De même que la visite d’un pays peut démarrer par n’importe quel point de sa frontière, le tour de la psychologie fondamentale que je vous propose n’a pas de point de départ obligé. Il a seulement des « monuments » incontournables, car tous les chemins y mènent, c’est pourquoi on peut même prendre celui de l’humour !
Voici donc (dans une version révisée par mes soins) une gentille blague que je viens de lire sur Facebook et qui m'a incité à écrire cet article :
« C’est l’automne, et les Indiens dans la réserve demandent à leur nouveau chef si l’hiver sera froid. Ayant reçu une éducation moderne, ce dernier ne connaît pas les secrets des anciens et ne sait pas dire si l’hiver sera doux ou rigoureux. Par précaution, il recommande simplement à la tribu de ramasser du bois et de se tenir prête pour un hiver froid. Un peu plus tard il décide d’appeler la météo pour savoir s’ils prévoient effectivement un hiver froid.
Le météorologue hésite, embarrassé par le fait que sa science ne lui permet pas de prévoir avec sûreté au-delà d’une ou deux semaines. Prudent, il affirme « oui, il fera froid cet hiver » comme il dirait que la pluie va mouiller. Le chef prend cette réponse au pied de la lettre et recommande à sa tribu de stocker plus de bois encore.
Quelque temps plus tard, le chef reprend contact avec le service de météorologie : « avez-vous confirmation que l’hiver sera froid ? » demande-t-il. « Oui, oui », répondit le météorologue, « l’hiver s’annonce extrêmement froid ! » Le chef recommande alors aux membres de sa tribu de ramasser tout le bois qu’ils peuvent trouver.
Après quelques semaines, le chef appelle à nouveau le météorologue et demande comment l’hiver se présente selon lui. Ce dernier lui répond qu’on était sûr à présent que ce sera un des hivers les plus froids jamais enregistrés ! « Vraiment ? » dit le chef, « comment pouvez-vous en être si sûrs ? ». « Oh, il y a un signe qui ne trompe pas » répond le météorologue : « les Indiens ramassent du bois comme des dingues ! »
Cette blague offre une belle illustration de la pensée moutonnière qui a constamment prévalu dans les affaires humaines en raison d’une tendance mimétique fondamentale qu’après Rabelais on a appelé le panurgisme. Les adultes pensent que les enfants sont seuls concernés sans voir qu’en évitant soigneusement d'être vu en train d'imiter ils font exactement comme tout le monde — car tout le monde sait très bien que c’est la honte d’être reconnu comme un mouton ou un perroquet.
Tout le monde est concerné parce que notre propension à l’imitation vient de nos habitudes et toute personne peut être vue comme un ensemble, un écosystème d'habitudes. Or, une habitude, par définition, nous porte à reproduire nos actions passées. De sorte qu’une habitude est, au fond, une imitation de soi. Par conséquent, lorsqu’un de nos semblables fait quelque chose ressemblant à ce que l’on a soi-même l’habitude d’accomplir, on se trouve automatiquement porté à l’imiter pour la simple raison qu’on se trouve porté à reproduire... nos habitudes.
Si dans la rue vous voyez un petit groupe de personne regarder en haut de l’immeuble en face, votre regard sera porté à faire de même car l’acte consistant à regarder est une habitude complètement automatisée de sorte que nous suivons le regard des autres sans même y réfléchir. Si au spectacle, la foule rit, vous rirez pareillement, même si vous n’avez pas complètement compris la blague. Si la foule a peur, vous aurez peur. Si la foule se déchaîne contre quelque méchant de circonstance, vous serez porté à faire de même et il vous faudra toute votre volonté pour vous arracher à la séduction mimétique de l’appartenance au groupe des "gentils" ou des "bons", ceux qui "ont raison". Vous vous éloignerez alors de la foule à vos risques et périls car celui qui n’est pas avec la foule est contre la foule. Disons plutôt qu’il a généralement la foule contre lui.
Quoi qu’il en soit, il clair que la tendance à l’imitation ne concerne pas seulement les comportements mais aussi le mental. L’habitude est une unité psychologique qui réunit le comportemental et le mental : elle se manifeste donc par un acte que l’on accomplit, parfois machinalement, mais toujours pour de bonnes raisons mentales liées aux affects, aux intentions ou aux représentations. Parfois, ce sont les affects, les intentions ou les représentations des autres qui nous meuvent. Nous sommes alors dans l’imitation. Cela peut nous aider (à comprendre, à désirer, à agir, etc.) comme cela peut nous égarer mais personne ne peut prétendre y échapper complètement.
Ma blague débouche donc sur un constat assez rude pour le narcissisme : nous avons tendance à nous suivre les uns les autres dans nos croyances. A tout propos nous nous imitons réciproquement comme le chef indien et le météorologue ou comme deux personnes qui marchent ensemble et se suivent en pensant que l'autre sait où il va. C'est tellement pratique de se laisser guider, n'est-ce pas ?
Encore faut-il trouver un bon guide. En Italie on appelle ça un "duce" ou un "conducatore". En Allemagne, on parle de "Führer"...
Voilà où nous mène l'automatisme mental inhérent à l'habitude. C'est rude mais vous n’êtes pas ici pour que je vous raconte des histoires n’est-ce pas ? ;-)
Alors je vous dis à demain pour la suite de ce voyage au pays des merveilles de la psychologie fondamentale.
Source : https://psychologie-fondamentale.blogspot.com/2022/01/du-panurgisme-intellectuel.html
1 commentaire:
J'apprécie sincèrement d'avoir accès à un blog personnel, sans avoir besoin de chercher tes textes dans le courrier des lecteurs ou sur des forums/ronkozé où il m'est devenu difficile de contribuer.
Cet article illustre de façon humoristique et psychologique le phénomène gigantesque de sidération et de panurgisme auquel nous assistons depuis deux années. Les gens, y compris et surtout les plus instruits (formés/formatés) deviennent incapables de faire preuve de sens critique.
Je n'aurais jamais pensé que cela puisse atteindre une telle ampleur. Quelle leçon !
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