“Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu.”
~ Bertold Brecht ~
“De la même façon qu’il y a une mondialisation néolibérale, il y a aussi une mondialisation de la rébellion.”
“Se battre contre le capitalisme dans sa phase néolibérale, c’est se battre pour l’humanité.”
~ 6ème déclaration zapatiste, 2005 ~
“L’objectif est le peuple, la société, la communauté, la liberté, la beauté, la joie de vivre.”
~ Gustav Landauer 1911 ~
Syrie et impérialisme : triste ironie politique, la solution est là, nichée au Rojava dans sa forme de Confédéralisme Démocratique
Résistance 71
13 décembre 2024
Un énorme gâchis politique se transforme en horreur au quotidien pour
tout un peuple. Treize ans de guerre, dont six entre 2011 et 2017 dure
et implacable comme toutes les guerres. Une guerre non pas “civile”
comme la propagande occidentale ne cesse de l’affirmer depuis le départ,
mais une guerre d’agression impérialiste de changement de régime, comme
à l’accoutumée occidentale, afin de contrôler cette zone
géopolitiquement et économiquement stratégique.
Depuis 2011, suite au refus de Bachar al-Assad de laisser passer un
gazoduc qatari au travers de la Syrie, une guerre sans merci par
procuration a lieu dans ce pays laïc, multi-confessionnel et
multi-culturel. L’OTAN, via les Etats-Unis en Irak, la Turquie et
l’entité sioniste pour qui ils se prostituent, ont créé un monstre
islamiste “djihadiste”, qui a pris plusieurs noms : L’Etat Islamique
d’Irak et du Levant (EIIL), puis Etat Islamique, plus connu sous son
acronyme arabe de “Daesh”. Ces groupes formés originellement en Irak,
recrutant de manière internationale comme Al Qaïda (création de la CIA
en Afghanistan dans les années 1980) une armée mercenaire, financée par
les pays du Golfe, essentiellement le Qatar (Exxon-Mobil) et formée,
armée, encadrée par des forces de l’OTAN et affiliées (US, GB, Turquie,
France, Israël). Certes il y avait une opposition au gouvernement syrien
en Syrie, mais pas dans les proportions de créer une armée islamiste de
dizaines de milliers de membres. Cette “opposition” a été recrutée et
importée de l’extérieur sous contrôle et protection américain et turc.
Dans le même temps et depuis environ 2005, se niche dans le nord et
nord-est de la Syrie une zone multi-culturelle à dominante kurde, qui a
fait un choix politique se décalant du régime politique syrien et tout
autre régime politique ou théocratique. Pour mieux comprendre l’affaire,
nous devons faire un retour historique lointain et récent.
Si on regarde une carte de ce qu’on pourrait pour simplifier appeler le
“Kurdistan”, on se rend compte que le peuple Kurde qui existe dans cette
zone géographique depuis le Néolithique, est aujourd’hui réparti, par
le truchement de divisions territoriales résultant de multiples guerres
impérialistes dont les Kurdes furent victimes et jamais acteurs, entre
quatre pays : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Si la culture
kurde est la même partout de manière ancestrale, l’orientation politique
des Kurdes dépend de leur zone et mode de vie. Par exemple les Kurdes
d’Irak sont foncièrement alliés des Américains et d’Israël. Ceci n’est
pas vrai ailleurs, notamment en Syrie, même si des alliances ont pu, du
être conclues pour combattre Daesh et dans l’après 2016, depuis les
Turcs ont envahi plusieurs régions du Nord et continuent d’y soutenir
les djihadistes.
Les Kurdes de Turquie, opprimés depuis toujours par l’état, ont formé
une résistance politique et armée contre leur oppresseur. En 1978,
voyait le jour le Parti des Travailleurs Kurdes ou PKK de son acronyme
kurde, qui était d’obédience marxiste-léniniste. Le fondateur du parti,
Abdullah Öcalan, qui a résidé en exil en Syrie, puis au Kenya d’où il
fut enlevé par les services secrets turcs, est emprisonné dans un QHS
turc. A la fin des années 1990, Öcalan abandonna le marxisme pour
emprunter la voie politique du communalisme libertaire prônée par
l’anarchiste américain Murray Bookchin. Le PKK, continuant la lutte
armée, se détacha des revendications de la création d’un état kurde,
pour se consacrer au développement de communes libres autonomes tout en
dénonçant le non-sens politique du concept “d’état-nation” ne menant
qu’à l’oppression, la guerre, le chaos et la destruction parce que
contre-nature.
