Modérer le capitalisme ou bien le remplacer totalement ? Quel lien entre propriété et capital ? Propriété privée ou propriété sociale du mode de production économique ? Thomas Piketty et Frédéric Lordon dans un débat très animé, voire parfois houleux autour des thèmes abordés dans le dernier livre "Capital et Idéologie" de Thomas Piketty, essai d'économie publié en septembre 2019.
Des méthodes d'analyses et des propositions radicalement différentes sur la façon d'organiser et répartir la production de valeur dans les différentes formes de l'entreprise dans l'économie.
Thomas Piketty est un économiste français, Directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Frédéric Lordon est chercheur au Centre de sociologie européenne (CSE) et est directeur de recherche à la section 35 du CNRS (Sciences philosophiques et philologiques, sciences de l'art).
En remerciant les "Amis de l'Humanité" http://amis-humanite.fr/ pour l'organisation de cette rencontre publique le vendredi 31 janvier 2020 dans la salle Eugène Hénaff à la Bourse du Travail annexe au 19 Boulevard du Temple 75011 Paris.
Voir aussi la vidéo officielle filmée et diffusée en direct https://www.youtube.com/watch?v=dDY3a... par la chaîne "Journal l'Humanité" https://www.youtube.com/channel/UCar0....
Frédéric Lordon ayant maintes fois cité et brièvement expliqué les solutions et thèses de Bernard Friot,
mais pas eu le temps d'aborder la question sur les retraites posée dans le public en fin de débat,
retrouvez toutes les vidéos du séminaire 2018-2019 co-animé par Bernard Friot et Nicolas Castel
sur "les régimes de retraite entre salaire continué et revenu différé"
via la playlist : https://www.youtube.com/playlist?list...
et la playlist : https://www.youtube.com/playlist?list...
de la chaîne Youtube
Réseau Salariat : https://www.youtube.com/channel/UCwdr...
Réseau Salariat est une association d'éducation populaire, qui propose de socialiser 100% de la richesse grâce à la cotisation sociale et d'instaurer un salaire à vie à la qualification pour toutes et tous.
http://www.reseau-salariat.info/
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Source : https://www.youtube.com/watch?v=mU8nu5YwZ5Y&feature=share&fbclid=IwAR2qaFf9aMKVLncB6BM4hv9BklWBSvPbPGwf5mxdseB9_myQ7Vyr_ldTJwY
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10 commentaires:
Première heure de ce débat :
* Les différents organisateurs (CGT, Les Amis de l'Humanité ...) ouvrent la séance par des remerciements et des rappels historiques des luttes sociales
* A la demande de Dominique, une organisatrice qui va distribuer la parole entre les deux intervenants, Thomas Piketty explique pourquoi il a préféré l'expression "société des propriétaires" ou "propriétarisme" plutôt que "capitalisme" étant donné que son livre s'intitule "Capital et idéologie". En historien, il considère en effet que la période qu'on appelle capitalisme est en réalité dans la continuité de ce qui se passait avant le XVIIIème siècle et, dans son ouvrage, il dresse donc un portrait des différentes formes que prend la propriété selon des critères de fiscalité sur les droits de succession notamment. On découvre ainsi que la Russie et la Chine jadis communistes ne taxent pas du tout la succession alors que d'autres pays, européens par exemple, taxent à 40% et que, chose surprenante, les États-Unis jadis, sous Roosevelt, allaient jusqu'à 60%.
* Frédéric Lordon se livre ensuite à une critique très incisive du livre, comme le ferait un jury universitaire face à un candidat à la thèse. Bien que reconnaissant à la fin l'énorme travail de documentation fourni par ce livre (données économiques, historiques, ...), Frédéric Lordon affirme tout simplement que Thomas Piketty ne maîtrise pas les concepts (philosophiques), qu'il n'a rien compris à la notion de Capital (définie par Karl Marx), que sa partie Idéologie ne fait même pas référence aux deux grands courants de la philosophie, à savoir le Matérialisme et l'Idéalisme, en résumé : que le titre "Capital et Idéologie" est usurpé. Frédéric Lordon explique que la notion de capital dépasse celle de propriété puisqu'elle englobe non seulement la propriété de l'outil de production, mais aussi les produits de la production (ne laissant aux travailleurs que leur salaire), en d'autres termes une "propriété lucrative" (selon la terminologie de Bernard Friot) et enfin que c'est une relation de domination entre propriétaires et non-propriétaires donc un fait social.
