Encore un texte important sur Le Saker francophone (je vous recommande la lecture quotidienne de ce site passionnant) :
Les bateliers de la Volga » Ilya Repin
Chesterton se trompait (par excès d’optimisme) quand il nous avertissait que « toute réforme du capitalisme signifiera simplement que les capitalistes ont trouvé des moyens pour réduire les salaires » ; parce que le capitalisme a désormais trouvé le moyen de les supprimer.
Il est en effet affligeant de constater la violation systématique de la dignité du travail que nous vivons ces dernières années, sous couvert de « flexibilité ». Une flexibilité qui, en langage clair, signifie que le travail doit être subordonné à la recherche du profit : ainsi ont été imposées des législations du travail qui fragilisent progressivement la condition des travailleurs, qui piétinent tous les principes de la justice sociale et attentent à la dignité même de la personne. Chesterton a écrit que dans une première phase de son évolution, le capitalisme nous avait volé la propriété des biens de production, pour faire de nous des travailleurs salariés. Puis que, dans une deuxième phase, il subordonnerait nos salaires à son expansion. Ainsi disparaît le principe fondamental de la justice sociale, qui stipule que « le travail est toujours la cause efficiente première du processus de production, alors que le capital n’en est que l’instrument ou la cause instrumentale » (Laborem exercens, 12).
Mais dans cette phase boulimique et terminale du capitalisme, on en arrive à prétendre que les individus travaillent gratuitement, voire paient pour travailler. Et pour qu’une telle aberration soit concevable, on joue de la façon la plus vile et manipulatrice qui soit avec les espoirs des plus jeunes et les angoisses des plus anciens. Ainsi, le capitalisme atteint un abîme de dégradation que n’avait même pas osé envisager l’esclavage : le patricien romain, au moins, avait l’obligation d’assurer la nourriture et le logement à ses esclaves.
On pourrait comprendre que les contrats de formation ou d’apprentissage ne soient pas rémunérés s’il existait une législation du travail qui assurât un travail fixe et rémunéré au candidat méritant une fois son apprentissage terminé. Mais avec la législation en vigueur, ces propositions de la CEOE nous paraissent particulièrement cruelles, parce qu’elles profitent traîtreusement de la nécessité que l’homme a de travailler non seulement pour subvenir à ses besoins matériels (parfois si pressants) mais aussi pour répondre à un noble désir de perfectionnement personnel.
Mais ceux qui cherchent à tirer profit de l’obligation ainsi faite à des jeunes pleins d’espoir (ensuite déçu) et à des vieux ravagés par son absence (finalement justifiée) de travailler gratuitement, se trompent. Car le travail indigne ne génère chez le travailleur que le rejet de l’entreprise qui l’embauche. Et toute entreprise employant des travailleurs qui ne s’identifient pas à elle est un jour ou l’autre vouée à l’échec. Tant il est vrai que l’homme a besoin de se sentir concerné par son travail. Sinon, celui-ci devient vite insupportable. Un ordre économique qui dénature le travail nie la nature humaine et, par voie de conséquence, est condamné à périr. Ce genre de propositions nous montre que les dieux rendent aveugles (par le goût du profit) ceux qu’ils veulent perdre.
Juan Manuel de Prada
Traduit par Hugues pour le Saker Francophone
Sources :
http://lesakerfrancophone.fr/travail-gratuit
et
http://chouard.org/blog/2018/03/24/travail-gratuit-par-juan-manuel-de-prada/
TRAVAIL GRATUIT
Dans un contexte de paupérisation croissante des conditions de travail, la Confédération espagnole des entreprises (CEOE) a eu le culot de proposer que les contrats de formation et d’apprentissage ne soient plus rémunérés (autrement dit, que les stagiaires travaillent gratuitement), qu’ils puissent concerner du travail posté ou de nuit (autrement dit, que les stagiaires travaillent gratuitement avec des horaires difficiles ou changeants) et que puissent également en bénéficier les plus de 45 ans ne percevant plus les allocations de chômage (autrement dit, que des stagiaires à vie puissent être aussi chômeurs de longue durée).Les bateliers de la Volga » Ilya Repin
Chesterton se trompait (par excès d’optimisme) quand il nous avertissait que « toute réforme du capitalisme signifiera simplement que les capitalistes ont trouvé des moyens pour réduire les salaires » ; parce que le capitalisme a désormais trouvé le moyen de les supprimer.
Il est en effet affligeant de constater la violation systématique de la dignité du travail que nous vivons ces dernières années, sous couvert de « flexibilité ». Une flexibilité qui, en langage clair, signifie que le travail doit être subordonné à la recherche du profit : ainsi ont été imposées des législations du travail qui fragilisent progressivement la condition des travailleurs, qui piétinent tous les principes de la justice sociale et attentent à la dignité même de la personne. Chesterton a écrit que dans une première phase de son évolution, le capitalisme nous avait volé la propriété des biens de production, pour faire de nous des travailleurs salariés. Puis que, dans une deuxième phase, il subordonnerait nos salaires à son expansion. Ainsi disparaît le principe fondamental de la justice sociale, qui stipule que « le travail est toujours la cause efficiente première du processus de production, alors que le capital n’en est que l’instrument ou la cause instrumentale » (Laborem exercens, 12).
Mais dans cette phase boulimique et terminale du capitalisme, on en arrive à prétendre que les individus travaillent gratuitement, voire paient pour travailler. Et pour qu’une telle aberration soit concevable, on joue de la façon la plus vile et manipulatrice qui soit avec les espoirs des plus jeunes et les angoisses des plus anciens. Ainsi, le capitalisme atteint un abîme de dégradation que n’avait même pas osé envisager l’esclavage : le patricien romain, au moins, avait l’obligation d’assurer la nourriture et le logement à ses esclaves.
On pourrait comprendre que les contrats de formation ou d’apprentissage ne soient pas rémunérés s’il existait une législation du travail qui assurât un travail fixe et rémunéré au candidat méritant une fois son apprentissage terminé. Mais avec la législation en vigueur, ces propositions de la CEOE nous paraissent particulièrement cruelles, parce qu’elles profitent traîtreusement de la nécessité que l’homme a de travailler non seulement pour subvenir à ses besoins matériels (parfois si pressants) mais aussi pour répondre à un noble désir de perfectionnement personnel.
Mais ceux qui cherchent à tirer profit de l’obligation ainsi faite à des jeunes pleins d’espoir (ensuite déçu) et à des vieux ravagés par son absence (finalement justifiée) de travailler gratuitement, se trompent. Car le travail indigne ne génère chez le travailleur que le rejet de l’entreprise qui l’embauche. Et toute entreprise employant des travailleurs qui ne s’identifient pas à elle est un jour ou l’autre vouée à l’échec. Tant il est vrai que l’homme a besoin de se sentir concerné par son travail. Sinon, celui-ci devient vite insupportable. Un ordre économique qui dénature le travail nie la nature humaine et, par voie de conséquence, est condamné à périr. Ce genre de propositions nous montre que les dieux rendent aveugles (par le goût du profit) ceux qu’ils veulent perdre.
Juan Manuel de Prada
Traduit par Hugues pour le Saker Francophone
Sources :
http://lesakerfrancophone.fr/travail-gratuit
et
http://chouard.org/blog/2018/03/24/travail-gratuit-par-juan-manuel-de-prada/
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