« La marche du capitalisme néolibéral porte dans ses pas la
marque du sang de nos peuples contre lesquels la guerre empire parce que
nous n’abandonnons pas notre terre, notre culture, notre paix et notre
organisation collective ; parce que nous ne cédons pas dans notre
résistance ni ne nous résignons à mourir… »
Ce peuple est un des peuples qui est prêt à survivre lors de
l’effondrement de la civilisation capitaliste et environnementale qui
arrive parce qu’il n’aura rien à changer… il a déjà adapté les modes de
résilience pour vivre une démocratie en symbiose avec la nature !
Attac Réunion
25 ans d’insurrection zapatiste
Le 1 er janvier 1994 les Indiens tzotzils (branche maya) des hauteurs
de l’État du Chiapas (Mexique), se soulèvent contre le gouvernement
central de Mexico. Ce jour coïncide avec l’entrée en vigueur de l’Accord
de libre échange (ALENA) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.
A la surprise générale, les insurgés de l’Armée zapatiste de libération
nationale (EZLN), créée clandestinement en 1983, remportèrent
d’incontestables succès, dont notamment la prise de la mairie de la
ville de San Cristobal De Las Casas.
Cette prise fut purement symbolique, les diverses occupations furent
rapidement rendues au gouvernement officiel de l’État. La raison était
de présenter au monde la lutte zapatiste contre le néolibéralisme, pour le respect et la
considération des populations indiennes et de leurs cultures. Mais
également pour dénoncer la pression du gouvernement sur la question
foncière, et de ses implantations industrieuses sans avis de la
population. Et aussi pour se défendre de la violence exercée
institutionnellement et physiquement par les divers services de police
et de l’armée.
Commençait alors le soulèvement zapatiste : communes autonomes, conseils
de bon gouvernement, assemblées régionales, propriété collective des
terres…
25 ans de guerre de basse intensité
Les projets de développement capitalistiques n’ont pas pour intérêt,
au Chiapas (comme ailleurs), d’améliorer le bien-être des populations,
mais de servir des dividendes aux « investisseurs », et logiquement
aussi pour la présidence du pays. Lorsque les trois États d’Amérique du
Nord ont concrétisé le marché de « libre échange », ce n’est donc pas au
bénéfice des travailleur-euses du continent.
Le 1 er janvier 1994 est une date fortement symbolique pour ces deux
raisons intrinsèques ; de plus, elle marque une recrudescence de la
violence étatiste. Depuis un quart de siècle, Mexico aura déployé contre
les chiapanèques toute une panoplie de politiques
contre-insurrectionnelles : interventions de l’armée, paramilitarisation
massive et déplacement de populations, division des communautés et
création artificielle de conflits internes, programmes d’assistances
économiques clientélistes, incitation des non zapatistes à les attaquer,
à voler leurs terres, à les massacrer…
Les Zapatistes doivent donc résister davantage toutes ces années sur
plusieurs fronts : ils ont prévenu qu’ils contesteront vigoureusement
les grands projets de développement mis en place par le nouveau
gouvernement, supposément « progressiste », mais déniant totalement les
droits des Indiens.
Aéroport, train à grande vitesse – mal dénommé train maya – grands
hôtels… Des projets inutiles qui ne servent que le capital, un tourisme
consumériste et stupide, finalement complice d’une guerre de basse
intensité, pour accaparer des terres et rendre les populations indiennes
tributaires de la « modernité », imposée de par le monde, selon les
spécificités régionales.
La société zapatiste, son fédéralisme…
L’expérience de cette société s’étend dans toute la partie orientale
de l’État du Chiapas ; dans cette région - qui a une superficie proche
de la Bourgogne, mais bien plus montagneuse - la population indienne est
très largement majoritaire, mais hétérogène : Zapatistes cohabitant
avec les non-Zapatistes. Ainsi, deux régimes politiques coexistent sur
le même territoire. Les Conseils de bon gouvernement (régionaux) et les
communes autonomes sont complètement séparés des structures
administratives et politiques de l’État fédéral mexicain. Ces communes
ne bénéficient d’aucune subvention, ni d’autre financement de l’État
(mais paient l’impôt !)