Les Kurdes du nord de la Syrie, à l’instar
des Kurdes du sud de la Turquie, adoptèrent et mirent en pratique ce
modèle de gouvernance autonome des communes libres. En 2011, Öcalan,
depuis sa prison turque, publia un “Manifeste du Confédéralisme Démocratique” (voir ci-dessous)
analysant le modèle politique étatique dominant pour le réfuter et se
faire le promoteur de la confédération de communes libres, librement
associées, dont le modèle dépasserait totalement la société kurde et la
région multi-ethnique et multi-culturelle du nord de la Syrie, appelée
Rojava, pour s’appliquer à l’ensemble de la nation syrienne, du
Moyen-Orient et au delà.
L’ironie du sort politique syrien de notre titre provient du fait que le
marasme actuel du pays n’avait pas besoin de se produire si les gens
avaient lu, écouté, compris et rejoint pas à pas l’expérience
fondamentale démocratique, hors état et rapport marchand “classique”,
qui a existé au Rojava dans sa forme originelle des années 2005 jusqu’à
environ 2016. A cette date, des accords dus à la guerre en Syrie furent
passés et après la créations des “Forces Démocratiques Syriennes” ou FDS
auxquelles participent les Kurdes du Rojava par nécessité de survie
politique, soutenues et encadrées par les Américains. Ceux-ci imposèrent
un “contrat social” pour le Rojava, créant un proto-état et des
institutions hybrides. Depuis cette époque, le Confédéralisme
Démocratique qui prévalait en 2011 et organisait le Rojava, a été dilué
dans une bouillie para-étatique sous contrôle de l’empire. Les forces de
défenses populaires kurdes du Rojava, les YPG et célèbres YPJ, branche
féminine des YPG, participent aux FDS.
Quoi qu’il en soit, au-delà des alliances
forcées ou de conjoncture, les Kurdes savent qu’ils ne peuvent pas faire
confiance aux Yankees et ne désarmeront pas, les forces de défenses
populaires, le peuple en arme, continueront la défense des communes
libres du Rojava et les Syriens devraient se tourner vers ce mode de
gouvernance avant que la barbarie islamistes mercenaires à la solde de
l’empire n’écrase tout. Les Turcs haïssent les Kurdes et vont tôt ou
tard emboîter le pas des sionistes et bouger pour annexer le nord de la
Syrie, ils y procèderont à un nettoyage ethnique comme le fait l’entité
sioniste en Palestine occupée.
Aujourd’hui, la seule chance politique des Syriens et du
Moyen-Orient au grand large, est le Confédéralisme Démocratique qui
n’est pas kurde, mais universel. Il appartient à tout le monde. Ceci est important de bien le comprendre. Le Confédéralisme Démocratique
tel que conçu par Öcalan est une émanation de l’esprit communard, une
réincarnation de l’esprit de la Commune de 1871 et des Collectifs
Espagnols de 1936, motivé par l’essence même d’une nature humaine faite
d’entraide, de coopération, de compassion et d’amour, spoliée il y a
bien des siècles par l’avènement, non inéluctable mais induit, du
contrôle du pouvoir et du rapport marchand par une caste établie hors du
corps social des sociétés.
Pour mieux le comprendre laissons la parole à Abdullah Öcalan
qui l’exprime au mieux dans son manifeste que nous avons traduit et
publié il y a bien des années (voir sous cet article)… Öcalan qui bien
sûr est présenté en occident et en Turquie comme un “terroriste”, un
vestige du passé et de l’idéologie marxiste, alors que le PKK a renoncé à
la création d’un état-nation kurde et n’est plus, depuis un quart de
siècle, sur la ligne éculée marxiste de la prise de pouvoir et de
l’imposition d’un pseudo-communisme par la force d’un parti et des
institutions, a remis en cause sa pensée politique et mis en place un
système de gouvernance embrassant les associations libres, la
multiplicité et la diversité culturelle. Le Confédéralisme Démocratique
pensé par Öcalan est l’antidote pratique au pouvoir étatique
centralisé, hiérarchique et oppresseur. Ce qu’il propose n’est pas une
“utopie”, c’est une réalité pratique qui a fonctionné pendant plus de 10
ans dans les communes kurdes à la fois côté turc que côté syrien
(Rojava) et continue de fonctionner aujourd’hui, même si de manière
diluée à la sauce impérialiste ; mais les Kurdes avaient-ils le choix
Das le contexte de la guerre imposée par l’occident colonial prédateur
?. Quelques échantillons ci-après de la pensée d’Öcalan, et lisez le
texte en entier sous l’article. Il en vaut la peine.
“Le PKK n’a jamais regardé la question kurde comme un seul problème ethnique ou de nationalité. Nous avons cru que c’était un projet de libération de la société et de sa démocratisation.”
“L’état-nation lui-même est la force la plus avancée de complet monopole.”
