samedi 31 août 2019

25 d'insurrection zapatiste

« La marche du capitalisme néolibéral porte dans ses pas la marque du sang de nos peuples contre lesquels la guerre empire parce que nous n’abandonnons pas notre terre, notre culture, notre paix et notre organisation collective ; parce que nous ne cédons pas dans notre résistance ni ne nous résignons à mourir… »

Ce peuple est un des peuples qui est prêt à survivre lors de l’effondrement de la civilisation capitaliste et environnementale qui arrive parce qu’il n’aura rien à changer… il a déjà adapté les modes de résilience pour vivre une démocratie en symbiose avec la nature !

Attac Réunion


25 ans d’insurrection zapatiste
Le 1 er janvier 1994 les Indiens tzotzils (branche maya) des hauteurs de l’État du Chiapas (Mexique), se soulèvent contre le gouvernement central de Mexico. Ce jour coïncide avec l’entrée en vigueur de l’Accord de libre échange (ALENA) entre les États-Unis, le Canada et le Mexique.
A la surprise générale, les insurgés de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN), créée clandestinement en 1983, remportèrent d’incontestables succès, dont notamment la prise de la mairie de la ville de San Cristobal De Las Casas.

Cette prise fut purement symbolique, les diverses occupations furent rapidement rendues au gouvernement officiel de l’État. La raison était de présenter au monde la lutte zapatiste contre le néolibéralisme, pour le respect et la considération des populations indiennes et de leurs cultures. Mais également pour dénoncer la pression du gouvernement sur la question foncière, et de ses implantations industrieuses sans avis de la population. Et aussi pour se défendre de la violence exercée institutionnellement et physiquement par les divers services de police et de l’armée.

Commençait alors le soulèvement zapatiste : communes autonomes, conseils de bon gouvernement, assemblées régionales, propriété collective des terres…

25 ans de guerre de basse intensité

Les projets de développement capitalistiques n’ont pas pour intérêt, au Chiapas (comme ailleurs), d’améliorer le bien-être des populations, mais de servir des dividendes aux « investisseurs », et logiquement aussi pour la présidence du pays. Lorsque les trois États d’Amérique du Nord ont concrétisé le marché de « libre échange », ce n’est donc pas au bénéfice des travailleur-euses du continent.

Le 1 er janvier 1994 est une date fortement symbolique pour ces deux raisons intrinsèques ; de plus, elle marque une recrudescence de la violence étatiste. Depuis un quart de siècle, Mexico aura déployé contre les chiapanèques toute une panoplie de politiques contre-insurrectionnelles : interventions de l’armée, paramilitarisation massive et déplacement de populations, division des communautés et création artificielle de conflits internes, programmes d’assistances économiques clientélistes, incitation des non zapatistes à les attaquer, à voler leurs terres, à les massacrer…

Les Zapatistes doivent donc résister davantage toutes ces années sur plusieurs fronts : ils ont prévenu qu’ils contesteront vigoureusement les grands projets de développement mis en place par le nouveau gouvernement, supposément « progressiste », mais déniant totalement les droits des Indiens.
Aéroport, train à grande vitesse – mal dénommé train maya – grands hôtels… Des projets inutiles qui ne servent que le capital, un tourisme consumériste et stupide, finalement complice d’une guerre de basse intensité, pour accaparer des terres et rendre les populations indiennes tributaires de la « modernité », imposée de par le monde, selon les spécificités régionales.

La société zapatiste, son fédéralisme…

L’expérience de cette société s’étend dans toute la partie orientale de l’État du Chiapas ; dans cette région - qui a une superficie proche de la Bourgogne, mais bien plus montagneuse - la population indienne est très largement majoritaire, mais hétérogène : Zapatistes cohabitant avec les non-Zapatistes. Ainsi, deux régimes politiques coexistent sur le même territoire. Les Conseils de bon gouvernement (régionaux) et les communes autonomes sont complètement séparés des structures administratives et politiques de l’État fédéral mexicain. Ces communes ne bénéficient d’aucune subvention, ni d’autre financement de l’État (mais paient l’impôt !)

