“Le zapatisme n’est pas une idéologie, ce n’est pas une doctrine,
c’est… une intuition. Quelque chose de si ouvert et flexible que cela se
produit vraiment en tout endroit. Le zapatisme pose la question :
“Qu’est-ce qui m’a exclu, qu’est-ce qui m’a isolé ?..” En chaque endroit
la réponse est différente. Le zapatisme ne fait qu’énoncer cette
question et dit que la réponse est plurielle, que la réponse est
inclusive…
Nous ne voulons pas d’une révolution imposée d’en-haut ; elle se
retourne toujours contre elle-même. Nous ne sommes pas une avant-garde.
Nous ne sommes pas là pour finir, fermer les choses, mais pour commencer
à renouveler les efforts. Notre but est de donner la voix à la société
civile, partout, sous toutes ses formes. Nous ne sommes ni les seuls, ni
les meilleurs. Nous ne détenons pas la vérité ni la réponse à toute
chose. Poser les bonnes questions est suffisant pour nous.”
~ SCI Marcos ~
“Le cri des opprimés, des pauvres et des exploités n’est pas
toujours juste, mais si vous ne l’écoutez pas, vous ne saurez jamais ce
qu’est la justice…”
~ Howard Zinn ~
Ce n’est pas un hasard si nous avons décidé de publier ce texte de
Jérome Baschet, grand spécialiste de l’expérience (r)évolutionnaire
zapatiste du Chiapas, dans le contexte politique actuel exacerbé de la
Palestine, du Liban et de la Syrie opprimées et sous le joug
colonialiste génocidaire, tout comme le sont les Zapatistes à un degré
différent, mais pas il y a un quart de siècle…
Une question simple à toujours poser : quel est le point
commun de ces luttes armées et de ces tentatives de mise en place de
société autonome au Chiapas, au Rojava, en Palestine, dans le sud-Liban
et où que ce soit ailleurs des Mapuche du Chili aux Kanaks de Calédonie
en passant par les Antillais, les Gilets Jaunes et bien des peuples
africains ? Quel est ce dénominateur commun qui déclenche la volonté et
la résilience de la lutte armée des peuples et de la mise en place d’une
organisation alternative ? Réponse : l’État et son corollaire
expansionniste inhérent, le colonialisme toujours ethnocidaire, parfois,
souvent, génocidaire. Tous les peuples y sont confrontés… TOUS, parce
que toute colonisation commence par la colonisation des esprits de la
masse pour faire accepter l’inacceptable.
Une dernière question se pose alors : Qu’attendons-nous
pour balancer tous ces criminels systémiques colonialistes par
dessus-bord pour enfin reprendre et diluer le pouvoir dans le corps
social, de là où il n’aurait jamais du sortir tant il y est soluble ?
~ Résistance 71 ~
¡Ya Basta!
La réorganisation de l’autonomie zapatiste
Novembre 2024
~ Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
Ce texte est un extrait du livre de Jérôme Baschet : “L’expérience zapatiste : Rébellion, Résistance et Autonomie” publié en septembre 2024 chez AK Press. Bien que le livre fut d’abord publié au Mexique en 2019, la traduction anglaise contient de nouveaux passages qui ne sont pas inclus dans le livre original en espagnol, incluant une description très utile de la réorganisation des structures politiques des Zapatistes, qui s’est tenue durant l’année écoulée. Comme l’observe Baschet, la transformation annoncé par les Zapatistes fin 2023, est une tentative de corriger toute une série de limites et d’obstacles qui ont troublé leurs communautés depuis quelque temps, à la fois de l’extérieur comme de l’intérieur. Ce texte qui résume les récentes modifications de leur forme politique, est mieux lu comme un postscriptum au puissant article de Baschet “L’autonomie zapatiste : une expérience de la destitution ?”, qui décrit en détail la structure de la société politique zapatiste avant sa récente organisation.
