mercredi 1 janvier 2025

[2024_12_13] Syrie et impérialisme : triste ironie politique, la solution est là, nichée au Rojava sous la forme du Confédéralisme Démocratique (Résistance 71)

“Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu.”
~ Bertold Brecht ~

“De la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de la rébellion.”
“Se battre contre le capitalisme dans sa phase néolibérale, c’est se battre pour l’humanité.”
~ 6ème déclaration zapatiste, 2005 ~

“L’objectif est le peuple, la société, la communauté, la liberté, la beauté, la joie de vivre.”
~ Gustav Landauer 1911 ~

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Syrie et impérialisme : triste ironie politique, la solution est là, nichée au Rojava dans sa forme de Confédéralisme Démocratique

Résistance 71

13 décembre 2024

Un énorme gâchis politique se transforme en horreur au quotidien pour tout un peuple. Treize ans de guerre, dont six entre 2011 et 2017 dure et implacable comme toutes les guerres. Une guerre non pas “civile” comme la propagande occidentale ne cesse de l’affirmer depuis le départ, mais une guerre d’agression impérialiste de changement de régime, comme à l’accoutumée occidentale, afin de contrôler cette zone géopolitiquement et économiquement stratégique.
Depuis 2011, suite au refus de Bachar al-Assad de laisser passer un gazoduc qatari au travers de la Syrie, une guerre sans merci par procuration a lieu dans ce pays laïc, multi-confessionnel et multi-culturel. L’OTAN, via les Etats-Unis en Irak, la Turquie et l’entité sioniste pour qui ils se prostituent, ont créé un monstre islamiste “djihadiste”, qui a pris plusieurs noms : L’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL), puis Etat Islamique, plus connu sous son acronyme arabe de “Daesh”. Ces groupes formés originellement en Irak, recrutant de manière internationale comme Al Qaïda (création de la CIA en Afghanistan dans les années 1980) une armée mercenaire, financée par les pays du Golfe, essentiellement le Qatar (Exxon-Mobil) et formée, armée, encadrée par des forces de l’OTAN et affiliées (US, GB, Turquie, France, Israël). Certes il y avait une opposition au gouvernement syrien en Syrie, mais pas dans les proportions de créer une armée islamiste de dizaines de milliers de membres. Cette “opposition” a été recrutée et importée de l’extérieur sous contrôle et protection américain et turc.
Dans le même temps et depuis environ 2005, se niche dans le nord et nord-est de la Syrie une zone multi-culturelle à dominante kurde, qui a fait un choix politique se décalant du régime politique syrien et tout autre régime politique ou théocratique. Pour mieux comprendre l’affaire, nous devons faire un retour historique lointain et récent.
Si on regarde une carte de ce qu’on pourrait pour simplifier appeler le “Kurdistan”, on se rend compte que le peuple Kurde qui existe dans cette zone géographique depuis le Néolithique, est aujourd’hui réparti, par le truchement de divisions territoriales résultant de multiples guerres impérialistes dont les Kurdes furent victimes et jamais acteurs, entre quatre pays : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Si la culture kurde est la même partout de manière ancestrale, l’orientation politique des Kurdes dépend de leur zone et mode de vie. Par exemple les Kurdes d’Irak sont foncièrement alliés des Américains et d’Israël. Ceci n’est pas vrai ailleurs, notamment en Syrie, même si des alliances ont pu, du être conclues pour combattre Daesh et dans l’après 2016, depuis les Turcs ont envahi plusieurs régions du Nord et continuent d’y soutenir les djihadistes.
Les Kurdes de Turquie, opprimés depuis toujours par l’état, ont formé une résistance politique et armée contre leur oppresseur. En 1978, voyait le jour le Parti des Travailleurs Kurdes ou PKK de son acronyme kurde, qui était d’obédience marxiste-léniniste. Le fondateur du parti, Abdullah Öcalan, qui a résidé en exil en Syrie, puis au Kenya d’où il fut enlevé par les services secrets turcs, est emprisonné dans un QHS turc. A la fin des années 1990, Öcalan abandonna le marxisme pour emprunter la voie politique du communalisme libertaire prônée par l’anarchiste américain Murray Bookchin. Le PKK, continuant la lutte armée, se détacha des revendications de la création d’un état kurde, pour se consacrer au développement de communes libres autonomes tout en dénonçant le non-sens politique du concept “d’état-nation” ne menant qu’à l’oppression, la guerre, le chaos et la destruction parce que contre-nature. 


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Les Kurdes du nord de la Syrie, à l’instar des Kurdes du sud de la Turquie, adoptèrent et mirent en pratique ce modèle de gouvernance autonome des communes libres. En 2011, Öcalan, depuis sa prison turque, publia un “Manifeste du Confédéralisme Démocratique” (voir ci-dessous) analysant le modèle politique étatique dominant pour le réfuter et se faire le promoteur de la confédération de communes libres, librement associées, dont le modèle dépasserait totalement la société kurde et la région multi-ethnique et multi-culturelle du nord de la Syrie, appelée Rojava, pour s’appliquer à l’ensemble de la nation syrienne, du Moyen-Orient et au delà.
L’ironie du sort politique syrien de notre titre provient du fait que le marasme actuel du pays n’avait pas besoin de se produire si les gens avaient lu, écouté, compris et rejoint pas à pas l’expérience fondamentale démocratique, hors état et rapport marchand “classique”, qui a existé au Rojava dans sa forme originelle des années 2005 jusqu’à environ 2016. A cette date, des accords dus à la guerre en Syrie furent passés et après la créations des “Forces Démocratiques Syriennes” ou FDS auxquelles participent les Kurdes du Rojava par nécessité de survie politique, soutenues et encadrées par les Américains. Ceux-ci imposèrent un “contrat social” pour le Rojava, créant un proto-état et des institutions hybrides. Depuis cette époque, le Confédéralisme Démocratique qui prévalait en 2011 et organisait le Rojava, a été dilué dans une bouillie para-étatique sous contrôle de l’empire. Les forces de défenses populaires kurdes du Rojava, les YPG et célèbres YPJ, branche féminine des YPG, participent aux FDS.

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Quoi qu’il en soit, au-delà des alliances forcées ou de conjoncture, les Kurdes savent qu’ils ne peuvent pas faire confiance aux Yankees et ne désarmeront pas, les forces de défenses populaires, le peuple en arme, continueront la défense des communes libres du Rojava et les Syriens devraient se tourner vers ce mode de gouvernance avant que la barbarie islamistes mercenaires à la solde de l’empire n’écrase tout. Les Turcs haïssent les Kurdes et vont tôt ou tard emboîter le pas des sionistes et bouger pour annexer le nord de la Syrie, ils y procèderont à un nettoyage ethnique comme le fait l’entité sioniste en Palestine occupée.
Aujourd’hui, la seule chance politique des Syriens et du Moyen-Orient au grand large, est le Confédéralisme Démocratique qui n’est pas kurde, mais universel. Il appartient à tout le monde. Ceci est important de bien le comprendre. Le Confédéralisme Démocratique tel que conçu par Öcalan est une émanation de l’esprit communard, une réincarnation de l’esprit de la Commune de 1871 et des Collectifs Espagnols de 1936, motivé par l’essence même d’une nature humaine faite d’entraide, de coopération, de compassion et d’amour, spoliée il y a bien des siècles par l’avènement, non inéluctable mais induit, du contrôle du pouvoir et du rapport marchand par une caste établie hors du corps social des sociétés.
Pour mieux le comprendre laissons la parole à Abdullah Öcalan qui l’exprime au mieux dans son manifeste que nous avons traduit et publié il y a bien des années (voir sous cet article)… Öcalan qui bien sûr est présenté en occident et en Turquie comme un “terroriste”, un vestige du passé et de l’idéologie marxiste, alors que le PKK a renoncé à la création d’un état-nation kurde et n’est plus, depuis un quart de siècle, sur la ligne éculée marxiste de la prise de pouvoir et de l’imposition d’un pseudo-communisme par la force d’un parti et des institutions, a remis en cause sa pensée politique et mis en place un système de gouvernance embrassant les associations libres, la multiplicité et la diversité culturelle. Le Confédéralisme Démocratique pensé par Öcalan est l’antidote pratique au pouvoir étatique centralisé, hiérarchique et oppresseur. Ce qu’il propose n’est pas une “utopie”, c’est une réalité pratique qui a fonctionné pendant plus de 10 ans dans les communes kurdes à la fois côté turc que côté syrien (Rojava) et continue de fonctionner aujourd’hui, même si de manière diluée à la sauce impérialiste ; mais les Kurdes avaient-ils le choix Das le contexte de la guerre imposée par l’occident colonial prédateur ?. Quelques échantillons ci-après de la pensée d’Öcalan, et lisez le texte en entier sous l’article. Il en vaut la peine.

“Le PKK n’a jamais regardé la question kurde comme un seul problème ethnique ou de nationalité. Nous avons cru que c’était un projet de libération de la société et de sa démocratisation.”

“L’état-nation lui-même est la force la plus avancée de complet monopole.”

“Si l’état-nation est la colonne vertébrale de la modernité capitaliste, il est aussi certainement la cage de la société naturelle.”

“L’état-nation vise à monopoliser tous les processus sociaux. La diversité et la pluralité doivent être combattues, une approche qui a mené à l’assimilation et au génocide.”

“L’état-nation est le gouverneur national du système capitaliste mondial… c’est une colonie du capital, il sert les processus capitalistes d’exploitation. […] Ainsi, l’état-nation n’est pas avec le peuple, il est au contraire l’ennemi du peuple.”

“Voilà pourquoi la création d’un état-nation kurde n’est pas une option pour le PKK.”

“Le Confédéralisme Démocratique peut être appelé une administration politique non-étatique de la démocratie sans état.”

“Le Confédéralisme Démocratique repose sur l’expérience historique de la société et de son héritage collectif… Il est la progéniture de la vie en société.”

“Nous appelons démocratie l’application des processus démocratiques de prise de décision politique partant du local pour rayonner vers le global et ce dans un cadre de processus politique fluide et continu.”

“Le Confédéralisme Démocratique peut être appelé un système d’auto-défense de la société.”

Paroles d’un “terroriste”, sans aucun doute…

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Ci dessous quelques extraits du préambule historique du livre “Hommage au Rojava”, Libertalia, 2020 :

“Le confédéralisme démocratique se veut donc être le moyen de libérer les Kurdes mais aussi l’ensemble des autres populations vivant au “Kurdistan”, quelles que soient leurs origines. Cette doctrine est également conçue comme un antidote aux conflits inter-communautaires au Moyen-Orient et plus largement comme une réponse à la décadence de la modernité capitaliste. Ce combat a ainsi une portée bien plus large que la libération de 45 millions de personnes. Il dépasse le seul cas du peuple kurde par une ambition révolutionnaire universelle.
[…]
Dès les années 1990, quelques Européens font le choix de rejoindre la branche militaire du PKK. Contraints à la clandestinité et donc mal connus, ces révolutionnaires ayant choisi d’épouser la lutte kurde créent un précédent qui se reproduira des années plus tard, à une échelle bien plus significative, avec le volontariat international au sein des YPG (Unités de Protection du Peuple), les forces armées du Rojava (NdLR : une fois de plus… le peuple en arme !)
Dès 2011, au commencement de la guerre en Syrie, le Rojava conquiert son autonomie par la rue et par les armes, face à Bachar al-Assad et l’état.
[…]
Le confédéralisme démocratique né au Bakür (Turquie), gagne le Rojava, notamment par le biais des cadres du PKK qui viennent participer à la défense et à la construction politique de ce territoire nouvellement autonome. Les habitants reçoivent des armes, s’organisent en communes, gèrent la répartition des terres, créent des coopératives. L’égalité entre groupes ethniques et confessionnels est proclamée, la peine de mort est abolie, les libertés fondamentales sont instaurées. Les femmes prennent leur destin en main en édifiant leurs propres structures politiques, économiques et militaires avec la création des YPJ (Unités de Protection des Femmes) en 2013.
La guerre d’auto-défense du Rojava, née contre la répression du régime syrien, se poursuit contre les combattants islamistes d’Al Qaïda. Au fil des mois, la menace djihadiste s’intensifie. Un ennemi en chassant un autre, les combattants kurdes se retrouvent désormais confrontés à la puissante organisation de l’État Islamique (Daesh), qui gagne du terrain en Syrie et en Irak.
Durant l’été 2014, les djihadistes commencent un génocide contre le peuple Yézidi, une minorité religieuse vivant dans les monts Sinjar en Irak. Les HPG (PKK) et les YPG du Rojava mettent fin au massacre en protégeant et évacuant les civils assiégés dans les montagnes. Quelques mois plus tard, la ville de Kobané est attaquée par une horde de combattants de Daesh, fanatisés, aguérris, bien armés, grisés par leurs conquêtes, 10 000 djihadistes équipés d’armes lourdes et de tanks déferlent sur le cœur du Rojava. Quelques centaines de combattants kurdes et arabes du YPG le défendent, seulement armés de Kalachnikovs. Alors que tous les experts prédisent leur défaite, les résistants tiennent bon et se battent maison par maison, au prix d’innombrables morts. L’intervention de l’aviation américaine leur permet ensuite de chasser les djihadistes de Kobané, après 4 mois d’âpres combats urbains. Daesh peut être vaincu, les combattants du Rojava viennent alors de le prouver. Leur résistance héroïque, digne de la bataille de Stalingrad, suscite l’admiration et donne une exposition médiatique considérable au YPG.
[…]
Ainsi, avant même que Daesh ne commette des attentats en Europe, les Kurdes expliquent en quoi ces obscurantistes génocidaires sont une menace pour l’humanité et pourquoi il est nécessaire que, face à l’internationale de la terreur, se dresse, rangée sous la bannière du YPG, une internationale révolutionnaire, démocratique, socialiste et féministe. A partir d’octobre 2014, des centaines de volontaires venus des quatre coins du globe répondent à cet appel. Quarante-sept d’entre eux ont sacrifié leur vie dans cette lutte, ce livre leur est dédié.”

