Je vais rendre hommage aujourd'hui à ce "Voyageur infatigable de la pensée", comme le décrit sur son site internet Le Pommier, son éditeur de longue date, Michel Serres qui est l'auteur de quelque 80 ouvrages et qui continuait de publier régulièrement ces dernières années.
Né le 1er septembre 1930 à Agen, fils d'un marinier de la Garonne, il entre à l'Ecole navale en 1949, puis à l'Ecole normale supérieure en 1952. Agrégé de philosophie trois ans plus tard, ce spécialiste de Leibniz, bouleversé par le bombardement d'Hiroshima
en 1945, entreprend pourtant une carrière d'officier de marine, et il
sillonne l'Atlantique et la Méditerranée, et participe comme enseigne de
vaisseau à la réouverture du canal de Suez,
puis s'est tourné vers l'enseignement en 1958. Avec toujours la volonté
de s'affranchir des frontières des disciplines universitaires.
Ses cours d'histoire débutent "avec zéro étudiant",
mais peu à peu son auditoire s'étoffe. Et si ses premiers livres
passent inaperçus, la notoriété arrivera dans les années 1980, avec la
série intitulée "Hermès", "Les cinq sens", prix Médicis de l'essai en 1985, ou "Éléments d'histoire des sciences" (1989). L'académicien, était aussi professeur à l'université californienne de Stanford. C'est dans cette université californienne qu'en septembre 1981, un colloque sur "l'auto-organisation" avait été organisé, dont Michel Serres fut le conférencier vedette.
En 1990, il est élu à l'Académie française, où il est reçu l'année suivante sans la traditionnelle épée, "en signe de paix" en pleine Guerre du Golfe. Il devient dès lors une figure intellectuelle familière et touche un plus large public. Dans "Le contrat naturel" (1990), il propose de bâtir un nouveau droit pour réguler les rapports entre l'homme et la nature. Et "Le tiers-instruit" (1991), réflexion brillante sur l'éducation, l'impose comme un spécialiste de la question. Edith Cresson, Premier ministre, le charge de préparer "l'Université de France", qui doit délivrer un enseignement à distance des savoirs fondamentaux. Mais son rapport jugé "utopique" est accueilli fraîchement.
Son parcours le conduit à s'intéresser aussi bien aux "Origines de la géométrie" (1993) qu'à "La légende des anges" (1993) ou au créateur de Tintin, dont il fut l'ami pendant plus de vingt ans ("Hergé, mon ami", 2000). En 1996, il relevait que les moyens modernes de communication bouleverseront la nature même de l'enseignement. Michel Serres, dont l'éditeur était, depuis longtemps, une petite maison, Le Pommier,
a écrit au total quelque 80 ouvrages. Á un âge avancé, ce philosophe de
la révolution douce continuait à publier un ou plusieurs livres par an.
Michel Serres s'est particulièrement intéressé aux nouvelles technologies, et notamment dans un de ses derniers ouvrages, 'Petite poucette'. "C'était quand même un homme de 80 ans passés qui, à l'époque, avait tout compris d'internet", sourit encore Michel Polacco, "qui
était un défenseur de Wikipédia, l'encyclopédie en ligne alors qu'il
était lui-même académicien depuis 1990 et qu'il participait aux
définitions du dictionnaire".
Mais son principal succès populaire est arrivé deux décennies plus tard, en 2012, quand Petite Poucette
s'était vendu à 270 000 exemplaires. Rien avoir avec les contes de
fées, ce titre était un clin d'œil à la maestria avec laquelle certains
utilisent leurs pouces pour taper sur leurs portables. Partant du
postulat qu'un nouvel humain est né, le philosophe y analyse les
mutations politiques, sociales et cognitives qui accompagnent cette "nouvelle révolution". "En
regard de ce que j'ai vécu durant le premier tiers de ma vie, nous
vivons des temps de paix. J'oserai même dire que l'Europe occidentale
vit une époque paradisiaque", malgré le terrorisme, a-t-il assuré à l'occasion de la sortie de "Darwin, Bonaparte et le Samaritain, une philosophie de l'histoire" (2016), essai très libre entre réflexion et poésie, à rebours du catastrophisme ambiant. Du pur Michel Serres. Son dernier livre, Morales espiègles, était paru en février.
Le philosophe Michel Serres,
figure intellectuelle familière du grand public, est donc décédé samedi
1er juin 2019 à l'âge de 88 ans, annonce sa maison d'édition, Le Pommier. "Il est mort très paisiblement à 19h entouré de sa famille", déclare son éditrice Sophie Bancquart.
Pour aller plus loin, je vous conseille ces lectures qui m'ont beaucoup aidé :
Merci !
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