Les Conseils de bon gouvernement sont les instances régionales de
l’autonomie zapatiste, déclinés en trois niveaux : les décisions, en
premier lieu, sont votées à main levée par les habitant-e-s au sein des
villages : l’assemblée communautaire.
Puis au niveau des communes : le conseil municipal. Chacune rassemble
les villages par dizaines. Enfin, la région englobe trois à sept
communes (selon la géographie et la taille de celles-ci).
Il y a cinq conseils de bon gouvernement dans les territoires
autonomes, siégeant chacun dans un centre régional baptisé caracol
(escargot).
Les conseils régionaux et les conseils municipaux sont élus pour trois
ans, avec des mandats révocables à tout moment et non renouvelables. Ils
élaborent leurs décisions en assemblée régionale ; les projets qui ne
font pas l’objet d’un ample accord au sein de l’assemblée sont renvoyés
en discussion dans les villages, pour recueillir les avis, les
amendements, les oppositions, afin qu’à terme l’assemblée puisse
produire une synthèse et prendre une décision. Ce qui implique parfois
des allers-retours avant l’adoption du projet.
L’autonomie zapatiste est donc un régime politique qui s’élève de la
base jusqu’au « sommet », symbolisé par des « sous-commandants ».
On peut dénommer cette société comme une démocratie réelle, radicale,
directe, fondée sur le principe de « despécialisation » de la chose
publique, de la politique, à l’inverse de la démocratie représentative
qui, elle, permet toutes les dérives politiciennes et corruptives… Si la
hiérarchisation des classes et des catégories sociales est clairement
rejetée, le zapatisme opte pour la rébellion plutôt que pour la
révolution, afin d’éviter l’amalgame avec les révolutions du 20° siècle,
dons la finalité
fut la prise du pouvoir, avec son centralisme étatiste comme instrument
de transformation économique et sociale, mais aux antipodes de la
démocratie directe – seule véritable transformation sociale dont
l’objectif est une société sans classes. Aussi, le rejet radical du
capitalisme, du centralisme politique, des rapports de classes, est en
sécession complète vis-à-vis des structures étatistes, pour développer
un mode de vie fuyant les outils de domination (quel que soit le type de
régime politique usé jusqu’à la corde), tout en favorisant des liens nationaux et
internationaux, dont la finalité est la destruction du capitalisme. Nous
sommes bien dans un procès révolutionnaire.
… Et son mode de production
Comment produit-on au Chiapas ? La paysannerie zapatiste insiste sur
la défense et le développement de l’agro-écologie : rejet des pesticides
de synthèse, protection des semences natives, considération des enjeux écologiques, etc. Cette
paysannerie produit l’essentiel de son besoin alimentaire selon la
tradition. Sont produits en montagne le maïs, le sorgho, le frijole
(petit haricot rouge ou noir), les courges, tomates, ainsi que de
nombreux fruits tropicaux, le riz, les animaux de basse-cour, le miel,
le cacao… Cette méthode d’autosubsistance est développée sur des terres
où la propriété est collective pour un usage familial.
La politique alimentaire sera complétée par un soutien économique de
l’autonomie collective, grâce aux dizaines de milliers d’hectares de
terres récupérées après en
avoir chassé les grands « propriétaires » durant le soulèvement de 1994.
La terre est la base même de l’autonomie ; avec elle, et les travaux
collectifs qui y sont menés, le système de santé peut être couvert,
ainsi que l’autogouvernement et la justice autonome.
Le principe de produire collectivement est concrétisé au moyen des
coopératives de production : cordonnerie, textile, charpente,
ferronnerie, matériaux de construction, café…
En effet, le Chiapas est une importante zone de production d’arabica, au
détriment du robusta, déprécié, en particulier sur le marché. Les
familles disposent de petites parcelles dont la production est
commercialisée via des coopératives.
Puis les réseaux solidaires de distribution sont organisés en Amérique
et en Europe. Cette solidarité par l’économie s’appuie sur deux axes
essentiels pour le soutien à la révolte zapatiste. Primo, un apport
monétaire, certes modeste, mais proportionnellement bien plus
rémunérateur que la vente de la production sur le marché conventionnel
où les transnationales du café imposent leurs misérables tarifs, en
achetant à vil prix, par exemple, des produits de première nécessité
qu’elle ne peut produire. Secundo, la mission des réseaux de solidarité a
également pour tâche, la propagande, la publicité. Il s’agit bien moins
de vendre toujours plus de café afin de
concurrencer l’industrie, que d’informer le consommateur de la lutte des
Zapatistes, de leur projet global et d’une prise de conscience qu’un
fonctionnement sociétal en réseaux, sans hiérarchie structurelle, peut
aussi être une pratique anticapitaliste quelle que soit la latitude.