La nouvelle étape dans la lutte zapatiste fut annoncée à la fin 2023 et est caractérisée par une réorganisation signifiante de l’autonomie. Alors que les municipalités autonomes (MAREZ de leur acronyme espagnol) et les Conseils de Bon Gouvernement disparaissaient, une autre forme d’organisation naissait, une dont la “base principale”, le nouveau “noyau de toute l’autonomie” sont les Gouvernements Autonomes Locaux (GAL). Ceux-ci sont formés dans chaque communauté, “coordonnées par des agents et commissaires autonomes et sont soumis à l’assemblée de la ville.”[1]. De plus, ces GAL peuvent se coordonner à l’échelon régional, formant des “Collectifs de Gouvernement Autonome Zapatiste” ou CGAZ et ils peuvent appeler des assemblées de communautés pour parvenir à des accords d’intérêt mutuel. A leur tour, les CGAZ peuvent se rassembler pour former des Assembles de CGAZ ou ACGAZ, qui ont leurs QG dans les Caracoles (NdT : associations de communes) et, quand jugé nécessaire par les GAL et les CGAZ, peuvent convoquer des assemblées de zones.
La réorganisation élimine le niveau municipal d’autonomie qui fut créé en 1994, le remplaçant par des corps de coordination, les conseils élus connus sous le vocable de “Conseils de Bon Gouvernement” ont été arrêté et nous pouvons considérer les ACGAZ être les nouvelles assemblées de zones. Alors que l’autonomie continue d’être organisée sur trois niveaux, l’équilibre entre les trois s’est considérablement déplacé. Le local, le niveau de la communauté a un rôle plus décisif, tandis qu’au niveau supra-local les nouvelles formes d’organisation ont gagné en simplicité : les conseils des autorités élues ont été remplacés par des structures de coordination sous la forme d’assemblées et de comités locaux se réunissant. Ces articulations au niveau zone-région ne se réunissent et n’agissent que sur requêtes des GAL et demeurent sous leur commandement.
Il y a deux raisons pour cette réorganisation. La première est l’adaptation à un contexte de danger croissant, comme par exemple la croissance du crime organisé et de donner une plus grande attention au besoin d’auto-défense. La seconde, est en réponse à l’auto-critique sur le comment l’autonomie a opéré jusqu’à présent.
Le subcomandante Moisès rassemble ces deux raisons lorsqu’il écrit que la forme précédente d’autonomie “a prouvé ne plus être utile pour ce qui arrive. Ce en plus des défauts inhérents.”[3] Ceci est une critique du fait que l’autonomie est devenue “pyramidale”. En conjonction des cas de “pauvre administration des ressources du peuple” (qui fut sanctionnée), le SC Moisès explique que le principal défaut est que les autorités “tombaient déjà dans l’échec de vouloir décider elles-mêmes.” De plus, “Les propositions des autorités’ ne redescendaient pas comme il faut vers le peuple, ni dans l’autre sens, les propositions des gens ne parvenaient plus aux autorités.” Bref, autorités et communautés s’étaient “distanciées les unes des autres”, elles s’étaient “séparées”. Le SC Moisès conclut que la structure était trop verticale, quelque chose qui pourrait fonctionner militairement, mais pas dans le monde civil. La réorganisation est présentée comme une manière d’aplatir la pyramide”, ou la mettre à l’envers.
Un autre aspect important du nouveau paysage est expliqué dans la partie finale du communiqué “Les Communs et la non-propriété”. Aux côtés des modes présents de travail, le travail individuel sur ejido ou la terre communale pour la subsistance familiale et le travail collectif (essentiellement sur les terres récupérées, expropriées en 1994) pour financer le gouvernement autonome et ses projets, ils proposent une nouvelle manière d’utiliser les terres récupérées : “établir des extensions de la terre récupérée comme communaux ; c’est à dire sans propriété. Terres ni privées, ni ejidal, ni communales, ni fédérales, ni d’état, ni d’affaires, ni quoi que ce soit d’autre. Une terre sans aucun propriétaire.”[4]
Concrètement, cette terre ne sera jamais attribuée à quiconque mais sera prêtée en rotation à ceux qui désirent la travailler pour une période de temps ; que ce soient des Zapatistes ou non, ce qui demande des accords avec les autres habitants d’organisations, fondés sur l’acceptation avec les “règles de l’usage commun” mentionnées dans le communiqué. L’initiative semble vouloir résoudre une sérieuse menace sur la terre récupérée : parce que cela ne fut jamais légalisé, le gouvernement incite d’autres organisations à attaquer les Zapatistes qui y vivent en leur offrant des bénéfices matériels en échange de réclamer les terres. Cette proposition pour une terre consensuelle partagée, utilisée par les Zapatistes et les non-Zapatistes pourrait bien être la manière de réduire l’agression et les conflits qui se sont multipliés au fil des ans.
Au-delà de ces circonstances immédiates, la proposition est basée sur une critique non pas juste de la propriété privée, mais de toute forme de propriété légalisée par l’état, incluant les ejido, héritage de la révolution mexicaine. Leur appel à la non-propriété ouvre une fenêtre vers une nouvelle relation à la terre et de nouvelles pratiques, qui doivent encore être inventées. De plus, “quelques hectares de cette non-propriété seront proposés à des nations sœurs d’autres parties géographiques du monde. Nous allons les inviter à venir travailler ces terres, de leurs propres mains et avec leur propre connaissance et savoir-faire.”[5]
Qu’est-ce que veut dire cette évaluation, qui a mené à l’élimination des municipalités autonomes ? A ce point, il est toujours difficile de répondre à cette question. D’abord, ce que le SC Moisès a partagé fin 2023 ne sont que “les conclusions de l’analyse critique des MAREZ et JBG (les municipalité autonomes et ls conseils de bon gouvernement). Nous attendons toujours d’apprendre de ces évaluations dans plus de détails, peut-être incluant les opinions de ceux qui ont participé au conseils autonomes, comme nous l’avons fait pour la petite école zapatiste.’ Ensuite, on peut se demander comment les facteurs variés qui ont mené à cette élimination ont-ils interagi les uns avec les autres. A quel point fut décisive les critiques de l’autonomie ?
Rappelez-vous qu’il y a eu déjà pas mal d’erreurs mentionnées dans les cahiers de la Petite Ecole Zapatiste, ce qui veut dire que ceux impliqués dans l’autonomie savaient depuis longtemps des risques des autorités se séparant des communautés. Ou le besoin de s’adapter à un contexte extrêmement menaçant fut-il un facteur plus décisif ? Devons-nous aussi considérer d’autres facteurs ? Parce que construire une autonomie est tellement un processus difficile, il serait naïf de prétendre que l’EZLN a la même force et présence territoriale qu’elle avait en 1994 ou en 2003. De plus, une rébellion anti-système souffrira inévitablement d’un degré de fatigue après avoir été en lutte pendant près de trois décennies, parmi une agression contre-insurrectionnelle permanente et une crise systémique ne faisant qu’empirer.
En tous les cas, les changements annoncés par l’EZLN fin 2023 nous ont mené à plus insister sur les difficultés de l’autonomie. Dans le même temps cependant, ils soulignent la capacité exceptionnelle de l’autonomie zapatiste à résister, malgré tous les facteurs qui rendent le processus fragile, reconnaissant ainsi que la fragilité provient de cette capacité de résistance et qu’une force peut être trouvée dans cette fragilité, ce qui veut dire que cela n’est pas une question de séparer le bon du mauvais.
Plusieurs difficultés confrontent l’autonomie zapatiste, incluant l’agression perpétuelle contre elle, la difficulté de construire un autre monde au sein d’un contexte si adverse et avec des ressources si limitées, les erreurs des autorités autonomes et la verticalité de l’EZLN (chose que les Zapatistes reconnaissent, insistant sur le fait que la dimension militaire pourrait empêcher la croissance de l’autonomie civile et freiner l’horizontalité qu’elle demande). La lourde tache de tout le travail que la résistance zapatiste demande est une autre cause de fragilité, augmentant les cas voyant les gens ne plus être capables de supporter la fatigue, l’épuisement et décident de quitter l’organisation. D’autres raisons peuvent inclure la migration et les tensions qui viennent de tout processus de transformation.
Nous devons aussi reconnaître tous les aspects de la résistance, pourquoi l’expérience zapatiste a réussi à persister au travers de trois décennies de vie publique, quelque chose qui défie la logique et confine à l’improbable (ou l’impossible rendu possible). Nous devons nous rappeler qu’ils continuent d’être une force armée ainsi, alors qu’ils ont tout tenter pour ne pas utiliser leurs armes, un aspect certain est leur capacité à l’auto-défense. (NdT : là encore, parallèlement au Hezbollah libanais, une représentation lumineuse de ce qu’est le peuple en arme, défendant sa communauté avec intégrité et efficacité…). Un autre aspect est leur constante inventivité politique leur permettant de tisser des alliances et de cultiver un grand réseau de solidarité.
Ils ont collecté un grand niveau de soutien national et international qui, bien que moindre de celui des premières années de la rébellion, demeure jusqu’à ce jour, continuant de manifester sa force pendant les moments de grand danger et de participer à de grandes initiatives comme leur Voyage pour la Vie en Europe. Par dessus tout, les bases de soutien zapatistes exercent un degré de détermination et de ténacité allant au delà de l’art de la résistance enraciné dans l’histoire des peuples indigènes. Cela est maintenu par leur conviction en la justice de leur lutte, par les sensations d’une dignité retrouvée par le truchement de leur auto-gouvernement et la création par eux-mêmes, du monde qu’ils méritent.
Deux structures soutiennent les avancées de l’expérience zapatiste : l’une est l’organisation civile de l’autonomie et l’autre est l’organisation politico-militaire de l’EZLN. Le renforcement de l’autonomie, spécifiquement depuis 2003, a enclenché un processus partiel de redirection du pouvoir qui était auparavant concentrée dans le leadership de l’EZLN, ce vers les bases de soutien zapatistes et les corps civils de gouvernement. Mais personne n’a jamais dit que ce processus a été terminé. Peut-être que la nouvelle étape va introduire une nouvelle dynamique avec une plus grande présence de l’aspect militaire (ceci ne voulant pas dire le retour à la lutte armée). En tout cas, peut-être que la verticalité de l’EZLN en tant qu’organisation politico-militaire, a été un facteur décisif dans la construction et la persistance de l’autonomie, tout en créant des difficultés qui ont accentué sa fragilité.
[1] Subcomandante Insurgente Moisés, “Ninth Part: The new structure of Zapatista Autonomy,” Enlace Zapatista, November 13, 2023. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/11/13/ninth-part-the-new-structure-of-zapastista-autonomy
[2] It is necessary to distinguish between “regions” and “zones.” Regions, consisting of various communities, existed before, but only as an organizational level in the EZLN’s military structure, and not as a unit within the structures of civilian au- tonomy. The zones are much bigger entities that—prior to this new stage—joined together various municipalities (while the municipality grouped together various “regions”).
[3] The Captain, “Tenth Part: Regarding pyramids and their uses and customary regimes,” Enlace Zapatista, November 15, 2023. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/11/15/tenth-part-regarding-pyramids-and-their-uses-and-customary-regimes
[4] The Captain, “Twentieth and Last Part: The Common and Non-Property,” Enlace Zapatista, December 22, 2023. https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/12/22/twentieth-and-last-part-the-common-and-non-property
[5] The Captain, “Twentieth and Last Part.”
“Nous ne faisons pas partie d’une armée, mais d’une milice, d’une
force alternative, de formations partisanes, parce que l’intérêt est de
défendre la population face aux forces réactionnaires et fascistes et de
garantir le succès de la révolution. C’est cela les YPG et les YPJ.”
~ Azad, Internationaliste YPG du Rojava ~
“La violence est le devoir de l’État, pas du Hezbollah…”
~ Hassan Nasrallah ~
Quand la tyrannie devient la loi, alors la résistance devient un devoir !
~Résistance 71 ~
= = =
Lectures complémentaires :
Le Chiapas Zapatista sur Résistance 71
6ème déclaration de la forêt de Lacandon (Sixta) PDF
EZLN_Chiapas_Une-communaute-en-armes-tikva-honig-parnass
Le feu et la parole, écrits zapatistes (PDF)
Il n’y a pas de solution au sein du système, n’y en a jamais eu et ne saurait y en avoir ! (Résistance 71)
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