Les Conseils de bon gouvernement sont les instances régionales de l’autonomie zapatiste, déclinés en trois niveaux : les décisions, en premier lieu, sont votées à main levée par les habitant-e-s au sein des villages : l’assemblée communautaire.

Puis au niveau des communes : le conseil municipal. Chacune rassemble les villages par dizaines. Enfin, la région englobe trois à sept communes (selon la géographie et la taille de celles-ci).
Il y a cinq conseils de bon gouvernement dans les territoires autonomes, siégeant chacun dans un centre régional baptisé caracol (escargot).

Les conseils régionaux et les conseils municipaux sont élus pour trois ans, avec des mandats révocables à tout moment et non renouvelables. Ils élaborent leurs décisions en assemblée régionale ; les projets qui ne font pas l’objet d’un ample accord au sein de l’assemblée sont renvoyés en discussion dans les villages, pour recueillir les avis, les amendements, les oppositions, afin qu’à terme l’assemblée puisse produire une synthèse et prendre une décision. Ce qui implique parfois
des allers-retours avant l’adoption du projet.

L’autonomie zapatiste est donc un régime politique qui s’élève de la base jusqu’au « sommet », symbolisé par des « sous-commandants ».

On peut dénommer cette société comme une démocratie réelle, radicale, directe, fondée sur le principe de « despécialisation » de la chose publique, de la politique, à l’inverse de la démocratie représentative qui, elle, permet toutes les dérives politiciennes et corruptives… Si la hiérarchisation des classes et des catégories sociales est clairement rejetée, le zapatisme opte pour la rébellion plutôt que pour la révolution, afin d’éviter l’amalgame avec les révolutions du 20° siècle, dons la finalité
fut la prise du pouvoir, avec son centralisme étatiste comme instrument de transformation économique et sociale, mais aux antipodes de la démocratie directe – seule véritable transformation sociale dont l’objectif est une société sans classes. Aussi, le rejet radical du capitalisme, du centralisme politique, des rapports de classes, est en sécession complète vis-à-vis des structures étatistes, pour développer un mode de vie fuyant les outils de domination (quel que soit le type de régime politique usé jusqu’à la corde), tout en favorisant des liens nationaux et internationaux, dont la finalité est la destruction du capitalisme. Nous sommes bien dans un procès révolutionnaire.

… Et son mode de production

Comment produit-on au Chiapas ? La paysannerie zapatiste insiste sur la défense et le développement de l’agro-écologie : rejet des pesticides de synthèse, protection des semences natives, considération des enjeux écologiques, etc. Cette paysannerie produit l’essentiel de son besoin alimentaire selon la tradition. Sont produits en montagne le maïs, le sorgho, le frijole (petit haricot rouge ou noir), les courges, tomates, ainsi que de nombreux fruits tropicaux, le riz, les animaux de basse-cour, le miel, le cacao… Cette méthode d’autosubsistance est développée sur des terres où la propriété est collective pour un usage familial.

La politique alimentaire sera complétée par un soutien économique de l’autonomie collective, grâce aux dizaines de milliers d’hectares de terres récupérées après en avoir chassé les grands « propriétaires » durant le soulèvement de 1994. La terre est la base même de l’autonomie ; avec elle, et les travaux collectifs qui y sont menés, le système de santé peut être couvert, ainsi que l’autogouvernement et la justice autonome.

Le principe de produire collectivement est concrétisé au moyen des coopératives de production : cordonnerie, textile, charpente, ferronnerie, matériaux de construction, café…
En effet, le Chiapas est une importante zone de production d’arabica, au détriment du robusta, déprécié, en particulier sur le marché. Les familles disposent de petites parcelles dont la production est commercialisée via des coopératives.

Puis les réseaux solidaires de distribution sont organisés en Amérique et en Europe. Cette solidarité par l’économie s’appuie sur deux axes essentiels pour le soutien à la révolte zapatiste. Primo, un apport monétaire, certes modeste, mais proportionnellement bien plus rémunérateur que la vente de la production sur le marché conventionnel où les transnationales du café imposent leurs misérables tarifs, en achetant à vil prix, par exemple, des produits de première nécessité qu’elle ne peut produire. Secundo, la mission des réseaux de solidarité a également pour tâche, la propagande, la publicité. Il s’agit bien moins de vendre toujours plus de café afin de concurrencer l’industrie, que d’informer le consommateur de la lutte des Zapatistes, de leur projet global et d’une prise de conscience qu’un fonctionnement sociétal en réseaux, sans hiérarchie structurelle, peut aussi être une pratique anticapitaliste quelle que soit la latitude.

L’EZLN – une source d’inspiration

Si l’EZLN a bien une dimension militaire, comme l’a prouvé notamment le soulèvement zapatiste de 1994, celle-ci est minoritaire. Il n’y a pas de militaires au sens professionnel, la très large majorité de ses membres sont des civil-e-s, vivant et travaillant dans leur village.

Le cheminement de l’expérience a consisté à poser les armes au profit de l’action politique civile. En revanche, par défaut d’un accord de paix avec le gouvernement fédéral, rien n’autorise à son renoncement total. L’essentiel de l’action zapatiste - surtout à partir de 2003 - tient à la constitution de l’autonomie dans les territoires « libérés » : expérience entièrement civile. Son développement s’opère à côté de l’EZLN, aussi, ceux qui ont des responsabilités en son sein ne peuvent y participer.
Durant une bonne dizaine d’années, les Zapatistes – par le souscommandant Marcos - défrayaient occasionnellement la chronique.

Entre 1994 et 2001, les objectifs tenaient à la défense des villages, de leur autonomisation, de la formation politique de leurs habitant-e-s, etc.

mais également de la tenue de lapremière rencontre intercontinentale pour l’humanité, contre le néolibéralisme et la longue marche jusqu’à Mexico. Si depuis le silence s’est imposé, la lutte et l’expérience continuent… Mais de temps à autre les médias devraient bien – même partiellement – relater certaines actions. Plusieurs rencontres internationales se sont tenues dans la forêt de Lacandon (fief zapatiste). En 2013, pour les vingt ans, plus de 5000 personnes se sont rendues dans les villages rebelles afin de comprendre l’autonomie politique zapatiste. L’année suivante, il y eut le festival mondial des rébellions et des résistances contre le capitalisme. En 2015, un séminaire international fut convoqué sur La pensée critique face à l’hydre capitaliste.

Ce type de rencontre s’est succédé les années suivantes…

Les Zapatistes entendent exprimer une source d’inspiration et non un modèle, alors qu’en parallèle, la défense contre la guerre de basse intensité est
toujours menée !

D’ailleurs les Zapatistes ne sont pas les seuls à subir le courroux réactionnaire et criminel, pour preuve s’il en faut : la disparition de 43 étudiants de l’école normale rurale (institut de formation des enseignants) d’Ayotzinapa (État du Guerrero), en septembre 2014, a rappelé l’absence de droits humains au Mexique : plus de 15 000 assassinats par an et plus de 24 000 personnes disparues (chiffres officiels). En 2018, leMexique remporte aussi la palme en nombre d’assassinats de journalistes.

L’EZLN n’a pas omis d’envoyer au Kurdistan une déclaration de solidarité pour le combat contre la réaction et l’obscurantisme, et pour la justice, la paix et l’égalité… Rappelons que dans le nord de la Syrie, entre 2014 et 2016, les Kurdes ont démontré que non seulement ils et elles doivent se battre contre les islamistes et l’armée turque, mais que, dans le même temps, un processus révolutionnaire est entamé dans cette région revendiquée territoire du Kurdistan. La praxis libertaire kurde est parallèle à celle des Zapatistes.

Enfin, toujours en solidarité avec les luttes populaires, les Zapatistes ont également formulé des vœux aux Gilets Jaunes.

Avec la formation de la population au fédéralisme et à l’autogouvernement libérés des hiérarchies, sa protection et son combat contre 25 ans d’agression, tout en œuvrant au quotidien, le mouvement zapatiste démontre que l’engagement radical contre la réaction est possible quels que soient les horizons.

JC le 14.07.2019
Sources :
http://www.cspcl.ouvaton.org/

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