La France devra-t-elle rembourser des milliards de dollars en réparations à Haïti pour couvrir une dette que les personnes autrefois asservies ont été contraintes de payer en échange de la reconnaissance de l’indépendance de l’île ? C’est ce qu’a déclaré jeudi 18 avril une coalition d’environ 20 organisations non-gouvernementales à Genève pour le Forum permanent des Nations Unies pour les personnes d’ascendance africaine (PFPAD), qui cherche à mettre en place une nouvelle commission indépendante pour superviser la restitution de la dette, qu’ils qualifient de rançon.
«Je me joins à vos demandes d’action immédiate», a déclaré vendredi 19 avril Volker Turk, Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, dans un discours prononcé lors de la clôture du PFPAD, qui s’est déroulé sur quatre jours. «En matière de réparations, nous devons enfin entrer dans une nouvelle ère. Les gouvernements doivent faire preuve d’un véritable leadership en s’engageant sincèrement à passer rapidement de la parole aux actes afin de réparer les torts du passé», a encore estimé Volker Turk, qui soutient le Forum mais n’est pas l’un de ses 10 membres.
L’île des Caraïbes est devenue la première de la région à obtenir son indépendance en 1804 après une révolte des esclaves. Cependant, la France a par la suite imposé de sévères réparations pour les revenus perdus. Après deux décennies à tenter de «récupérer» l’ancienne colonie «la plus riche du monde», Charles X, tout juste installé sur le trône, tranche. Dans une ordonnance en date du 17 avril 1825, il «concède» au jeune Etat son indépendance contre une indemnité de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons et l’assurance d’échanges commerciaux privilégiés en faveur de la France. Cette dette ne fut totalement remboursée qu’en 1947.
Le montant payé à la France est aujourd’hui contesté par les historiens, bien que le New York Times ait estimé la perte d’Haïti à 21 milliards de dollars. Les partisans du remboursement de cette dette affirment que le montant est bien plus élevé. «C’est 21 milliards de dollars plus 200 ans d’intérêts dont la France a bénéficié, donc nous parlons plutôt de 150 milliards, 200 milliards ou plus», a déclaré Jemima Pierre, professeure de Course globale à l’Université de Colombie-Britannique.
De nombreux Haïtiens considèrent cette dette comme responsable des maux qui touchent l’île depuis deux siècles. Ils affirment que cet argent devrait être affecté à des travaux publics en Haïti, où un conseil de transition a été installé ce mois-ci dans le but de restaurer la sécurité après une période de violence dévastatrice causée par des groupes armés. «Il est temps que la France reconnaisse cela et que nous avancions», a déclaré à Reuters Monique Clesca, une militante de la société civile haïtienne qui coordonne les efforts.
Le ministère français des Affaires étrangères n’a pas répondu pour le moment. En 2010, le groupe de soutien au Comité pour le remboursement immédiat des milliards envolés d’Haïti demandait à Nicolas Sarkozy, dans une tribune publiée dans Libération, de rendre à Haïti «son argent extorqué». «Considérant les besoins financiers criants de ce pays dévasté par le terrible séisme du 12 janvier [2010], nous vous pressons donc, monsieur le Président, de restituer à Haïti, la première république noire de l’histoire, la dette historique de son indépendance», écrivaient les signataires. Le même Nicolas Sarkozy avait évoqué de lui-même quelques mois plus tôt une présence française sur l’île qui «n’a pas laissé que de bons souvenirs.» Avant d’ajouter : «Même si je n’ai pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j’en suis quand même responsable au nom de la France.» En 2015, François Hollande avait, lui, parlé d’une «dette morale» envers Haïti.
Mise à jour lundi 22 avril à 8 h 50 avec les propos de Volker Turk en clôture du PFPAD.
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