Toi, toi si t’étais le bon dieu,
Mais toi tu es beaucoup mieux,
Tu es un homme…
~ Jacques Brel ~
“L’acte
librement accepté— c’est le mouvement ! La main qui aide — c’est le
mouvement, les yeux qui rayonnent — c’est le mouvement, l’élévation de
la matière en de nouvelles demeures — c’est le mouvement. Nouvelle
création, non plus captivité, mais délivrance. Il n’y a pas d’autre
liberté. Ce mouvement là suscite-le chez tes élèves, ainsi chaque
mouvement sera MOUVEMENT et non captivité languissante.
Seul le vrai mouvement délivre. Enseigne cela et sous ta main,
les corps renaîtront, ils ressusciteront, car ils sont tous morts… tous
morts. L’acceptes-tu ?”
~ Gitta Mallasz, “Dialogues avec l’ange”, 1976 ~
Comprenons
bien que c’est un ex-diplomate britannique qui écrit ceci très
récemment. L’Idée de l’anarchie ne peut que gagner plus de terrain dans
le temps. C’est le seul (non)système qui terrifie celui en place et le
pourquoi l’anarchie a subi une campagne de destruction sémantique au
cours des dernières décennies pour en faire un synonyme du chaos et de
désordre dans la conscience populaire. L’anarchie n’est pas une
“antithèse” au système en place, elle est la synthèse, elle est le TOUT,
elle est symbiose en accord avec la nature. Quand on parle de spirituel
! L’anarchie ne peut être que spirituelle parce qu’elle est communion
avec l’Autre, réalisation de notre humanité réelle et profonde !
~ Résistance 71 ~
L’anarchie est amour
Carne Ross
2024
Traduit de l’anglais par Résistance 71 ~
J’avais pour habitude de penser que l’anarchisme était “juste” une philosophie politique. J’avais tout faux. C’est tellement bien plus que ça.
Par philosophie politique, je veux dire une façon de penser la politique, les institutions et la prise de décision. Comment les gens arbitrent leurs affaires les uns avec les autres, les théories de gouvernement, d’auto-gouvernement, d’autogestion, d’abolition de toute hiérarchie. J’aimais réduire l’anarchisme à quelques phrases comme “l’anarchisme c’est que personne n’a de pouvoir sur personne”…
Je n’avais pas tort. L’anarchisme est en fait au sujet de tout cela oui. C’est bien une philosophie politique. C’est bien au sujet du comment les gens prennent des décisions ensemble et gèrent leurs affaires collectivement. Mais je pensais que c’était sa philosophie intégrale, qu’il n’y avait rien de plus à l’affaire. Que c’était une façon de penser qui était séparée de nos réalités intérieures. C’est une philosophie externe, par dessus tout au sujet de comment se comporter les uns envers les autres.
Ces idées vous emmènent loin dans l’analyse de la situation politique et économique actuelle et dans la pensée de comment remplacer tout ça. A la place d’un gouvernement systémique pyramidal, nous avons besoin d’un système dans lequel les décisions sont prises par la masse des gens, incluant tout le monde ayant son mot à dire dans les affaires en cours. A la place d’un système économique contrôlé par quelques personnes richissimes, nous devons avoir un système où les parts sont égales pour toutes et tous, à la fois en terme de richesse mais aussi en termes d’agencement, où chacun a son mot à dire sur les affaires économiques qui les affectent, que ce soit sur les lieux de travail ou dans la société au sens large. L’individu et la société sont au cœur même de cette idée. Les individus doivent être totalement libres d’agir comme bon leur semble, mais toujours en prenant en considération les besoins des autres dans une négociation juste et égalitaire.
Mais qui est cet individu et comment pense-t-il ? Les anarchistes sont des sceptiques sur les religions formelles, les voyant comme une autre forme de contrôle social voyant la négation de l’agencement individuel en faveur d’une orthodoxie rigide et dogmatique renforcée hiérarchiquement, le plus souvent par des hommes. L’affirmation de l’existence de dieu est vue comme un voile utilisé pour cacher bien des maux et injustices humaines, excusés comme en une explication et rédemption universelles. L’anarchie rejette la religion : ni dieu(x) ni maître(s) !
Ainsi, j’ai été grandement sceptique de ceux qui parfois se nomment les “anarchistes spirituels”. Qu’est-ce donc que le spiritualisme si ce n’est une autre forme de religion qui rend confus et nous égare des réalités terrestres ? Je voyais ce qu’on pouvait appeler spiritualisme comme quelque chose de narcissique et d’égoïste, ayant son point de concentration sur l’âme de l’individu et ses besoins ainsi que son expression. Certains de ceux que j’ai vus parler de spiritualisme s’étaient retirés du champ de bataille de la société et avaient trouvé refuge dans les drogues et autres formes d’échappatoires physiques et mentaux. Je disais fermement que la bataille était dans nos villes et dans nos rues, ici et maintenant.
