"Un drame se déroule en Palestine, une guerre fratricide dont on ne peut tous être qu’accablés, sans le moindre optimisme, avec seulement une folle espérance. Celle de retrouver un sens à une histoire humaine qui en paraît dénuée. Car, justement, ce qui était folie pour les Grecs et scandale pour les juifs (1 Corinthiens 1:23), à savoir la mort du Messie sur une croix, devient à tout à coup rationnel, presque scientifique. Deux mille ans après la Passion sa signification devient accessible à tous : l’ère des victimes touche à sa fin. Le peuple « victime éternelle » de l’Histoire est en train de génocider son frère aîné, le peuple palestinien, faisant ainsi apparaître aux yeux de tous que la posture victimaire est fondamentalement diabolique puisqu’elle fait fatalement entrer dans le cycle infernal de la vengeance. Le Christ, alors qu’il était (seul) parfaitement innocent, a pardonné à ses persécuteurs. Le Christ n’était pas victime, il était hostie. Ce que le génocide palestinien nous fait comprendre c’est que l’innocence victimaire est un mensonge destiné à justifier une violence que rien ne peut justifier. Cette tentation de l’innocence chacun y succombe au quotidien et se rend ainsi responsable des turpitudes du genre humain. C’est en chacun de nous que se déroule le combat entre le bien et le mal. Et maintenant nous savons : se prétendre innocent pour mieux persécuter est un mensonge ! Désormais, à chaque fois que nous nous retrouverons face à cette tentation — chaque fois que nous verserons dans ces "petits" travers comme se vexer, s'irriter, éprouver un sentiment d'injustice, se mettre en colère, etc., toutes choses qui nous font entrer dans une forme de ressentiment et nous disposent au conflit de sorte que la paix s’est évanouie avant même que nous ayons dit un seul mot — nous ne pourrons que nous efforcer d’imiter le Christ pour répondre par un « vade retro satanas » à l’esprit vengeur qui nous possède ! La tâche qui nous incombe est à présent de comprendre pleinement ce que veut dire suivre le Christ afin d'être des artisans de paix et réussir à nous sortir de la contagion de la violence victimaire qui, actuellement, fait rage tout autour de nous."
LUC-LAURENT SALVADOR
Le mythe de l’innocence victimaire
Depuis l’aube des temps, le sacrifice est source du sacré qui nous rassemble et nous met en paix en dépit de la violence inhérente aux rapports humains. Une révolution a eu lieu il y a deux mille ans mais un autel se trouve encore au cœur même des églises. Le sacré et la paix sont toujours présents en chacune d’elles alors qu’autour, dans le monde sécularisé qui idolâtre l’argent, la tempête fait rage et la violence monte irrésistiblement. La modernité s’imagine que l’Eglise est à présent étrangère au monde, faute de comprendre qu’elle en constitue l’axe, faute de comprendre la signification du sacrifice, faute de comprendre ces « choses cachées depuis la fondation du monde » auxquelles René Girard a consacré sa vie. Son anthropologie fondamentale a, en effet, démontré l’origine sacrificielle et donc religieuse de la culture qui a fait émerger l’Homme de l’animalité. Ainsi, c’est par un constant effort de réconciliation accompli dans le sacrifice sanglant d’une victime, animale ou humaine, que les premières sociétés humaines ont assuré leur stabilité et leur survie depuis la nuit des temps, jusqu’à ce que la Révélation vienne enrailler ce mécanisme de « bouc émissaire » et nous mette en demeure d’apprendre à nous réconcilier de manière non violente. Car désormais la violence n’a plus d’exutoire. Elle s’accumule, déborde, explose. De fait, deux mille plus tard, stabilité et survie semblent de moins en moins assurées. La violence est partout, dans les couples, les familles, les villes, les institutions, les nations — mais aussi dans les cœurs, pourrait-on dire, au vu du nombre de suicide qu’engendrent nos sociétés du mal-être. Je ne parle même pas de la violence à l’international, elle est dans tous les esprits, avec cette guerre en Ukraine vers laquelle l’Europe nous amène, mais aussi et surtout avec cette abomination de la désolation qui a actuellement cours en Palestine. Chrétiens ou musulmans, ses habitants vont probablement boire le calice jusqu’à la lie et l’idée que leur calvaire touche à sa fin n’est pas de l’optimisme. Pourtant dans cette nuit noire, lors même que, il faut y insister, il n’y a plus d’espoir, la Révélation continue de produire ses effets et vient boucler la boucle au lieu même où elle s’est accomplie. Incarné par la Passion, le sacrifice de soi que constitue le renoncement à la violence était folie pour les Grecs et scandale pour les Juifs mais il devient sous nos yeux rationnel, scientifique, proprement mathématique car le dernier obstacle à la paix apparaît sous nos yeux. C’est le mensonge des mensonges, le dernier mythe dans lequel nous nous entretenons volontiers tous autant que nous sommes : celui de notre propre innocence, celui qui, par avance, rend légitime la réplique violente à toute violence qu’on pourrait nous faire. Oui, oui, bien sûr, nous savons reconnaître que nous ne sommes pas des saints mais au moment où la moindre violence nous est faite, tout se passe comme si nous l’étions. Nous nous sentons alors innocente victime en droit de nous faire justice par tous les moyens laissés à notre choix. Face au monstre qui nous fait violence, ce n’est jamais que de la légitime défense. Elever la voix, crier, engueuler, frapper sont des violences d’une affreuse banalité qui pourrissent le quotidien des familles, comme de tous les groupes humains. Elles sont accomplies par des « victimes » convaincues de leur innocence puisque, c’est tellement évident : c’est l’autre qui vient d’aller à la faute, vous êtes témoins ! Que ce soit par ses paroles, ses silences, ses regards, ses gestes, ses mimiques, ses refus, son inattention, son attention, sa présence, sa distance... il/elle m’a manqué de respect, il/elle m’a agressé, etc., j’ai bien le droit de m’en plaindre et de réagir en conséquence. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais su renoncer à ce réflexe atavique autant que diabolique d’innocentement de soi par la mise en cause de l’autre. Nous le voyons chez les autres mais jamais chez nous. Pourtant, lorsque chacun aura vu et compris que la « victime éternelle », « LE peuple victime de l’Histoire » s’autorise le massacre des Palestiniens parce qu’il prétend, justement, occuper cette position de victime innocente, chacun voudra, pour toujours, se tenir à l’écart d’une telle posture. Chacun saura alors devoir renoncer définitivement à la colère, infantile par nature, pour accepter, enfin, d’être un adulte capable d’un authentique dialogue de réconciliation, celui qui toujours commence par la reconnaissance de ses propres responsabilités et la disposition à se pardonner mutuellement. C’est dorénavant tout ce qui nous reste pour « vivre en frères plutôt que de mourir comme des idiots ». Alors ouvrons les yeux sur cette vérité, ouvrons nos cœurs et préparons-nous à œuvrer à une réconciliation dont le monde a terriblement besoin.
Ceux qui souhaitent apprendre, mieux comprendre et dialoguer sur ce sujet sont bienvenus à la conférence qui aura lieu ce mercredi 6 mars à l’église de Saint Gilles-les-Bains de 18h à 20h.
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