“Si l’état-nation est la colonne vertébrale de la modernité capitaliste, il est aussi certainement la cage de la société naturelle.”
“L’état-nation vise à monopoliser tous les processus sociaux. La diversité et la pluralité doivent être combattues, une approche qui a mené à l’assimilation et au génocide.”
“L’état-nation est le gouverneur national du système capitaliste mondial… c’est une colonie du capital, il sert les processus capitalistes d’exploitation. […] Ainsi, l’état-nation n’est pas avec le peuple, il est au contraire l’ennemi du peuple.”
“Voilà pourquoi la création d’un état-nation kurde n’est pas une option pour le PKK.”
“Le Confédéralisme Démocratique peut être appelé une administration politique non-étatique de la démocratie sans état.”
“Le Confédéralisme Démocratique repose sur l’expérience historique de la société et de son héritage collectif… Il est la progéniture de la vie en société.”
“Nous appelons démocratie l’application des processus démocratiques de prise de décision politique partant du local pour rayonner vers le global et ce dans un cadre de processus politique fluide et continu.”
“Le Confédéralisme Démocratique peut être appelé un système d’auto-défense de la société.”
Paroles d’un “terroriste”, sans aucun doute…
Ci dessous quelques extraits du préambule historique du livre “Hommage au Rojava”, Libertalia, 2020 :
“Le confédéralisme démocratique se veut donc être le moyen de libérer
les Kurdes mais aussi l’ensemble des autres populations vivant au
“Kurdistan”, quelles que soient leurs origines. Cette doctrine est
également conçue comme un antidote aux conflits inter-communautaires au
Moyen-Orient et plus largement comme une réponse à la décadence de la
modernité capitaliste. Ce combat a ainsi une portée bien plus large que
la libération de 45 millions de personnes. Il dépasse le seul cas du
peuple kurde par une ambition révolutionnaire universelle.
[…]
Dès les années 1990, quelques Européens font le choix de rejoindre la
branche militaire du PKK. Contraints à la clandestinité et donc mal
connus, ces révolutionnaires ayant choisi d’épouser la lutte kurde
créent un précédent qui se reproduira des années plus tard, à une
échelle bien plus significative, avec le volontariat international au
sein des YPG (Unités de Protection du Peuple), les forces armées du
Rojava (NdLR : une fois de plus… le peuple en arme !)
Dès 2011, au commencement de la guerre en Syrie, le Rojava conquiert son
autonomie par la rue et par les armes, face à Bachar al-Assad et
l’état.
[…]
Le confédéralisme démocratique né au Bakür (Turquie), gagne le Rojava,
notamment par le biais des cadres du PKK qui viennent participer à la
défense et à la construction politique de ce territoire nouvellement
autonome. Les habitants reçoivent des armes, s’organisent en communes,
gèrent la répartition des terres, créent des coopératives. L’égalité
entre groupes ethniques et confessionnels est proclamée, la peine de
mort est abolie, les libertés fondamentales sont instaurées. Les femmes
prennent leur destin en main en édifiant leurs propres structures
politiques, économiques et militaires avec la création des YPJ (Unités
de Protection des Femmes) en 2013.
La guerre d’auto-défense du Rojava, née contre la répression du régime
syrien, se poursuit contre les combattants islamistes d’Al Qaïda. Au fil
des mois, la menace djihadiste s’intensifie. Un ennemi en chassant un
autre, les combattants kurdes se retrouvent désormais confrontés à la
puissante organisation de l’État Islamique (Daesh), qui gagne du terrain
en Syrie et en Irak.
Durant l’été 2014, les djihadistes commencent un génocide contre le
peuple Yézidi, une minorité religieuse vivant dans les monts Sinjar en
Irak. Les HPG (PKK) et les YPG du Rojava mettent fin au massacre en
protégeant et évacuant les civils assiégés dans les montagnes. Quelques
mois plus tard, la ville de Kobané est attaquée par une horde de
combattants de Daesh, fanatisés, aguérris, bien armés, grisés par leurs
conquêtes, 10 000 djihadistes équipés d’armes lourdes et de tanks
déferlent sur le cœur du Rojava. Quelques centaines de combattants
kurdes et arabes du YPG le défendent, seulement armés de Kalachnikovs.
Alors que tous les experts prédisent leur défaite, les résistants
tiennent bon et se battent maison par maison, au prix d’innombrables
morts. L’intervention de l’aviation américaine leur permet ensuite de
chasser les djihadistes de Kobané, après 4 mois d’âpres combats urbains.
Daesh peut être vaincu, les combattants du Rojava viennent alors de le
prouver. Leur résistance héroïque, digne de la bataille de Stalingrad,
suscite l’admiration et donne une exposition médiatique considérable au
YPG.