L’EZLN – une source d’inspiration
Si l’EZLN a bien une dimension militaire, comme l’a prouvé notamment
le soulèvement zapatiste de 1994, celle-ci est minoritaire. Il n’y a pas
de militaires au sens professionnel, la très large majorité de ses
membres sont des civil-e-s, vivant et travaillant dans leur village.
Le cheminement de l’expérience a consisté à poser les armes au profit de
l’action politique civile. En revanche, par défaut d’un accord de paix
avec le gouvernement fédéral, rien n’autorise à son renoncement total.
L’essentiel de l’action zapatiste - surtout à partir de 2003 - tient à
la constitution de l’autonomie dans les territoires « libérés » :
expérience entièrement civile. Son développement s’opère à côté de
l’EZLN, aussi, ceux qui ont des responsabilités en son sein ne peuvent y
participer.
Durant une bonne dizaine d’années, les Zapatistes – par le souscommandant Marcos - défrayaient occasionnellement la chronique.
Entre 1994 et 2001, les objectifs tenaient à la défense des villages, de
leur autonomisation, de la formation politique de leurs habitant-e-s,
etc.
mais également de la tenue de lapremière rencontre intercontinentale
pour l’humanité, contre le néolibéralisme et la longue marche jusqu’à
Mexico. Si depuis le silence s’est imposé, la lutte et l’expérience
continuent… Mais de temps à autre les médias devraient bien – même
partiellement – relater certaines actions. Plusieurs rencontres
internationales se sont tenues dans la forêt de Lacandon (fief
zapatiste). En 2013, pour les vingt ans, plus de 5000 personnes se sont
rendues dans les villages rebelles afin de comprendre l’autonomie
politique zapatiste. L’année suivante, il y eut le festival mondial des
rébellions et des résistances contre le capitalisme. En 2015, un
séminaire international fut convoqué sur La pensée critique face à
l’hydre capitaliste.
Ce type de rencontre s’est succédé les années suivantes…
Les Zapatistes entendent exprimer une source d’inspiration et non un
modèle, alors qu’en parallèle, la défense contre la guerre de basse
intensité est
toujours menée !
D’ailleurs les Zapatistes ne sont pas les seuls à subir le courroux
réactionnaire et criminel, pour preuve s’il en faut : la disparition de
43 étudiants de l’école normale rurale (institut de formation des
enseignants) d’Ayotzinapa (État du Guerrero), en septembre 2014, a
rappelé l’absence de droits humains au Mexique : plus de 15 000
assassinats par an et plus de 24 000 personnes disparues (chiffres
officiels). En 2018, leMexique remporte aussi la palme en nombre
d’assassinats de journalistes.
L’EZLN n’a pas omis d’envoyer au Kurdistan une déclaration de
solidarité pour le combat contre la réaction et l’obscurantisme, et pour
la justice, la paix et l’égalité… Rappelons que dans le nord de la
Syrie, entre 2014 et 2016, les Kurdes ont démontré que non seulement ils
et elles doivent se battre contre les islamistes et l’armée turque,
mais que, dans le même temps, un processus révolutionnaire est entamé
dans cette région revendiquée territoire du Kurdistan. La praxis
libertaire kurde est parallèle à celle des Zapatistes.
Enfin, toujours en solidarité avec les luttes populaires, les Zapatistes ont également formulé des vœux aux Gilets Jaunes.
Avec la formation de la population au fédéralisme et à
l’autogouvernement libérés des hiérarchies, sa protection et son combat
contre 25 ans d’agression, tout en œuvrant au quotidien, le mouvement
zapatiste démontre que l’engagement radical contre la réaction est
possible quels que soient les horizons.
JC le 14.07.2019
Sources :
http://www.cspcl.ouvaton.org/
samedi 31 août 2019
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire