appelé le capitalisme monopoliste d’état, dans lequel le Capital s’attendait à ce que l’État crée les conditions pour sa mise en place et son développement, maintenant il s’agit de ce que l’armée appelle tactiquement “un mouvement en tenaille” : à la fois l’État et le crime organisé, saisissent un territoire, le détruisent et le dépeuplent, puis le grand Capital arrive et le reconstruit et le réorganise.
Ceux qui disent qu’il y a une alliance entre les gouvernements et le crime organisé mentent. Il n’y a pas non plus d’alliance entre une entreprise et ses clients. Ce qu’il y a en revanche, c’est une simple, mais coûteuse, opération commerciale : l’état offre une absence et le cartel en question “achète” cette absence et remplace la présence de l’État dans une ville, une région, une zone, un pays. Le gain est mutuel entre l’acheteur et le vendeur, la perte est pour ceux qui survivent dans ces endroits. “Quiconque paie ou loue, commande” est le vieil aphorisme que les analystes et les “scientifiques sociaux” oublient.
En ce qui concerne ce qui est appelé “le crime organisé”, l’État et le Capital font, comme d’habitude, un mauvais calcul : ils assument que l’employé va adhérer à ce qui a été conclu. Et qu’il ne va pas opérer de son propre chef.
Comme cela s’est produit avec l’encouragement à la création de groupes paramilitaires, qui, alors qu’ils étaient formés par les peuples indigènes, dont on pensait qu’ils pouvaient être contrôlés. Après tout, ce sont des gens ignorants et manipulables. Et puis Acteal. Les Abejas ont raison, le massacre d’Acteal en 1997, avec sa cruauté et son impunité, ne fut que le prélude du cauchemar actuel. L’État pense que ceux du soi-disant Crime Organisé sont ses serviteurs et qu’ils vont et viennent comme on leur demande ou force de le faire. C’est à cause de cette croyance qu’ils ont ces surprises dont ils souffrent.
Maintenant, essayez de répondre à cette question : pourquoi les cartels (criminels) et leurs confrontations fleurissent-ils dans un état fédéral qui a été militarisé depuis plus de 30 ans, avec l’accord du gouvernement pour ceux qui ont envahi l’état du sud-est mexicain du Chiapas, affirmant qu’ils évitent ainsi la “balkanisation” de la république ? Oui, il semble que le territoire mexicain soit plus fragmenté que jamais.
(A suivre)
Depuis les montagnes du sud-est mexicain,
Le capitaine
Août 2024
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