[…]
Ainsi, avant même que Daesh ne commette des attentats en Europe, les
Kurdes expliquent en quoi ces obscurantistes génocidaires sont une
menace pour l’humanité et pourquoi il est nécessaire que, face à
l’internationale de la terreur, se dresse, rangée sous la bannière du
YPG, une internationale révolutionnaire, démocratique, socialiste et
féministe. A partir d’octobre 2014, des centaines de volontaires venus
des quatre coins du globe répondent à cet appel. Quarante-sept d’entre
eux ont sacrifié leur vie dans cette lutte, ce livre leur est dédié.”
“Notre combat pour la liberté a transformé la question kurde en une question internationale.”
~ Abdullah Öcalan ~
Quelques extraits d’un autre ouvrage : “Reverdir le
Rojava” de la Commune Internationaliste du Rojava, 2018 (traduction
Résistance 71)
“Dans la société du Rojava, un mode de production coopératif,
écologique et décentralisé est le but. Il est crucial que la production
soit décidée sur la base d’un processus démocratique de négociation.
Cela doit être basé sur les possibilités d’un système écologique intact
et équilibré et sur les capacités des participants eux-mêmes.
Les communes sont fondées sur l’auto-suffisance collective. Ceci
élimine la séparation entre les endroits de production et d’utilisation,
réduit les transports et garantit la sécurité de l’approvisionnement au
peuple.
[…]
Par contraste aux modes de production capitalistes, les
coopératives sont capables de produire selon les besoins locaux et
immédiats, car elles ne sont pas sujettes à une logique de croissance
constante et du devoir de profit commercial et de sa maximisation.
[…]
Dans la forme de production en coopératives, la connaissance et
le savoir-faire sont partagés entre les personnes et il n’y a pas de
séparation ni de hiérarchie, c’est une approche hollistique du travail
en groupe pour la communauté.
Le système du Rojava construit sur l’auto-gouvernement de la
communauté à la fois dans les communes et dans la production en
coopératives. Toutes les ressources comme l’eau, la terre, l’énergie
deviennent un bien commun à tous. Il y a déjà 57 coopératives
fonctionnant dans le seul canton de Cizirê par exemple, fournissant plus
de 9000 familles.”
“Les guerres coloniales et néo-coloniales ont toujours été des guerres contre la société naturelle et la nature elle-même. Pour bien des gens de par le monde, l’avancée triomphante de la modernité capitaliste a voulu dire, viol, incendies de forêts, défoliation, et agent orange…””
Est-ce que ce qui suit, énoncé par la Commune Internationaliste du Rojava, vous rappelle quelque chose ?
“Les connexions entre l’économie de marché, l’exploitation, la
destruction de la nature, la guerre et la migration des personnes
montrent le résultat quand des systèmes centralisés et hiérarchiques
essaient de subjuguer la nature. Une solution qui ignore ces relations, une solution au sein du système n’est pas possible.”
Comme quoi, nous n’inventons rien, tout est d’une évidence si
limpide. L’idée s’impose d’elle-même à la conscience politique par delà
le temps et l’espace. L’esprit communard, l’esprit de la société, le
Geist si cher à Gustav Landauer, éclot encore et toujours, partout,
fleur héroïque poussant des fissures d’un bitume toxique.
Ainsi donc, bien tristement, nous devons nous rendre compte que la
Syrie possède en son sein, prêt à l’emploi par les peuples, un antidote à
la destruction et à l’apocalypse étatico-marchande en cours. Depuis
plus d’un quart de siècle, les Kurdes du sud de la Turquie et du Rojava
ont fait avancer la voie des communes et associations libres.
Rejoignons-les dans le ici et maintenant de nos vies respectives où que
nous soyons, créons la seule véritable alternative viable à la
pourriture délétère et mortifère étatico-marchande avant qu’il ne soit
trop tard. L’empire lâche de nouveau ses chiens enragés, la seule issue
est en nous, dans l’union et la voie du Confédéralisme Démocratique ou quoi que ce soit qu’on appelle ce mode de fonctionnement émancipé.
Union ! Coopération ! Associations et Communes Libres !
A bas l’État ! A bas la marchandise ! A bas l’argent ! A bas le salariat !
Pour que vive la Commune Universelle de notre humanité enfin réalisée !
Qu’on se le dise !
Merci de diffuser ce message des plus importants.
“Créez deux, trois, beaucoup de Rojava !”
~ Abdullah Öcalan ~
« Manifeste pour le Confédéralisme Démocratique”, A. Öcalan, 2011 (PDF)
Textes fondateurs pour un changement politique
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