Mais ces mêmes “spiritualistes” m’affirmaient qu’il ne pouvait pas y avoir de révolution de la société sans révolutionner la façon dont les individus pensent en son sein. Qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que la société adopte des pratiques d’égalité, de respect et d’inclusion, à moins que nous ne nous transformions de notre rationalisme et de notre pensée analytique qui voit tout comme structure ou transaction. L’intérieur de l’être doit aussi être transformé. On ne peut pas avoir une révolution sociale sans l’autre révolution, celle de l’esprit.
J’en suis venu à penser qu’ils pourraient bien avoir raison.
Au cœur de tout anarchisme se tient le comment on traite l’autre. L’anarchisme demande que ce traitement soit toujours respectueux et égalitaire : personne ne peut forcer quelqu’un à faire quelque chose, que ce soit de manière ouverte ou manipulative. Mon style d’anarchisme demande qu’on traite les autres comme ils le souhaitent, pas comme nous le désirons. Nous devons abandonner toute notion de domination, d’influence et de forcer les autres à faire ce qu’on veut qu’ils fassent. Nous devons abandonner toute coercition.
J’ai travaillé dans un gouvernement, j’étais accroc au pouvoir, convaincu que je travaillais parmi une élite peu nombreuse qui comprenait ce dont avait besoin la société, dans mon cas, dans la politique étrangère et la diplomatie, mieux que les gens eux-mêmes. Ceci alimentait mon ego et structurait ma vie autour de ma carrière et de mon statut social. Ce fut un dur chemin que d’abandonner ces piliers de l’estime de moi-même. Je n’ai pas de pouvoir, qui suis-je donc ? Si je ne peux pas dire aux autres ce qu’ils doivent faire, quelles valeurs ont donc mes idées et mes désirs ? Si c’est juste moi, que suis-je ?
J’ai trouvé que je devais croire en quelque chose. Je ne suis pas sûr du nom que je pourrais donner à cela. Mais je suspecte que mes amis spiritualistes l’appelleraient juste comme ça : un besoin spirituel. C’est une croyance qu’il y a des valeurs et des sens hors de nous mais qui animent et inspirent notre intérieur et ses réalités. Les religions peuvent bien appeler ça dieu, exprimé au travers d’une litanie. Ma litanie est l’anarchie et je ne désire pas appeler cet esprit guide, dieu. C’est plus terrestre, plus humain.
Je l’identifie en observant le cœur anarchiste en pratique : l’interaction avec les autres. Comment nous traitons les autres personnes. En anarchisme, cette interaction doit être guidée par la considération et l’attention, la mise sur un pied d’égalité des besoins des autres et des nôtres. Au moins, dans son expression la plus extrême, c’est l’effacement de soi. Lao Tseu en parle dans son “Tao te King”. C’est avoir le pouvoir en donnant, abandonnant tout pouvoir. Il avait atteint cette conclusion il y a plus de deux mille ans. C’est une harmonie entre comment nous voyons et traitons les autres et comment nous nous traitons nous-mêmes. Il y a un mot pour cette pratique… Cela s’appelle : l’amour.
Sans ce cœur “spirituel”, l’anarchisme lutte pour avoir du sens. S’il est jugé dans les termes de la culture courante capitaliste, il n’est pas nécessairement une pratique plus efficace ou productive : il ne produit pas nécessairement plus de biens ou fait plus d’argent. Ce qu’il accomplit est en fait d’une valeur infinie : la beauté des humains vivant ensemble dans l’amour, le respect et l’égalité. Ce sont des choses abstraites ineffables qui ne peuvent pas être mesurées en euros, livres ou dollars. De fait, c’est au-delà de tous les termes et c’est pourquoi il est si difficile de mettre des mots sur ça. C’est sur un plan au dessus de tout ça. Si vous voulez appeler ça le “plan spirituel”, j’en suis heureux, ça me va. (NdT : c’est ce que nous faisons depuis bien longtemps déjà sur Résistance 71…) Ce qui entre dans l’esprit ou “l’âme” a de l’importance, car cela a de l’importance pour la réalité externe également. Ce que nous croyons en nous est intrinsèque de la façon dont nous nous engageons dans le monde. L’un ne va pas sans l’autre.
Carne Ross est un ancien diplomate britannique, auteur de “La révolution sans leader : comment les gens ordinaires vont prendre le pouvoir et changer la politique au XXIème siècle” et il est le sujet du film “Accidental Anarchist”.
= = =
“L’objectif est le peuple, la société, la communauté, la liberté, la beauté, la joie de vivre…”
~ Gustav Landauer, 1911 ~
Lectures complémentaires :
Gustav Landauer et anarchie spirituelle
La société des sociétés, manifeste et résolution d’aporie d’anthropologie politique
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire