samedi 5 août 2017

Des républiques villageoises aux associations de quartier. Généalogie des dispositifs participatifs indiens

 
Si l’on définit la participation comme un mode d’association des citoyens à la prise de décision publique non médiée par des représentants élus, alors deux types de dispositifs peuvent être qualifiés de participatifs dans l’Inde contemporaine. Le premier est la gram sabha (assemblée du village) qui doit réunir, au moins deux fois par an, tous les adultes du village pour donner son avis sur diverses décisions que doit prendre le gram panchayat (conseil du village)  [1] composé de représentants élus. Le deuxième rassemble des programmes de concertation, au sujet des services urbains, entre associations de quartier et administration locale, dont l’exemple le plus connu est le programme Bhagidari (« partenariat ») à Delhi [2] Ces deux types de dispositifs ont pour objectifs la délibération des citoyens autour de certains types d’action publique, la consultation des citoyens par les instances en charge de la mise en œuvre de cette action et la surveillance de ces instances par les citoyens. Ils sont caractérisés par leur nature locale, de par leur objet, leur mode de fonctionnement et les populations concernées. Le niveau d’institutionnalisation de ces deux types de dispositifs est toutefois différent : la gram sabha fait partie de la politique de décentralisation adoptée (par deux amendements à la Constitution) en 1992 et mise en œuvre par les différents États indiens à partir de 1994 ; alors que le programme Bhagidari a été lancé dans la ville-État de Delhi en 2000 par la Ministre-en-chef, Sheila Dixit, et reste étroitement associé à cette femme politique [3] Mais si la mise en œuvre de ces dispositifs est relativement récente, l’idée d’une démocratie locale permettant la participation directe des citoyens à la prise de décision est, elle, beaucoup plus ancienne. La première partie de cet article retracera l’itinéraire de cette idée portée par différents leaders et partis politiques, du Mahatma Gandhi (dans les années 1930) à Rajiv Gandhi (dans les années 1990). La deuxième partie analysera les fluctuations, au cours de cette histoire, du contenu de cette idée de participation et notamment son va-et-vient entre une interprétation « politique » et une interprétation « apolitique ». Enfin, la troisième partie décrira la synthèse opérée entre ces deux interprétations dans les années 1990, alors que l’idée d’une forme directe de démocratie locale est enfin mise en œuvre dans les villages, mais aussi dans les villes.

ITINÉRAIRE POLITIQUE DE L’ASSEMBLÉE VILLAGEOISE

L’idée d’une forme directe de démocratie locale se décline essentiellement, jusqu’à la fin des années 1990, sur le mode rural [4] et s’incarne dans l’assemblée villageoise. L’histoire politique de cette institution, pour s’en tenir à l’Inde du XXe siècle, commence avec Mohandas Karamchand Gandhi qui prend dans les années 1920 la tête du mouvement pour l’indépendance, mené par le parti du Congrès. Celui qu’on appellera bientôt le Mahatma (« la grande âme ») invente une stratégie politique destinée non seulement à libérer l’Inde du colonisateur britannique, mais aussi à préparer la construction d’une Inde nouvelle, plus prospère et plus juste. Dans cette perspective, Gandhi imagine un système politique fondé, à la fois moralement et pratiquement, sur les centaines de milliers de villages indiens. Il s’appuie pour cela sur les écrits des Orientalistes relatifs au système politique de l’Inde ancienne (par exemple Maine, 1890 ; Baden-Powell, 1899), qui font état de l’existence de « républiques villageoises »  [5], et propose de restaurer ce qui apparaît comme un âge d’or politique, en construisant le nouveau système politique sur une myriade de communautés villageoises matériellement auto-suffisantes et fonctionnant selon le principe de la recherche du consensus.

Ce projet rencontre l’opposition très ferme de B. R. Ambedkar, leader de l’émancipation des intouchables et architecte en chef de la Constitution : à la vision idyllique du Mahatma, Ambedkar oppose la réalité de l’Inde rurale pour justifier son refus d’inclure dans la Constitution une clause relative aux conseils de village : « Je tiens que ces républiques villageoises ont été la ruine de l’Inde [6]. Je suis donc surpris que ceux qui condamnent le provincialisme et le communalisme [7] s’avancent comme les champions du village. Qu’est-ce que le village sinon le cloaque du localisme, le repaire de l’ignorance, de l’étroitesse d’esprit et du communalisme ? »  [8]

Malgré les nombreuses voix qui s’élèvent alors contre cette position, la Constitution indienne, promulguée en 1950, ne comportera aucune clause relative au gouvernement local, sinon l’article 40 (à valeur directive uniquement) déclarant que « chaque État prendra les mesures adéquates pour organiser des panchayat de village et les investira des pouvoirs et de l’autorité nécessaires pour leur permettre de fonctionner comme des unités d’auto-gouvernement ».

En 1957, un comité placé sous la houlette de Balwantrai Mehta, un fervent gandhien, est chargé d’évaluer les raisons de l’inefficacité des programmes de développement locaux mis en place après l’indépendance. Le rapport du Comité introduit le concept de Panchayati Raj (« gouvernement des panchayat », une expression due à Gandhi) et recommande la mise en place d’une structure pyramidale de conseils élus à deux ou trois niveaux (village, canton, district). En 1959, tous les États sont dotés d’une loi relative aux panchayat, mais dans la pratique, les résistances de l’administration et des élus régionaux à un transfert réel de pouvoir vers le niveau local, facilitées par un cadre législatif qui autorise l’État régional à dissoudre les conseils locaux ou à suspendre indéfiniment l’organisation des élections, aboutissent à un déclin rapide du gouvernement local, partout sauf au Maharashtra et au Gujarat.

De fait, les deux premières décennies qui suivent l’indépendance (en 1947) sont marquées par les choix politiques de Nehru (qui, tout en étant très proche de Gandhi, a une vision diamétralement opposée du chemin que doit emprunter l’Inde pour son développement), puis de sa fille, Indira Gandhi. Alors que Gandhi préconisait un développement économique fondé sur l’agriculture et l’artisanat rural, Nehru lance l’Inde dans la voie d’une industrialisation pilotée par l’État [9]. Alors que Gandhi préconisait une architecture institutionnelle accordant une place majeure aux villages et à leurs conseils, l’exercice du pouvoir d’Indira Gandhi, qui devient Premier ministre en 1966, est caractérisé par une centralisation croissante des processus décisionnels.

La vision gandhienne d’une démocratie fondée sur les villages perdure pourtant bien après la mort de Gandhi en 1948, mais les figures qui l’entretiennent ont quitté le Congrès. Jaya Prakash Narayan, dit « J. P. », est la plus importante de ces figures. Associé à la mouvance socialiste au sein du Congrès, J. P. devient le fidèle disciple de Gandhi. Après l’indépendance, il est de plus en plus critique vis-à-vis de la politique menée par Nehru et cultive une vision alternative (considérée comme utopique par ses contempteurs) : celle d’une démocratie qu’il qualifie de « communitarienne », et qu’il présente ainsi dans un manifeste publié en 1959 : « Si nous voulons que nos institutions politiques aient des bases solides, si elle doivent se nourrir de la terre indienne, et en retour, soutenir, revigorer et fortifier tout le tissu social indien, elles doivent être liées au génie social de l’Inde, et leur texture doit être tissée à nouveau avec une vie communautaire organiquement auto-déterminée, auto-développée, dans laquelle les occupations, les professions et les fonctions sont intégrées dans la communauté » (Narayan, 1959).

Cette vision se radicalise dans les années 1970, tandis que les tendances autoritaires d’Indira Gandhi deviennent plus évidentes. En 1974, alors que les mouvements de protestation liés à la crise économique se multiplient dans tout le pays, J. P. sort de sa retraite politique pour prendre la direction du mouvement étudiant qui agite le Bihar et appelle à la « révolution totale » : il propose rien de moins que de refonder la démocratie indienne à travers une architecture politique pyramidale composée de conseils élus à différents niveaux, avec des élections au niveau du village, le seul niveau de pratique du suffrage universel ; dans ce schéma, la gram sabha est l’assemblée souveraine devant laquelle le panchayat est responsable. J. P. voyage dans tout le pays et mobilise les foules contre la corruption qui gangrène, selon lui, le gouvernement en place. En 1975, Madame Gandhi, menacée d’inéligibilité suite à un procès pour fraude électorale, réagit brutalement au mouvement de désobéissance civile qui prend forme sous les incantations de J. P. : elle fait arrêter tous les leaders de l’opposition, muselle la presse et déclare l’état d’urgence, qui durera deux ans. Cet épisode reste dans les mémoires comme le plus noir de l’Inde indépendante : il est marqué par la suppression des libertés civiques, mais aussi par une grande violence étatique contre les pauvres, notamment à travers une politique de stérilisations massives et une politique d’éradication des bidonvilles au prix de déplacements forcés. En 1977, Indira Gandhi, pensant être réélue, met fin à l’état d’urgence. Le Congrès perd alors, pour la première fois, les élections au niveau de l’Union indienne et c’est un gouvernement de coalition, dirigée par un parti hétéroclite, le Janata Party, et formé des tous les opposants à Indira Gandhi, de la droite hindoue à la gauche communiste, qui arrive aux affaires.

J. P. Narayan est le maître à penser du gouvernement Janata. L’état d’urgence faisant figure de repoussoir, les années Janata sont marquées par la tentative de développer le secteur associatif [10] et le pouvoir des juges afin de faire contrepoids à l’exécutif. Le gouvernement exhorte alors littéralement les citoyens à se mobiliser : « Les ressources importantes [des programmes publics de développement rural] ne peuvent avoir l’effet d’égalisation désiré que dans la mesure où la pression organisée des bénéficiaires s’oppose à la faiblesse de l’administration et à l’opposition des intérêts cachés »  [11], est-il écrit dans le cinquième Plan quinquennal.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle réflexion est entamée sur la décentralisation, avec la mise en place par le gouvernement Janata, en 1977, d’un comité dirigé par Ashoka Mehta (un ancien compagnon de cellule de J. P. durant le mouvement pour l’indépendance). Le rapport Ashoka Mehta, remis en 1978, fera date : il préconise une structure représentative à trois niveaux mais aussi, en parallèle, une gram sabha à vocation consultative. Ces recommandations se retrouveront pour l’essentiel dans la politique de décentralisation adoptée en 1992. Mais dès les années 1980, quelques gouvernements régionaux s’appuient sur le rapport Ashoka Mehta pour lancer des programmes de décentralisation innovants. C’est notamment le cas du Bengale occidental, dirigé à partir de 1977 par le principal parti communiste indien, qui considère les conseils locaux comme un moyen de consolider son assise dans les campagnes.

Au niveau national, le gouvernement Janata est rapidement miné par ses contradictions internes et se révèle une coalition de circonstance incapable de dépasser son caractère éminemment hétéroclite. Les élections de 1980 ramènent donc Indira Gandhi au pouvoir. Rajiv Gandhi, devenu Premier ministre en 1984, suite à l’assassinat de sa mère, reprend l’idée selon laquelle « les panchayat sont le point nodal du développement rural » (Lieten, 1996, p. 2700), et entreprend de conférer un statut nouveau à la démocratie locale, dans le cadre de son projet de modernisation de l’État. (Les calculs électoraux ne sont pas étrangers à ce positionnement : il s’agit aussi, pour un Congrès en perte de vitesse, d’aller mobiliser les électeurs à la base, et si possible de contourner les gouvernements des États, de plus en plus nombreux à quitter le giron congressiste). En 1989, Rajiv Gandhi introduit donc un projet de loi de décentralisation, qui deviendra une réalité quatre ans plus tard.

Ainsi, l’idée de démocratie locale directe est inséparable, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, d’une vision alternative de la démocratie indienne, vision toujours présente (car elle est associée au père fondateur de l’Inde indépendante, Gandhi), mais que les gouvernements successifs ne cherchent pas à mettre en œuvre – à l’exception, on l’a vu, du gouvernement Janata. Cette vision se radicalise en même temps qu’elle s’éloigne du Congrès, parti dominant pendant les deux décennies qui suivent l’indépendance, pour atteindre le point critique de 1977, où elle s’incarne dans la proposition de « révolution totale » de J. P. Les premiers gouvernements à mettre en œuvre une politique de décentralisation seront menés par les partis liés au gouvernement Janata : Janata Dal au Karnataka, parti communiste au Bengale occidental et au Kérala – mais dans une version qui privilégie la représentation par rapport à la participation directe. La politique de décentralisation de 1992, qui accorde un statut constitutionnel au gouvernement local, et en particulier à la gram sabha, marque le retour de cette idée dans le giron congressiste.

AMBIGUÏTÉ DE LA PARTICIPATION, ENTRE POLITIQUE ET DÉVELOPPEMENT

Le contenu de la notion de participation fluctue amplement au cours de la période évoquée plus haut. La participation au sens strict s’incarne dans l’assemblée villageoise, une idée radicale (car pour Gandhi, J. P. et leurs disciples, la gram sabha doit constituer le socle de la démocratie indienne) qui peine à se traduire concrètement. La gram sabha fait bien partie des politiques de décentralisation mises en œuvre par la plupart des États dans les années 1960 (elle existe dès 1947 au Bihar et en Uttar Pradesh), mais elle ne fonctionne vraiment nulle part (Kumar, 2006, p. 205). En 1978, on l’a vu, le Comité Ashoka Mehta définit la gram sabha comme une institution parallèle aux conseils élus, qui sont la véritable colonne vertébrale du schéma décentralisateur préconisé ; la gram sabha est alors conçue comme un appendice de la démocratie locale. Enfin, les débats parlementaires entourant le projet de politique de décentralisation à la fin des années 1980 font référence à la vision gandhienne, et présentent la gram sabha comme une institution majeure du gouvernement local. Mais la gram sabha mise en œuvre à partir de 1994 n’a qu’un rôle consultatif.

Ce glissement de statut de la gram sabha est étroitement lié à l’évolution de la vision dominante du rôle des institutions politiques locales : les assemblées et conseils élus au niveau local ont-ils d’abord un rôle politique ou un rôle gestionnaire ? En d’autres termes, sont-ils associés à la prise de décision ou seulement à la mise en œuvre de décisions adoptées aux échelons supérieurs ?

Ces questions universelles sont, dans le contexte indien, indissociables de la question du rôle des partis politiques au niveau local. Pour Gandhi, les communautés villageoises pouvaient s’autogouverner dans l’harmonie, à travers la recherche du consensus, atteint par des discussions – on dirait aujourd’hui des délibérations. Dans cette perspective, les partis politiques, conçus comme se nourrissant des oppositions, pour ne pas dire du conflit, entre les électeurs, étaient considérés comme une nuisance, et Gandhi affirmait qu’ils n’avaient pas leur place dans la démocratie locale [12].

Cette idée se retrouve en 1957 dans le rapport du comité Balwantrai Mehta, dont l’objectif premier est de proposer des moyens d’amener la population locale à participer plus activement aux programmes de développement. Le rapport soutient que les partis politiques n’ont pas leur place dans le panchayati raj mais il ne conserve, ce faisant, que l’apparence d’une inspiration gandhienne : car Gandhi voulait écarter les partis pour les remplacer par un mode alternatif, plus délibératif et moins antagonistique, de prise de décision ; il s’agissait de régénérer la démocratie en la transformant à la base. Le rapport Balwantrai Mehta, quant à lui, ignore la question du rôle des villages dans la démocratie indienne et recommande une décentralisation apolitique, c’est-à-dire une nouvelle structure institutionnelle exclusivement destinée à faciliter la mise en œuvre des programmes de développement lancés par l’État (central ou régional).

Vingt ans plus tard, alors que le gouvernement local paraît largement inefficient, le nouveau Comité chargé d’émettre des recommandations à cet égard prend le contre-pied du rapport Balwantrai Mehta. Le rapport Ashoka Mehta recommande en effet de redéfinir les panchayat pour en faire des institutions politiques, plutôt que des agences de mise en œuvre des programmes de développement, et propose que les partis politiques participent aux élections locales – recommandation qui sera rapidement suivie d’effet dans les États dominés par le parti communiste (Bengale occidentale, puis Kérala), qui deviennent alors des modèles en matière de décentralisation. Mais la politique de décentralisation adoptée au niveau central en 1992 ne tranche pas complètement la question de la légitimité des partis politiques au niveau local et dans certains États, comme l’Orissa, ceux-ci demeurent officiellement exclus des élections locales – même si les candidats font toujours savoir aux électeurs où vont leurs préférences et d’où viennent leurs soutiens.

On peut donc distinguer, du rapport Balwantrai Mehta au rapport Ashoka Mehta puis à la politique de décentralisation de 1992, une évolution de la vision du rôle des assemblées et conseils élus au niveau local : d’un rôle apolitique, gestionnaire, de facilitation de la mise en œuvre de programmes de développement adoptés aux échelons supérieurs, à un rôle politique de mobilisation des citoyens autour des enjeux locaux. C’est ainsi que la gram sabha est présentée en 1992 comme la pierre de touche de la dimension démocratique du nouvel édifice institutionnel : la participation doit conférer une profondeur politique nouvelle au gouvernement local.

Or, la participation devient aussi, à la même époque, le mot d’ordre du secteur non gouvernemental. Les organisations non gouvernementales (ONG) se voient reconnaître par l’État indien, dès le début des années 1980, un rôle légitime dans la mise en œuvre des programmes de développement et elles se multiplient au fur et à mesure que l’État leur délègue partie ou totalité de certains programmes, notamment dans le secteur de la santé. Les organisations internationales d’aide au développement, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, encouragent fortement ce développement du secteur non gouvernemental, considéré comme une alternative à une bureaucratie notoirement inefficace, notamment du fait de la corruption qui y prévaut. Ces organisations internationales véhiculent une doctrine en matière de développement d’autant plus efficacement qu’elles sont une source de financement majeure pour de nombreux programmes. Or, le début des années 1990 voit l’irruption, dans cette doctrine, de l’idée que la participation des personnes concernées est indispensable à l’efficacité des programmes. Cette idée s’incarne dans des pratiques qui se généralisent très vite, telles que « l’évaluation participative rurale » (participatory rural appraisal) ou encore la formation de « comités d’usagers » (users committees).

Cette appropriation de l’idée de participation par le secteur non gouvernemental la dépouille de ses qualités politiques pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les ONG qui mettent en œuvre les programmes de développement (et notamment leur volet participatif) se définissent largement par leur nature apolitique : c’est souvent la condition sine qua non de leur financement par des organisations internationales, mais c’est aussi, pour les ONG qui se consacrent à la défense de certaines causes (advocacy groups) un gage de leur liberté d’opinion et d’expression. Ensuite, les programmes de développement sont caractérisés par le ciblage des populations concernées : au sein d’un village, seuls certains sont invités à (ou sommés de) participer. Enfin et surtout, l’objet comme les modalités de la participation sont imposés d’emblée : les membres d’un groupe d’usagers ne sont pas supposés discuter d’autres sujets que celui qui est au fondement de la formation du groupe (l’irrigation des terres du village, l’exploitation des ressources forestières locales, etc.), ni des autres moyens de faire valoir leurs préférences (manifestation, grève, etc.). En Inde comme dans beaucoup d’autres pays du Sud, le développement ressemble ainsi à une « machine anti-politique » (Ferguson, 1990).

Dans le cas indien, le fait que des dispositifs participatifs soient mis en œuvre au même moment dans le cadre de la politique de décentralisation et dans celui des programmes de développement conduits par le secteur non gouvernemental renforce le potentiel dépolitisant de ces programmes. James Manor dénonce les effets néfastes de cette confusion des genres en parlant, à propos de la généralisation des « comités d’usagers », d’une « deuxième vague de décentralisation » qui risque de saper les effets démocratisants de la première en « fragmentant » la participation (Manor, 2004).

LA SYNTHÈSE DES ANNÉES 1990-2000


Les deux dernières décennies sont marquées par trois grands tournants au regard des trajectoires décrites plus haut. Premièrement, on l’a dit, le parti du Congrès récupère l’idée de régénérer la démocratie en la consolidant au niveau local. La politique de décentralisation de 1992 est souvent qualifiée d’historique, parce qu’elle accorde un statut constitutionnel au gouvernement local, qui devient ainsi partie intégrante de la structure gouvernementale indienne. La décentralisation a pour objectif une plus grande efficacité de l’administration, mais aussi un approfondissement de la démocratie indienne : elle rend la représentation plus inclusive et « élargit l’entonnoir de la représentation », selon les termes de Rajiv Gandhi (Sivaramakrishnan, 2000, p. 17), d’abord parce qu’elle se traduit par plus de trois millions de nouvelles positions électives du seul fait de la mise en œuvre obligatoire des élections locales (qui concernent les conseils au niveau des villages, des cantons et des districts), mais aussi parce qu’elle impose des quotas pour les catégories sociales jusqu’alors les plus politiquement marginalisées : ainsi un tiers des circonscriptions locales sont réservées aux femmes, tandis que les ex-intouchables et les tribaux bénéficient de quotas en proportion de leur importance démographique locale. Dans la plupart des États, les réunions de la gram sabha sont obligatoires, assorties d’un quorum, et ses prérogatives sont élargies (discuter du budget et des programmes de développement mis en œuvre par le conseil du village et sélectionner les bénéficiaires des programmes d’assistance publique)  [13], ce qui constitue une autre innovation institutionnelle de taille.

La mise en œuvre de la politique de décentralisation révèle toutefois que de nombreuses résistances s’opposent à une véritable délégation des fonctions, des personnels et des fonds aux institutions locales. Ces résistances émanent des élus régionaux et nationaux, de l’administration à tous les niveaux, mais aussi des groupes localement dominants en termes de caste et de classe. Les États régionaux interprètent de façon restrictive toutes les clauses qui sont laissées à leur discrétion – notamment concernant les modalités de fonctionnement de la gram sabha, dont la mise en oeuvre est particulièrement décevante : elle est insuffisamment convoquée, à des moments qui empêchent un grand nombre d’électeurs de s’y rendre – quand ils en sont informés à temps, ce qui n’est pas toujours le cas. Dans des sociétés villageoises fortement hiérarchisées, la notion d’une discussion entre égaux est difficile à mettre en œuvre. Enfin, si les prérogatives de la gram sabha sont importantes sur le papier, dans la réalité elles sont très limitées, et c’est l’administration du canton qui fixe généralement l’agenda des réunions. Dans bien des cas, seules les femmes les plus pauvres y participent, puisque l’une de ses missions les mieux comprises est d’identifier les personnes éligibles pour bénéficier de programmes d’assistance publique, programmes qui ciblent le plus souvent les plus pauvres. En pratique, la gram sabha ne rassemble le plus souvent que ceux qui n’ont aucune ressource et ne débouche donc pas sur une véritable mobilisation politique [14].

Les choses sont différentes là où s’applique le Panchayati Raj (Extension to Scheduled Areas) Act (PESA) adopté en 1996. Cette législation dote la gram sabha de pouvoirs accrus dans les régions comprenant une population tribale majoritaire (huit États fédérés sont concernés). La gram sabha y est dotée d’un droit de veto sur les décisions concernant les ressources naturelles locales (terres, forêt, étangs etc.). L’objectif est de préserver le mode de vie traditionnel des communautés tribales, étroitement lié à l’usage collectif de ces ressources, et de limiter, dans ces régions dont le sous-sol est généralement riche en ressources minérales, un comportement prédateur de l’État. Ce renforcement du pouvoir de la gram sabha repose sur l’idée que, dans ces communautés relativement égalitaires, l’assemblée villageoise peut être le site d’une discussion ouverte.

Hors des zones tribales, ce sont deux politiques publiques récentes qui ont, indirectement, conféré une importance nouvelle à la gram sabha. La première est le droit à l’information (Right to Information Act) adopté au niveau de l’Union indienne en 2005. Cette loi oblige l’administration publique à tous les niveaux à fournir, à qui la demande, une information complète sur telle ou telle décision. Cette loi, qui vise à promouvoir la transparence et l’imputabilité de l’administration, constitue potentiellement (car sa mise en œuvre rencontre bien des obstacles) une arme puissante de lutte contre la corruption [15]. Dans les villages, elle permet à la gram sabha de discuter en connaissance de cause de l’usage qui a été fait des fonds publics par ceux par qui ils transitent – élus et bureaucrates locaux.

La deuxième politique publique est un programme d’emplois publics, le National Rural Employment Guarantee Act (NREGA), également adopté en 2005. Cette loi garantit, à tout ménage rural qui le demande, cent jours d’emploi par an sur des chantiers publics (construction de routes, de canaux d’irrigation etc.)  [16] Pour éviter que ce programme connaisse le même sort que ses prédécesseurs, la loi comporte une disposition selon laquelle la gram sabha est chargée de l’« audit social » de la mise en œuvre du programme : autrement dit, les électeurs sont invités à vérifier que les registres de l’administration correspondent à la réalité, qu’il s’agisse du nombre de bénéficiaires du programme, de leur identité, du salaire qui leur a été versé ou de la mesure du travail accompli.

Ainsi, tandis que le PESA augmente considérablement les enjeux et les moyens d’action de la gram sabha dans les zones tribales, dans le reste du pays le droit à l’information et le programme d’emplois publics produisent ensemble le même effet [17].

Or, ces deux dernières politiques publiques doivent beaucoup à un deuxième tournant : le rôle ouvertement politique joué par le secteur non gouvernemental. Alors que dans les années 1980, le discours dominant sur la société civile indienne oppose les ONG, réputées apolitiques, aux mouvements sociaux, qui auraient le changement politique comme objectif principal, le caractère rhétorique de cette opposition devient évident dans les années 1990 (Jenkins, à paraître). Le droit à l’information est en effet l’aboutissement du travail d’analyse et de mobilisation mené depuis 1996 par une ONG basée au Rajasthan, le Mazdoor Kisan Shakti Sangathan (Union pour le pouvoir des travailleurs et des paysans, MKSS), qui mobilise les pauvres autour de la question des salaires minimaux et de la redistribution des terres. Derrière cette organisation pionnière, beaucoup d’autres contribuent à la mise en œuvre de cette législation. Le Rajasthan est aujourd’hui l’un des États où la mise en œuvre du programme d’emplois ruraux est considérée comme la plus satisfaisante, et la mobilisation autour du droit à l’information par les militants du MKSS y est pour beaucoup. Plus généralement, la présence locale des ONG apparaît comme un facteur important de « succès » de la décentralisation : les ONG contribuent à mobiliser les électeurs par leur travail de diffusion de l’information, par exemple au sujet de la tenue et des objets des réunions de la gram sabha[18]. Signe de la légitimité nouvelle de l’engagement du secteur non gouvernemental dans des activités touchant à la politique, les ONG se présentent volontiers, désormais, comme des « groupes de citoyens ».

Ce deuxième tournant est enfin lié à un troisième : la participation se développe également dans les villes. La politique de décentralisation de 1992 comporte en effet un volet urbain : trois types de municipalité sont définis (en fonction notamment de la taille de la population), des quotas pour l’élection des conseillers municipaux y sont également mis en œuvre pour les femmes, les ex-intouchables et les tribaux, et l’équivalent urbain de la gram sabha est le ward committee, supposé rassembler élus, administration municipale et représentants de la société civile, pour gérer les affaires locales à l’échelle de la circonscription municipale (le ward). Mais contrairement à la gram sabha, la composition du ward committee est laissée à la discrétion des États, et tous, sauf le Kérala, interprèteront cette clause de façon très restrictive : le ward committee n’inclut le plus souvent aucun représentant de la société civile [19] et ne constitue qu’un échelon décentralisé d’interaction entre élus et administration municipale. Dans les grandes villes indiennes, la notion d’une participation directe des résidents à la gestion des affaires locales s’incarne en fait dans des dispositifs lancés par le gouvernement, comme le programme Bhagidari à Delhi, qui affiche pour objectif la mobilisation des « groupes de citoyens ».

La description de ce programme-étendard par l’un de ses inventeurs, le chef de l’administration de la ville-État de Delhi, résume la synthèse opérée ces dernières années entre les visions politique et managériale de la participation. S. Reghunatan, évoquant Gandhi, reprend à son compte la vieille méfiance vis-à-vis des partis : « Une partie des problèmes de gouvernance en Inde sont dus aux élus et à l’administration... le seul moyen d’y remédier est de revenir au peuple... Les ward committees ont été circonscrits, c’est l’une des raisons pour laquelle j’ai voulu le programme Bhagidari... nous voulions éviter les interférences politiques », explique-t-il [20].

Mais il souligne aussi les objectifs managériaux du programme qui avait pour but « d’associer les gens à des politiques telles que la privatisation de la distribution de l’électricité, pour assurer une transition paisible (smooth)... Nous avons cherché une organisation qui pourrait mettre en œuvre cette idée et trouvé ACORD [Asian Centre for Organisation Research and Development – une entreprise indienne de consultance en formation et gestion des ressources humaines] spécialisée dans les « large group interactive exercises[21] »  [22].

Le programme Bhagidari a effectivement été lancé au moment où le gouvernement engageait une série de réformes concernant les services urbains. Le programme procède à travers l’organisation, à intervalles réguliers, d’« ateliers » qui voient représentants des associations de quartier et des diverses administrations en charge des services urbains débattre ensemble, pendant trois jours, des problèmes communs pour trouver des solutions consensuelles [23].

Mais les associations de quartier, qui se sont multipliées puis fédérées en réponse aux incitations du programme Bhagidari, se sont mobilisées depuis 2004 contre le gouvernement de Delhi. Qu’il s’agisse de la privatisation de la distribution de l’électricité, de la privatisation de la distribution d’eau ou de la mise en œuvre du nouveau schéma directeur d’urbanisme, ce programme, loin « d’apaiser » les résidents, a au contraire été le catalyseur d’une véritable action collective de leur part (Tawa Lama-Rewal, 2007).

CONCLUSION

De l’indépendance aux années 1990, l’idée d’une forme directe de participation des citoyens aux décisions publiques est un serpent de mer, qui s’éclipse largement de la scène politique avec la mort du Mahatma Gandhi, puis resurgit lors de la crise politique des années 1970 pour être ensuite discutée, mais jamais appliquée jusqu’à la politique de décentralisation de 1992. Le développement, en extension et en profondeur, des dispositifs participatifs à partir des années 1990, est tributaire, on l’a dit, d’une série de politiques publiques, mais aussi de la force du nouveau discours sur la bonne gouvernance, et de dynamiques socio-économiques nouvelles.

La fin des années 1990 voit en effet plusieurs chefs de gouvernements régionaux s’approprier la thématique de la bonne gouvernance promue par la Banque mondiale et les Nations unies. La participation est alors présentée comme une valeur en soi, tout en étant un moyen d’améliorer la transparence de l’action gouvernementale et l’imputabilité des gouvernants. Les effets de ce discours sont particulièrement visibles dans les grandes villes, à la fois parce que les capitales des États fédérés sont utilisées comme des vitrines de l’action gouvernementale, chargées d’attirer de potentiels investisseurs internationaux (Kennedy, 2004), et parce que ce discours est favorablement accueilli par une classe moyenne en expansion qui tend à avoir une vision très négative de la politique et des politiciens. Le succès du programme Bhagidari à Delhi, du « Local Area Citizen Group Partnership » à Mumbai, mais aussi la multiplication et l’activité grandissante des associations de quartier à Hyderabad ou Bangalore peuvent être vus comme l’appropriation de nouveaux canaux de participation politique par ces groupes enrichis par les réformes économiques mises en œuvre depuis le début des années 1990.

Enfin, l’examen des objets qui activent la participation et donnent leur sens et donc leur force aux dispositifs participatifs tend à montrer qu’il est fallacieux d’opposer politique et développement en la matière. Les villageois participent en nombre à la gram sabha à partir du moment où elle joue un rôle dans la mise en œuvre du programme d’emplois publics ; ils y mettent en cause l’action des gouvernants (ne serait-ce que celle des élus locaux, en collaboration avec l’administration locale) parce que des ressources collectives concrètes sont en jeu. Dans les villes, la mobilisation des associations de quartier contre le schéma directeur d’urbanisme (à Delhi en 2006), comme leur engagement dans les élections municipales en 2007, est partie de réunions de riverains autour de problèmes micro-locaux. Autrement dit, la participation prend son sens et sa force au croisement de la démocratie et du développement : elle engage les citoyens en tant qu’usagers ou bénéficiaires et vice-versa.

Alors que les dispositifs participatifs se développent dans de nombreux pays à partir des années 1990, le cas indien – en tous cas son versant urbain – semble aller à contre-courant de certaines observations suscitées par les expériences européennes (Blondiaux, 2008 ; Sintomer, 2007) ou américaines (Bacqué, 2005). D’une part, les dispositifs participatifs mis en œuvre dans les grandes villes indiennes visent non une population dominée, mais une population dominante – et c’est bien la raison de leur visibilité, et donc de leur efficacité. D’autre part ces dispositifs, loin de neutraliser l’action collective des groupes concernés, semblent au contraire la promouvoir et permettre l’expression d’un désir de montée en généralité. Enfin, l’instrumentalisation politique de ces dispositifs par les gouvernements en place est loin d’être évidente : si, à Delhi, le résultat des élections régionales de 2003 semblait indiquer que le programme Bhagidari a su mobiliser les classes moyennes en faveur du gouvernement sortant, les agitations organisées par les associations de quartier (notamment autour du conflit sur l’usage du sol en 2006) ont constitué un obstacle important pour le gouvernement. Il semble donc important, pour mieux comprendre les enjeux et les effets du développement de dispositifs participatifs dans de nombreuses démocraties, de développer des comparaisons internationales, y compris avec les pays du Sud [24].

BIBLIOGRAPHIE

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Notes

[*]
Chargée de recherche au Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du Sud (CNRS-EHESS).
[1]
Le panchayat est une institution ancienne : c’est un conseil d’anciens doté du pouvoir d’arbitrer les disputes dans une communauté donnée – la caste, ou le village.
[2]
Le « Local Area Citizen Group Partnership », établissant un partenariat entre la municipalité de Mumbai et des « groupes locaux de citoyens » à partir de 2006, est proche du programme Bhagidari dans sa forme et dans ses objectifs.
[3]
Sheila Dixit a été élue en 1998, puis réélue à deux reprises (fait rarissime dans l’Inde contemporaine) en 2003 et en 2008.
[4]
L’Inde est caractérisée par une urbanisation relativement lente (selon le dernier recensement, en 2001, 72 % des Indiens vivaient à la campagne).
[5]
Charles Metcalfe, un haut fonctionnaire de la Compagnie des Indes orientales (qui préfigure le gouvernement de l’Inde britannique), avait qualifié, en 1810, les villages indiens de « petites républiques » – une expression qui fera date. Après les Orientalistes, l’historiographie nationaliste indienne, à partir des années 1910, découvre et célèbre les républiques, au sens large de « gouvernement par la discussion » (Muhlberger, 1998), qui ont coexisté avec les monarchies à l’époque bouddhiste (du Ve siècle avant notre ère au IIe siècle) dans le Nord et l’Est de l’Inde. Des recherches plus récentes (Altekar, 1958 ; Sharma, 1968) ont montré que ces républiques existaient soit à l’échelle de villes-états, soit à une échelle supérieure, et qu’il faut donc les distinguer des conseils de villages qui perdurent jusqu’à l’époque coloniale, mais dont les attributions sont limitées à l’arbitrage des disputes.
[6]
Les citations issues de sources dont l’original est en anglais sont traduites par l’auteur.
[7]
Dans le contexte indien, le « communalisme » désigne l’idée selon laquelle les membres d’une communauté religieuse sont solidaires et s’opposent en bloc aux membres de la communauté rivale ; ce terme s’applique surtout aux relations entre les deux communautés principales, hindoue et musulmane.
[8]
Constituent Assembly Debates, Volume VII, 1949, p. 39, Delhi, Lok Sabha Secretariat.
[9]
Nehru soutient personnellement la décentralisation, qu’il considère comme un facteur de démocratisation du système politique, mais son entourage ne le suit pas (Kumar, 2006, pp. 19-20).
[10]
« La multiplication des ONG indiennes était considérée [dans les années 1970] comme une réponse à l’incapacité des autres institutions de la démocratie indienne – particulièrement ses partis – à offrir des voies d’engagement politique » (Jenkins, à paraître).
[11]
Planning Commission, Government of India, Draft Five Year Plan, 1978-1983, 1978, p. 15 (cité in Franda 1983, p. 7).
[12]
Quant à J. P., il appelait de ses vœux une « démocratie sans partis ».
[13]
Le Kérala est le seul État indien où un effort réel a été fait pour mettre en place une planification par la base : le « People’s Plan » lancé en 1996 implique que 35 % du budget de la Commission au Plan de l’État soit transféré aux collectivités locales. Une vaste campagne a été lancée pour encourager une large participation populaire dans les débats, notamment à travers la gram sabha.
[14]
La question de l’impact concret de la décentralisation en termes de démocratisation de l’accès aux ressources a mobilisé les économistes, qui ont notamment mesuré l’impact des quotas électoraux sur les conseils de villages, définis alors comme des administrateurs de biens publics. Ces différents travaux (notamment Besley, Pande, Rao, 2004 ; Chattopadhyay, Duflo, 2003 ; Bardhan, Mookherjee, 2004) esquissent ensemble un tableau nuancé, d’où il ressort que les contrastes sont forts entre les différents États et que les facteurs favorables à une redistribution qui reflète davantage les préférences des groupes marginalisés (qui sont aussi les bénéficiaires des quotas) sont le niveau d’éducation des élus, leur expérience politique, l’ancienneté de la mise en œuvre des quotas, et la présence de castes dominantes (c’est-à-dire de castes qui possèdent à la fois la plus grande partie des terres et qui occupent la plus grande partie des fonctions politiques). Ces observations expliquent que le Kérala, le Rajasthan, le Karnataka et le Bengale occidental apparaissent aujourd’hui comme les États où la décentralisation est la plus aboutie.
[15]
Le droit à l’information connaît toutefois plusieurs exceptions : il ne s’applique pas dans l’État du Jammu et Cachemire, ni à une série de documents considérés comme trop sensibles. Voir à ce sujet le site officiel du gouvernement indien, où l’on peut notamment consulter le texte de la loi : http://righttoinformation.gov.in/ (consulté le 02/11/2009).
[16]
Ce programme est actuellement mis en oeuvre dans 330 districts (sur un total de 593 dans tout le pays) considérés comme les moins développés ; il garantit une rémunération sur la base du salaire minimum, avec des taux égaux pour les hommes et pour les femmes (alors que les femmes sont toujours sous-payées en milieu rural). Voir à ce sujet le site officiel du gouvernement indien qui donne également accès au texte intégral de la loi : http://nrega.nic.in/ (consulté le 02/11/2009).
[17]
Ces deux politiques-phares de l’agenda social du gouvernement de coalition au pouvoir depuis 2004 mobilisent l’attention des militants mais aussi des chercheurs – qui sont souvent les mêmes personnes. Ainsi, l’économiste Jean Dreze, qui est l’un des auteurs du programme d’emplois publics, commente régulièrement la mise en œuvre de ce dernier et répond à ses critiques, notamment dans le quotidien The Hindu ou le bimensuel Frontline, qui font partie du même groupe de presse (voir par exemple un entretien récent avec Drèze sur les violations du programme : http://www.hinduonnet.com/fline/fl2616/stories/20090814261604000.htm). Les deux politiques sont toutefois trop récentes pour se prêter aujourd’hui à une évaluation globale.
[18]
Entretien avec Bidyut Mohanty, Institute of Social Sciences, Delhi, octobre 2008.
[19]
Parmi les six plus grandes municipalités urbaines en Inde, Mumbai est la seule dont les ward committees incluent trois ONG (sélectionnées par les élus locaux).
[20]
Entretien, Delhi, octobre 2008.
[21]
Cette méthode est utilisée aux États-Unis, tant dans le monde de l’entreprise que dans celui du travail social.
[22]
Entretien, Delhi, octobre 2008.
[23]
Pour une description détaillée du programme Bhagidari, voir le site du gouvernement de Delhi : http://delhigovt.nic.in/bhagi.asp (consulté le 02/11/2009).
[24]
Voir par exemple Heller, 2008.

Résumé

Français
Cet article dessine l’itinéraire, en Inde, de l’idée d’une démocratie locale permettant la participation directe des citoyens à la prise de décision. Cette idée est portée par différents leaders et partis politiques, du Mahatma Gandhi (dans les années 1930) à Rajiv Gandhi (dans les années 1990). L’article analyse les fluctuations du contenu de cette idée, et notamment son va-et-vient entre une interprétation « politique » et une interprétation « apolitique ». Il décrit la synthèse opérée entre ces deux interprétations dans les années 1990, alors qu’une forme directe de démocratie locale est enfin mise en œuvre dans les villages, mais aussi dans les villes.

Sourcehttps://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2010-1-page-177.htm

1 commentaire:

Je a dit…

En s'appuyant sur les traditions indiennes, c'est-à-dire le gram sabha (assemblées villageoises) le "Mahatma" Gandhi rejoint le projet politique de Jean Meslier décrit par Michel Onfray dans sa Contre-histoire de la philosophie.

Jean Meslier préconisait le communalisme planétaire (Remarque : Il s'agit du communalisme au sens francophone, c'est-à-dire s'appuyant sur les communes; alors que pour les anglophones, "communalisme" prend le sens français de communautarisme).

C'est exactement la solution que propose aussi Murray Bookchin avec son confédéralisme municipal. Pour lutter contre la mondialisation, c'est-à-dire la concentration de tous les pouvoirs (politiques et économiques) à l'échelle planétaire dans les mains de quelques banquiers principalement états-uniens et britanniques, il faut reprendre le contrôle au niveau local, au niveau de la commune.

Pour cela, il faut sortir de ce statut infantile auxquels sont réduits les soit-disant citoyens. Il faut non seulement être autonome (écrire ses lois) comme le revendiquent les adolescents mais en plus, il faut être autosuffisant (en termes alimentaires, énergétiques, monétaires) pour atteindre le statut d'adulte.