Frédéric Lordon aborde donc la propriété du point de vue du sociologue et du philosophe et Thomas Piketty du point de vue de l'économiste et de l'historien.
Dans la deuxième partie du débat, Thomas Piketty présente ce qu'il nomme le "socialisme participatif". L'idée est de partager le pouvoir au sein des conseils d'administration des entreprises en s'inspirant de la cogestion des pays germaniques et nordiques (où les travailleurs ont de "1/3" à "50% moins une voix" du pouvoir de décision) mais en allant plus loin avec 50% du pouvoir pour les actionnaires et 50% pour les travailleurs. Piketty précise que dans les grandes entreprises, le plus gros actionnaire ne pourra avoir que 10% des voix réservées aux actionnaires soit 5% du total même si c'est lui qui a apporté 90% du capital.
Il ajoute aussi un impôt sur les successions très important doublé d'impôts sur les revenus progressif pouvant atteindre 90% (au-delà de plusieurs millions d'euros par an) conduisant à ce qu'il nomme la "propriété temporaire".
Frédéric Lordon apporte une objection à cette proposition qu'il juge "mitigée" (et qu'il compare avec la "social-démocratie" de la période 1950-1980) en affirmant que l'apport initial (le financement) est toujours privé dans ce système; donc qu'on risque . De plus, il ajoute que les capitalistes "qui se goinfrent comme des porcs" actuellement ne voudront plus jamais partager le pouvoir.
Au système de Piketty, il préfère largement celui de Bernard Friot qui supprime la "propriété lucrative" (le principe de base du capitalisme) en étendant le principe de la cotisation aux profits, pour les investissements (supprimant ainsi les dividendes). Désormais, la totalité de la richesse produite serait collectée dans une caisse de Sécurité Sociale et une autre caisse des Investissements qui remplacerait ainsi les apports financiers privés. De la propriété, il ne resterait donc plus que la "propriété d'usage".
Frédéric Lordon développe ensuite en expliquant qu'une entreprise, c'est, en définitive, une association de personnes autour d'un projet qui ne pourrait pas être accompli tout seul par la personne qui en a eu l'idée.
En supprimant l'apport privé de capital, et en le remplaçant par la Caisse des Investissements (qui collecterait les cotisations des entreprises c'est-à-dire l'intégralité de leurs profits), on supprime le moyen de domination financier des riches apporteurs ou des banques privées. Dans ce cadre-là, l'association économique (création d'une entreprise) devient aussi une association politique où chaque membre possède une voix dans le processus de décision.
C'est le principe des coopératives. L'entreprise appartient aux travailleurs et ils décident collectivement, égalitairement, de la marche à suivre de l'entreprise. Pas d'actionnaires extérieurs à l'entreprise, pas de dividende, et tout est reversé aux travailleurs :
- sous forme de salaire immédiat
- sous forme de salaire différé lorsqu'on tombe malade (assurance maladie), qu'on perd son emploi (allocation chômage), qu'on devient trop vieux pour travailler (pension de retraite) ou qu'on a des enfants à charge (allocation familiale)
- et sous forme d'investissements pour l'entreprise (sauvegardant ou améliorant l'outil de travail).
Thomas Piketty qualifie tout ceci de "dogmatique" ; préférant sa vision à mi-chemin du capitalisme actuel et de ce que Frédéric Lordon (reprenant les travaux de Bernard Friot) propose.
Lors des questions diverses, une personne du public, originaire de la Réunion, raconte que lors de la libération des esclaves, les propriétaires esclavagistes ont été dédommagés de cette "perte de capital". Thomas Piketty confirme en précisant que la République (de 1848) donc les contribuables français, ont effectivement racheté la liberté des esclaves mais que les affranchis eux-mêmes ont payé une part de ce rachat en versant la moitié de leur salaire à leurs employeurs (souvent leurs anciens "maîtres").