“Notre combat pour la liberté a transformé la question kurde en une question internationale.”
~ Abdullah Öcalan ~

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Quelques extraits d’un autre ouvrage : “Reverdir le Rojava” de la Commune Internationaliste du Rojava, 2018 (traduction Résistance 71)

“Dans la société du Rojava, un mode de production coopératif, écologique et décentralisé est le but. Il est crucial que la production soit décidée sur la base d’un processus démocratique de négociation. Cela doit être basé sur les possibilités d’un système écologique intact et équilibré et sur les capacités des participants eux-mêmes.
Les communes sont fondées sur l’auto-suffisance collective. Ceci élimine la séparation entre les endroits de production et d’utilisation, réduit les transports et garantit la sécurité de l’approvisionnement au peuple.
[…]
Par contraste aux modes de production capitalistes, les coopératives sont capables de produire selon les besoins locaux et immédiats, car elles ne sont pas sujettes à une logique de croissance constante et du devoir de profit commercial et de sa maximisation.
[…]
Dans la forme de production en coopératives, la connaissance et le savoir-faire sont partagés entre les personnes et il n’y a pas de séparation ni de hiérarchie, c’est une approche hollistique du travail en groupe pour la communauté.
Le système du Rojava construit sur l’auto-gouvernement de la communauté à la fois dans les communes et dans la production en coopératives. Toutes les ressources comme l’eau, la terre, l’énergie deviennent un bien commun à tous. Il y a déjà 57 coopératives fonctionnant dans le seul canton de Cizirê par exemple, fournissant plus de 9000 familles.”

Les guerres coloniales et néo-coloniales ont toujours été des guerres contre la société naturelle et la nature elle-même. Pour bien des gens de par le monde, l’avancée triomphante de la modernité capitaliste a voulu dire, viol, incendies de forêts, défoliation, et agent orange…””

Est-ce que ce qui suit, énoncé par la Commune Internationaliste du Rojava, vous rappelle quelque chose ?

“Les connexions entre l’économie de marché, l’exploitation, la destruction de la nature, la guerre et la migration des personnes montrent le résultat quand des systèmes centralisés et hiérarchiques essaient de subjuguer la nature. Une solution qui ignore ces relations, une solution au sein du système n’est pas possible.
Comme quoi, nous n’inventons rien, tout est d’une évidence si limpide. L’idée s’impose d’elle-même à la conscience politique par delà le temps et l’espace. L’esprit communard, l’esprit de la société, le Geist si cher à Gustav Landauer, éclot encore et toujours, partout, fleur héroïque poussant des fissures d’un bitume toxique.
Ainsi donc, bien tristement, nous devons nous rendre compte que la Syrie possède en son sein, prêt à l’emploi par les peuples, un antidote à la destruction et à l’apocalypse étatico-marchande en cours. Depuis plus d’un quart de siècle, les Kurdes du sud de la Turquie et du Rojava ont fait avancer la voie des communes et associations libres. Rejoignons-les dans le ici et maintenant de nos vies respectives où que nous soyons, créons la seule véritable alternative viable à la pourriture délétère et mortifère étatico-marchande avant qu’il ne soit trop tard. L’empire lâche de nouveau ses chiens enragés, la seule issue est en nous, dans l’union et  la voie du Confédéralisme Démocratique ou quoi que ce soit qu’on appelle ce mode de fonctionnement émancipé.

Union ! Coopération ! Associations et Communes Libres !
A bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent ! A bas le salariat !
Pour que vive la Commune Universelle de notre humanité enfin réalisée !
Qu’on se le dise !

Merci de diffuser ce message des plus importants.

“Créez deux, trois, beaucoup de Rojava !”
~ Abdullah Öcalan ~

Le Rojava sur Résistance 71

« Manifeste pour le Confédéralisme Démocratique”, A. Öcalan, 2011 (PDF)

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Textes fondateurs pour un changement politique

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Source https://resistance71.wordpress.com/2024/12/13/syrie-et-imperialisme-triste-ironie-politique-la-solution-est-la-nichee-au-rojava-sous-la-forme-du-confederalisme-democratique-resistance-71/

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