LES REBELLES DE LA SCIENCE - Sur la base des équations de la relativité générale, un prêtre belge soutient l'idée que l'univers est en expansion et a eu un commencement. Contre Einstein lui-même.
Par Yann Verdo
Dieu, s'il existe, se sera finalement montré miséricordieux envers l'abbé Lemaître, ce prêtre et scientifique belge dont la théorie de l'atome primitif a préfiguré celle du big bang. En ne le rappelant à lui qu'en 1966, il lui aura permis de vivre assez longtemps pour apprendre, in extremis, qu'il avait eu raison contre la plupart de ses confrères cosmologistes n'ayant pas osé croire en un commencement de l'univers.
L'année précédant sa mort à Louvain à l'âge de soixante-douze ans, deux jeunes physiciens américains des Bell Labs, Arno Penzias et Robert Wilson, avaient en effet annoncé avoir détecté par hasard dans leur radiomètre un signal indubitablement caractéristique du fond diffus cosmologique, ce fameux « rayonnement fossile » encore considéré aujourd'hui comme la meilleure preuve en faveur de la théorie du big bang. Une belle revanche pour l'homme d'Eglise rabroué par Einstein et oublié du Nobel, alors que ses travaux sur l'origine de l'univers auraient largement mérité qu'il reçoive ce prix. Lequel sera finalement décerné, douze ans après la mort de Lemaître, à Penzias et Wilson…
Nous sommes bien d'accord, Monsieur l'astrophysicien : ce qu'il y a après le big bang, c'est pour vous ; et ce qu'il y a avant, c'est pour nous…
Comme l'écrit avec finesse Laurent Lemire dans « Ces savants qui ont eu raison trop tôt » (Tallandier, 2013), « s'il n'avait pas été prêtre, on aurait donné raison plus vite à Georges Lemaître. Mais sans doute aussi fallait-il qu'il fût prêtre pour songer à un commencement du monde. » Dès qu'il s'agit de cosmologie, les rapports entre science et religion se tendent dangereusement. On connaît l'anecdote - d'ailleurs probablement apocryphe - rapportée par le philosophe des sciences Etienne Klein dans son « Discours sur l'origine de l'univers » (Flammarion, 2010) : recevant en 1981 Stephen Hawking à l'Académie pontificale des sciences, le pape Jean-Paul II lui aurait déclaré : « Nous sommes bien d'accord, monsieur l'astrophysicien : ce qu'il y a après le big bang, c'est pour vous ; et ce qu'il y a avant, c'est pour nous… » Une sorte de Yalta (méta-)physique qui aura été au cœur de la vie et de la pensée de l'abbé.
Décalage vers le rouge
Avant d'entendre l'appel du Seigneur, le jeune Georges Lemaître a cédé aux sirènes des mathématiques, discipline pour laquelle il était très doué et qu'il choisit comme objet de la première de ses deux thèses. Bosse des maths qui lui permet de se plonger dans les calculs plutôt ardus de la relativité générale, théorie à la base de cette science alors naissante qu'est la cosmologie. Après un voyage d'études de deux ans en Angleterre et aux États-Unis, il revient en Belgique comme chargé de cours à l'Université catholique de Louvain et y soutient sa seconde thèse, en physique cette fois.
Puis, en 1927, il publie dans les « Annales de la Société scientifique de Bruxelles » un article dans lequel il s'oppose frontalement à cette sommité internationale qu'est devenu Einstein : alors que celui-ci reste obstinément accroché à l'idée d'un univers immuable et statique, le jeune prêtre y suggère au contraire l'idée, calculs de la relativité générale à l'appui, que celui-ci pourrait être en expansion. « Vos calculs sont corrects, mais votre physique est abominable », lui lance alors Einstein.
Abominable ? Il faut croire qu'elle ne l'était pas tant que cela, puisque deux ans plus tard les observations de l'astronome américain Edwin Hubble vont lui donner raison contre le propre père de la relativité générale : le décalage vers le rouge de leur spectre lumineux montre que les galaxies s'éloignent les unes des autres à une vitesse proportionnelle à leur distance, ce qui confirme avec éclat l'idée d'une expansion de l'univers telle que proposée par le prêtre belge.
C'est alors que celui-ci a son intuition la plus simple, la plus géniale aussi. Si l'univers enfle et s'étend dans toutes les directions, cela signifie, en déroulant le film des événements à l'envers, que toute la masse de matière qu'il contient a forcément dû se trouver, en un très lointain passé, comprimée aux dimensions d'un atome. Cet « atome primitif », dont Lemaître propose alors le modèle, correspond à ce que nous appelons aujourd'hui le « big bang », mots lancés par dérision le 28 mars 1949 sur les ondes de la BBC par l'astrophysicien britannique Fred Hoyle, qui était resté comme Einstein accroché à l'idée d'un univers stationnaire. L'expression fera finalement florès, reléguant dans l'ombre le nom de cet étrange abbé qui en avait conçu, le premier, la monstrueuse idée.
Yann Verdo
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