Piketty raconte également l'histoire d'Haïti. Le plus grand soulèvement d'esclaves de l'histoire (500.000 personnes) a permis à cette île d'obtenir son indépendance (en 1804). La France monarchique ne reconnaîtra finalement cette indépendance qu'en 1825 mais à la condition qu'Haïti verse l'équivalent de trois années de production aux anciens esclavagistes dépossédés. Il faudra attendre 1950 pour que la dette (et les intérêts de la dette plusieurs fois renouvelée par les prêts bancaires) soit enfin payée; mettant ainsi le pays dans un état de pauvreté catastrophique.
Lordon conclut en évoquant la "démocratie" questionnée par les "gilets jaunes" ou les manifestants qui s'opposent à la retraite par points. Au lieu de "démocratie", il utilise l'expression de "capitalo-parlementarisme" inventée par Alain Badiou.
Ce régime capitalo-parlementariste ne cèdera que devant un mouvement massif d'énergie politique, par un rappport de force : la guerre (comme en 1945) ou la révolution.
Article d'Alain Badiou, philosophe, romancier, éditeur, paru dans Le Monde le 17 octobre 2008 : De quel réel cette crise est-elle le spectacle ?
Source : https://www.lemonde.fr/idees/article/2008/10/17/de-quel-reel-cette-crise-est-elle-le-spectacle-par-alain-badiou_1108118_3232.html
Telle qu'on nous la présente, la crise planétaire de la finance ressemble à un de ces mauvais films concoctés par l'usine à succès préformés qu'on appelle aujourd'hui le "cinéma". Rien n'y manque, y compris les rebondissements qui terrorisent : impossible d'empêcher le vendredi noir, tout s'écroule, tout va s'écrouler...
Mais l'espoir demeure. Sur le devant de la scène, hagards et concentrés comme dans un film catastrophe, la petite escouade des puissants, les pompiers du feu monétaire, les Sarkozy, Paulson, Merkel, Brown et autres Trichet, engouffrent dans le trou central des milliers de milliards. "Sauver les banques !" Ce noble cri humaniste et démocratique jaillit de toutes les poitrines politiques et médiatiques. Pour les acteurs directs du film, c'est-à-dire les riches, leurs servants, leurs parasites, ceux qui les envient et ceux qui les encensent, un happy end, je le crois, je le sens, est inévitable, compte tenu de ce que sont aujourd'hui et le monde, et les politiques qui s'y déploient.
Tournons-nous plutôt vers les spectateurs de ce show, la foule abasourdie qui entend comme un vacarme lointain l'hallali des banques aux abois, devine les week-ends harassants de la glorieuse petite troupe des chefs de gouvernement, voit passer des chiffres aussi gigantesques qu'obscurs, et y compare machinalement les ressources qui sont les siennes, ou même, pour une part très considérable de l'humanité, la pure et simple non-ressource qui fait le fond amer et courageux à la fois de sa vie. Je dis que là est le réel, et que nous n'y aurons accès qu'en nous détournant de l'écran du spectacle pour considérer la masse invisible de ceux pour qui le film catastrophe, dénouement à l'eau de rose compris (Sarkozy embrasse Merkel, et tout le monde pleure de joie), ne fut jamais qu'un théâtre d'ombres.
On a souvent parlé ces dernières semaines de "l'économie réelle" (la production des biens). On lui a opposé l'économie irréelle (la spéculation) d'où venait tout le mal, vu que ses agents étaient devenus "irresponsables", "irrationnels", et "prédateurs". Cette distinction est évidemment absurde. Le capitalisme financier est depuis cinq siècles une pièce majeure du capitalisme en général. Quant aux propriétaires et animateurs de ce système, ils ne sont, par définition, "responsables" que des profits, leur "rationalité" est mesurable aux gains, et prédateurs, non seulement ils le sont, mais ont le devoir de l'être.
Il n'y a donc rien de plus "réel" dans la soute de la production capitaliste que dans son étage marchand ou son compartiment spéculatif. Le retour au réel ne saurait être le mouvement qui conduit de la mauvaise spéculation "irrationnelle" à la saine production. Il est celui du retour à la vie, immédiate et réfléchie, de tous ceux qui habitent ce monde. C'est de là qu'on peut observer sans faiblir le capitalisme, y compris le film catastrophe qu'il nous impose ces temps-ci. Le réel n'est pas ce film, mais la salle.
Que voit-on, ainsi détourné, ou retourné ? On voit, ce qui s'appelle voir, des choses simples et connues de longue date : le capitalisme n'est qu'un banditisme, irrationnel dans son essence et dévastateur dans son devenir. Il a toujours fait payer quelques courtes décennies de prospérité sauvagement inégalitaires par des crises où disparaissaient des quantités astronomiques de valeurs, des expéditions punitives sanglantes dans toutes les zones jugées par lui stratégiques ou menaçantes, et des guerres mondiales où il se refaisait une santé.
Laissons au film-crise, ainsi revu, sa force didactique. Peut-on encore oser, face à la vie des gens qui le regardent, nous vanter un système qui remet l'organisation de la vie collective aux pulsions les plus basses, la cupidité, la rivalité, l'égoïsme machinal ? Faire l'éloge d'une "démocratie" où les dirigeants sont si impunément les servants de l'appropriation financière privée qu'ils étonneraient Marx lui-même, qui qualifiait pourtant déjà les gouvernements, il y a cent soixante ans, de "fondés de pouvoir du capital" ? Affirmer qu'il est impossible de boucher le trou de la "Sécu", mais qu'on doit boucher sans compter les milliards le trou des banques ?
La seule chose qu'on puisse désirer dans cette affaire est que ce pouvoir didactique se retrouve dans les leçons tirées par les peuples, et non par les banquiers, les gouvernements qui les servent et les journaux qui servent les gouvernements, de toute cette sombre scène. Je vois deux niveaux articulés de ce retour du réel. Le premier est clairement politique. Comme le film l'a montré, le fétiche "démocratique" n'est que service empressé des banques. Son vrai nom, son nom technique, je le propose depuis longtemps, est : capitalo-parlementarisme. Il convient donc, comme de multiples expériences depuis vingt ans ont commencé à le faire, d'organiser une politique d'une nature différente.
Elle est et sera sans doute longtemps très à distance du pouvoir d'Etat, mais peu importe. Elle commence au ras du réel, par l'alliance pratique des gens les plus immédiatement disponibles pour l'inventer : les prolétaires nouveaux venus, d'Afrique ou d'ailleurs, et les intellectuels héritiers des batailles politiques des dernières décennies. Elle s'élargira en fonction de ce qu'elle saura faire, point par point. Elle n'entretiendra aucune espèce de rapport organique avec les partis existants et le système, électoral et institutionnel, qui les fait vivre. Elle inventera la nouvelle discipline de ceux qui n'ont rien, leur capacité politique, la nouvelle idée de ce que serait leur victoire.
Le second niveau est idéologique. Il faut renverser le vieux verdict selon lequel nous serions dans "la fin des idéologies". Nous voyons très clairement aujourd'hui que cette prétendue fin n'a d'autre réalité que le mot d'ordre "sauvons les banques". Rien n'est plus important que de retrouver la passion des idées, et d'opposer au monde tel qu'il est une hypothèse générale, la certitude anticipée d'un tout autre cours des choses. Au spectacle malfaisant du capitalisme, nous opposons le réel des peuples, de l'existence de tous dans le mouvement propre des idées. Le motif d'une émancipation de l'humanité n'a rien perdu de sa puissance. Le mot "communisme", qui a longtemps nommé cette puissance, a certes été avili et prostitué.
Mais, aujourd'hui, sa disparition ne sert que les tenants de l'ordre, que les acteurs fébriles du film catastrophe. Nous allons le ressusciter, dans sa neuve clarté. Qui est aussi son ancienne vertu, quand Marx disait du communisme qu'il "rompait de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles" et qu'il faisait surgir "une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous".
Rupture totale avec le capitalo-parlementarisme, politique inventée au ras du réel populaire, souveraineté de l'idée : tout est là, qui nous déprend du film de la crise et nous rend à la fusion de la pensée vive et de l'action organisée.
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