lundi 30 janvier 2017

Petit guide du révolutionnaire : Les nouveaux penseurs

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9 février 2016 Commentaires (6) Vues: 1519 Article

Petit guide du révolutionnaire : Les nouveaux penseurs

Nouvel article participatif dans Poppers Mag. Cette compilation de nouveaux penseurs, d’intellectuels actifs à l’heure actuelle, n’est bien sûr pas exhaustive. Elle constitue un point de départ purement subjectif et c’est pourquoi je t’invite, ami(e) lecteur(rice), à faire une ou plusieurs suggestions dans les commentaires de cet article afin qu’ensemble, nous créions l’avenir (rien que ça!) et les suites de ce petit guide… J’ai choisi de parler de penseurs français mais libre à toi d’élargir le spectre de mes recherches!
   
Tout le monde le sait bien désormais: les choses doivent changer. Il n’est plus guère besoin d’argumenter sur le sujet et moi-même, je dois bien dire que je rencontre de moins en moins de résistance sur ce point. Là où le bas blesse c’est lorsque j’entends, après le compromis précédemment exposé, qu’il est impossible ou trop difficile de changer réellement les choses. On vous balance à la gueule un “mais comment on fait?”, sans qu’aucune lueur de remise en cause personnelle ne soit passée dans les yeux de votre assaillant. Car plus qu’à la paresse et à la peur, c’est à l’ignorance que nous sommes confrontés lors de tels débats. L’opposant, se voit contraint de penser de lui-même un instant et suppute que ce que vous lui proposez quand vous parlez de “changement”, c’est d’abandonner toute idée de confort telle qu’il la conçoit ou bien qu’on souhaite l’envoyer aux barricades dans la minute. Non.
En premier lieu, il faut bien comprendre que les choses commencent à un niveau personnel avant de s’appliquer à la communauté, au pays, au monde. Si cela semble évident, la plupart des personnes qui ont le bon sens de s’interroger sur le sujet se découragent souvent vite à l’idée qu’il leur faudrait prendre part à ce changement. Ils pensent sans doute que celui-ci est la responsabilité d’autrui et de la communauté, se dédouanant au passage de toute obligation. La vraie question que nous devons nous poser est donc par où commencer sa révolution personnelle ? La réponse se trouve dans la conception idéologique des changements que tu souhaites entreprendre. Foncer sans réfléchir, sans s’informer, sans comprendre, ne mène pas bien loin et peut parfois prendre des tournures malencontreuses. Alors, par où commencer ?
Eh bien sache que des gens ont consacré leur vie et leur œuvre à apporter des éléments de réponse à ces questions. Il s’agit dans l’ensemble de professeurs, d’enseignants qui ont su prendre leur vocation au sérieux. Je te propose donc de te présenter quelques-uns de ces penseurs d’une mise en pratique plus ou moins directe d’un changement de paradigme. Tous ont en commun un but: le changement de régime, combattre un capitalisme/libéralisme débridé qui est aux commandes, grosso modo, depuis la révolution industrielle anglaise. Ce qui est intéressant, c’est de noter que tous proposent des réflexions différentes et des approches diverses pour y parvenir. Autre point à souligner : ces personnages aux parcours souvent bien éloignés, en sont tous venus à un moment ou à un autre à la même conclusion : le problème, c’est le système capitaliste tel qu’il est à l’œuvre actuellement. Du fait de leur volonté de réduire le pouvoir, voire de renverser le système en place, ils sont naturellement boudés par les outils de communication du système, encore que la plupart aient eu quelque occasion de se montrer une fois ou deux sur le plateau de Frédéric Taddeï ou sur les antennes de France Culture à des heures où l’écoute frise le ridicule.


Etienne Chouard

“Si les représentants doivent craindre la Constitution… il ne faut pas qu’ils l’écrivent eux-même.”
Etienne Chouard est un excellent moyen de commencer une réflexion sur les problèmes de notre temps. Tout d’abord parce que Chouard n’est pas un intellectuel comme les autres. C’est un homme banal, un professeur d’économie et de gestion qui s’est politisé sur le tard. Comme de plus en plus de gens, il a eu un déclic. Il est parti d’une réflexion sur le traité constitutionnel européen (mais si! rappelle-toi: celui pour lequel tu as voté “non” en 2005, mais que nos dirigeants ont tout de même décidé d’adopter) contre lequel il s’insurge. Son mouvement prend alors de l’ampleur. Il faut dire que la réflexion d’Etienne Chouard est simple et sa méthode limpide et bénéfique par les temps qui courent. Chouard mène une enquête. Il s’interroge et nous interroge sur un problème donné (la constitution européenne, la démocratie ou quoi que ce soit d’autre) et remonte le fil historique et logique de ce qui nous a amené à telle situation. Il cherche à déterminer de manière efficace “la cause des causes” et à partir de là, il réfléchit et propose des solutions concrètes et simples à des problèmes qui semblaient au départ insurmontables.
Son axe majeur de réflexion, la grande idée d’Etienne Chouard, c’est le tirage au sort. S’inspirant des modèles de démocratie athéniens (en en reconnaissant également les failles), le bougre a la velléité de penser qu’il serait bon que nous autres, pauvres quidams, ayons quelque contrôle sur nos dirigeants politiques et nos plus hautes instances étatiques. Et, en y réfléchissant bien, c’est vrai que c’est loin d’être con. Le tirage au sort viendrait ainsi élire au hasard des citoyens à des positions de contrôle ou de regard sur les actions entreprises par nos dirigeants. Il donnerait ainsi aux citoyens du commun (vous et moi quoi…) des responsabilités, une autorité qui leur permettraient de garder la main mise sur la manière dont s’exerce le pouvoir en place. Il s’agit donc de réinventer la démocratie et ses règles du jeu. Comprenez que pour Etienne Chouard, nous faisons avant tout face à un problème de constitution. Nous avons laissé les puissants écrire les règles qui nous régissent et leur permettent de gérer nos affaires comme ils l’entendent, sans que nous ne puissions rien y faire. Par conséquent, il n’appartient qu’à nous de nous réapproprier la loi et de la faire pencher en notre faveur. L’idée serait donc d’écrire une nouvelle constitution en y incluant des moyens de contrôle démocratiques (à travers le tirage au sort par exemple). Chouard s’agite ainsi un peu partout en France et tente de créer un mouvement participatif par le biais d’ateliers constituants où le débat prend vie. Un début.
A travers ce cheminement, l’une des questions fondamentales que Chouard remet sur le tapis est celle du langage et de ses mésusages. L’un des premiers effets de sa méthode de réflexion est de renverser les rapports de force posés par les partisans du double langage. Il nous explique ainsi dans une brillante conférence (https://www.youtube.com/watch?v=oN5tdMSXWV8) que nous sommes incapables de voir quelles sont les solutions qui nous permettraient de sortir du marasme dans lequel nous nous trouvons, dans la mesure où les mots que nous cherchons sont déjà utilisés pour désigner des choses qui leur sont contraires. Pour le paraphraser, nous aurions besoin de la démocratie mais nous sommes incapables de la réaliser dans la mesure où nous pensons d’ores et déjà être en démocratie. Ce processus de réappropriation du langage et de la sémantique est une étape nécessaire à tout effort intellectuel qui se respecte et Chouard a le mérite de nous ouvrir les yeux de manière limpide sur ce point là.
De la même façon, il choisit de remettre en lumière un terme trop souvent galvaudé et mésusé : le complot. Alors là, je vous vois venir, vils faquins, à partir dans vos folies des grandeurs qui en ont mené plus d’un à conclure que 1 + 1 était égal à 3. Un complot n’est rien d’autre qu’un accord secret passé entre deux parties prenantes au détriment de l’intérêt général. Vu sous cet angle (et il ne devrait pas y en avoir d’autres puisque c’est là la vraie définition du mot), les complots nous entourent (de but en blanc, parfaitement au hasard, je vous invite à vous renseigner sur le TAFTA) et Chouard nous invite à les dénoncer.

Paul Ariès

“Choisir de parler de culture de masse en lieu et place des cultures populaires, c’est renvoyer le peuple à l’indistinct, au troupeau, à tout ce qui grouille.”
Paul Ariès est à la base un politologue/socio-économiste lyonnais, mais le réduire à ses titres serait trop faible. Je dirais que Paul Ariès est un optimiste réaliste. Il effectue à travers son œuvre littéraire et orale la jointure parfaite des questions socio-économiques, politiques et écologiques. Et ce n’est pas une mince affaire. Il fait partie de ces penseurs qui ont compris que, si la lutte des classes est aujourd’hui encore l’enjeu majeur du changement de société, le poids de l’urgence écologique a fortement changé la donne au cours du siècle dernier en rajoutant de l’huile sur le feu.
Pourtant, a priori, le lien entre lutte des classes et écologie ne semble pas évident. Dans son ouvrage Écologie et cultures populaires: les modes de vie populaires au secours de la planète, Ariès dénonce avec facilité de quelle manière le système capitaliste et libéral actuel marginalise les classes populaires (pourtant en supériorité effective) et s’enfonce ainsi dans une crise existentielle profonde en même temps qu’il ravage notre environnement. Il décortique la manière dont les milieux les moins aisés sont tout bonnement ignorés de notre système (par exemple, le terme de “classe ouvrière” a complétement disparu au cours des dernières décennies alors que le monde ouvrier représente toujours (excusez du peu) près de 30% de la population active en France) et nous explique que si les classes populaires sont si mal représentées (dans la pub, les médias en général…) c’est parce qu’il s’agit d’une classe dominée. L’intérêt de la classe dominante n’est donc pas de placer l’emphase sur cette domination mais plutôt de l’assouvir en suscitant l’envie individuelle (“diviser pour mieux régner”) qui se matérialise en définitive par la société de consommation. On commence à comprendre un peu mieux comment la lutte des classes en arrive à affecter directement la situation environnementale.
Ariès nous fait ensuite observer que les milieux les moins aisés sont également ceux qui polluent le moins. C’est pourquoi il place ses espoirs dans les classes populaires, nous expliquant que c’est aux plus riches de s’inspirer des usages des moins aisés et non l’inverse (comme c’est le cas à l’heure actuelle). Il s’agit en somme de replacer la norme sur la majorité des gens, d’autant que leur mode de vie pollue moins et apparait comme plus humain socialement que l’individualisme et la neurasthénie ambiante promue dans les classes les plus riches. Ariès nous pose ainsi des questions concrètes et directes sur nos modes de vie, sur leur impact et sur notre manière de les conceptualiser.
Chemin faisant, on en arrive au centre de sa réflexion se situant parmi celles des objecteurs de croissance. Selon lui, le cœur du problème vient du fait que ce système économique et social est basé sur une logique de croissance perpétuelle qui n’est pas viable. Il est facile de comprendre que, dans un monde aux ressources limitées comme le nôtre, un tel système mène à une destruction rapide de notre habitat. Paul Ariès prône donc la décroissance qu’il convient de définir avant d’aller plus loin.

On a tendance à assimiler ce terme à une austérité économique (de laquelle nous ne sommes pas bien loin à l’heure actuelle, soit dit en passant…). Ariès nous invite à penser la décroissance comme une autre manière de vivre, hors du capitalisme. Il sort donc le tapis rouge à l’idée d’un retour à des modes de vie plus sobres sans pour autant perdre en qualité de vie (ce que ne suggère pas l’austérité). Il évoque alors les traditions latino-américaines et africaines du bien vivre et prône un bonheur existentiel et social plutôt qu’un bonheur lié à l’avoir, à la consommation. Il place ainsi l’enjeu social et la recherche d’un bonheur simple au cœur de sa réflexion.
Sa volonté de remettre l’accent sur la lutte des classes et une redéfinition des classes populaires au sein du débat prend alors tout son sens. Ariès revendique une décroissance par un retour à la simplicité, à un bien vivre et un bien être qu’on a tendance à trouver plus facilement dans les classes les moins aisées. Ajouté à cela, il développe différents concepts qui permettraient d’atteindre ce but, de recréer du lien social entre les gens et de lutter efficacement contre le capitalisme. S’il nous parle d’un revenu de base inconditionnel (auquel nous préférerons le salaire à vie de Bernard Friot un peu plus bas dans l’article), Paul Ariès propose également d’élargir la sphère actuelle de la gratuité, aspect qui soulève du même coup la question de l’usage et du mésusage.

Ariès propose que les citoyens décident de ce qui est utile et devrait être gratuit (ou quasi-gratuit) dans la société et, de renchérir, de taxer les mésusages (soit tout ce qui est jugé inutile par les citoyens). Il nous explique ce paradigme en prenant l’exemple de l’usage de l’eau (qui va venir à manquer) et en se demandant pourquoi une personne qui utilise de l’eau pour ses besoins vitaux se voit contrainte de payer le même prix qu’une personne qui remplit sa piscine tous les étés? On constate alors que les concepts d’usage, de mésusage et de gratuité d’Ariès passent par une redéfinition du rôle de citoyen (plus démocratique) mais aussi par une responsabilisation et une prise de conscience de ce que nos modes de vie entraînent.

Bernard Friot

“Dès lors qu’on qualifie un poste et non pas une personne, toute personne sans poste va être chômeuse. Alors que si on qualifie les personnes, on leur attribue un salaire à vie.”
Expert dans l’histoire des institutions d’État censées amener la puissance du salariat, mais également économiste hétérodoxe, Bernard Friot revisite les théorie marxistes en les mettant au goût du jour. Et c’est à travers elles qu’il combat les mythes de l‘idéologie religieuse du capitalisme et du néo-libéralisme.
Friot a une manière fracassante de remettre les perspectives en place. Il commence par nous rappeler que l’enjeu du conflit économique, social et politique qui nous anime aujourd’hui encore, c’est la lutte des classes. L’idée que celle-ci puisse avoir disparu avec l’apparition des classes moyennes est complètement erronée. C’est le fait qu’une classe dirige et profite d’une autre, décide de ce qui a ou n’a pas de valeur et s’occupe d’en retirer les bénéfices qui est à la base de l’injustice et de la violence sociale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui.
Si l’on devait s’en tenir à une idée forte qui résume la pensée de Bernard Friot, il faudrait bien entendu parler du salaire à vie (à différencier du revenu de base inconditionnel actuellement à l’étude en Hollande et en Finlande qu’il décrit lui même comme étant une déviation de ce vers quoi l’on doit tendre). Il n’est pas question ici de revenu de solidarité mais bel et bien de salaire. Friot nous explique avec brio en quoi les retraites et les allocations chômage sont des salaires qui viennent rétribuer une création de valeur (passée ET actuelle). Il démontre que toute notre vie nous créons de la valeur économique qui n’est pas rémunérée à l’heure actuelle : amener ses enfants à l’école, aider un ami dans l’un de ses projets, nettoyer son appartement, faire à manger à ses enfants, etc… Or l’idée de valeur économique nous a été confisquée par les détenteurs du capital, qui ont actuellement le pouvoir de décider combien nous valons pour la société via l’attribution d’un salaire calculé en fonction du poste que nous occupons au sein de l’entreprise qu’ils possèdent. Partant de ce constat, l’idée serait donc d’attribuer un salaire à vie à tout citoyen à partir de ses 18 ans, qu’il ait un emploi ou non. Bernard Friot en arrive ainsi à remettre complètement en cause le concept de valeur économique telle que définie par le système capitaliste en vigueur.
Par ailleurs, ce qu’il y a d’intéressant dans l’argumentation de Friot, c’est qu’il appuie sa réflexion sur ce qui existe déjà : en effet la notion capitaliste de la valeur a été déjà remise en cause par la création de la fonction publique, de nos systèmes de retraite et des allocations chômage. Ces trois institutions, mises en place par des ministres communistes et donc anticapitalistes, reversent un salaire continué à des personnes et non à un poste de travail en particulier. Elles estiment donc que ce sont les personnes qui reçoivent ces salaires qui produisent de la valeur économique et non leur poste. Et c’est pour cette raison que ces institutions anticapitalistes sont constamment la cible d’attaques visant à les démanteler depuis leur création. C’est sur ces acquis syndicaux et sociaux obtenus (et bien souvent renégociés pour ne pas dire perdus) au cours des ans que Friot se base pour construire sa vision et l’ancrer plus solidement dans un réel potentiel. En grand spécialiste de l’histoire de la Sécurité Sociale, son modèle économique est loin d’être fragile et s’appuie donc sur de solides arguments qui sont à lire ou à écouter dans les liens qui suivent.
Friot nous explique donc qu’une redéfinition du salaire, une suppression du marché de l’emploi, sont des moyens concrets, et à notre portée, de mettre un terme au système capitaliste de la valeur. Et si ces idées fortes ne tardent généralement pas à faire sortir ses opposant de leurs gonds et à le qualifier de communiste (ce dont il se revendique) ou de fou, il serait stupide de s’arrêter à ce postulat simple sans chercher à voir un peu plus loin. Par exemple Friot n’a rien contre la monnaie ou contre la propriété privée en elle-même. Seulement il y va, là encore, d’une redéfinition fondamentale puisqu’il nous explique que nous devons passer de la “propriété lucrative” (fer de lance du capitalisme) à la “propriété d’usage“. Non seulement vous pouvez dire adieu au loyer exorbitant de votre 2 pièces puisque si vous l’habitez, que vous l’utilisez, vous en êtes propriétaire (ce qui veut également dire que vous pouvez dire adieu à la rente occasionnée par les multiples propriétés que vous louez le double du prix du marché… mais tout va bien puisque le salaire à vie est là…) mais vous devenez par exemple, également co-propriétaire de votre outil de travail. Il n’y a ainsi plus une personne, un investisseur privé à qui l’outil de travail appartiendrait, qui exploiterait votre temps et votre force de travail (contre un salaire bien mérité certes…) et qui en tirerait des bénéfices outrageux pendant que vous devez aller pointer au chômage parce qu’il a décidé de délocaliser.
Il va sans dire que les changements proposés sont profonds, voire radicaux, même s’ils s’appuient sur des éléments concrets arrachés par la lutte syndicale du siècle dernier (la Sécurité Sociale, le fonctionnariat par exemple…). D’ailleurs, Friot a la franchise de nous dire que le modèle qu’il propose avec le salaire à vie ne pourra pas totalement supprimer la violence sociale, ni même la lutte des classes (qui se jouera ailleurs et notamment sur la qualification dans le modèle de salaires qu’il préconise). Mais ses propositions recentrent toutes ces luttes et cette violence et ont le mérite d’apporter des réflexions et des éléments qui permettraient de la mieux catalyser.

Jean-Claude Michéa

“Au cœur de la protestation morale des premiers penseurs socialistes du XIXème siècle, il y a d’abord le constat que le processus d’émancipation libérale portée par la Révolution française (l’idée que l’égalité des droits constitue l’énigme résolue de l’histoire) n’avait réglé en rien la question sociale.”

Professeur de philosophie dans un lycée de Montpellier, Jean-Claude Michéa reprend dans ses ouvrages l’histoire des mouvements politiques français et analyse leur parcours pour mieux nous aider à comprendre où ils en sont aujourd’hui. Car selon lui, l’un des problèmes majeurs de notre temps vient de notre incapacité (à nous mais aussi et surtout à celle de nos médias et de nos institutions) à nous retourner vers le passé pour comprendre nos erreurs d’interprétations d’un présent qui a de moins en moins de sens. Il compare ce phénomène au mythe grec d’Orphée et le nomme complexe d’Orphée dans un ouvrage du même nom.
A partir de ce constat, Michéa décide de se retourner vers l’histoire pour en comprendre les erreurs d’interprétations donc mais aussi pour trouver des solutions déjà appliquées et mentionnées à des problèmes actuels. Dans Les Mystères de la Gauche, il nous montre ainsi de quelle manière notre interprétation actuelle des clivages politiques français est erronée. Son analyse des dérives sociologiques voire ethnologiques entraînées par le libéralisme sont d’une justesse remarquable. Pour résumer quelque peu, il démontre comment notre perception d’une gauche progressiste (matérialisée par le PS principalement) et d’une droite traditionaliste (UMP voire FN) fausse la donne dans la lutte contre un capitalisme débridé. En effet, dans l’imaginaire collectif, la gauche était historiquement et serait encore là pour nous protéger des dérives du grand capital conservateur (et catholique) de la droite. Mais on se rend compte rapidement que ce n’est pas du tout le cas et ce dès le XIXème siècle (pas besoin de faire les surpris devant les privatisations de Mitterrand ou le combat “acharné” de Hollande face à la finance). Michéa nous explique que ces confusions politiques ont pour unique but de détourner l’attention de la majorité vers des considérations secondaires (progressisme contre conservatisme, mariage gay contre religion, droite contre gauche, etc…) plutôt que contre un système capitaliste qui continue de ne servir que le plus petit nombre au détriment du plus grand.
Michéa est professeur de philosophie et c’est avec celle-ci qu’il décortique les fondements de la théorie libérale et capitaliste, ses réflexions sur l’individu et sa place dans la société. Ainsi, il nous explique de manière claire les absurdités voire les folies de nos modes de vie actuels. Sous l’angle de la philosophie, il s’attache à démontrer comment ont évolué le langage et les valeurs morales de notre société sous l’égide bien pensante du progrès et des libertés individuelles. On s’aperçoit alors que la focale portée sur ce vrai faux clivage gauche-droite prend tout son sens ici. Puisque sous couvert de faux débats idéologiques et moraux, les deux mouvements politiques ont en réalité su œuvrer ensemble vers un même idéal sociétal qui nous amène à la situation actuelle : une société de consommation (de biens inutiles à but purement ostentatoire) où l’individualisme est roi, où le recul des acquis sociaux est vu comme un progrès (les “réformes”) et dans laquelle nous perdons à un rythme effréné tout ce qui fait de nous des humains. La sempiternelle opposition gauche-droite crée donc des clivages sociaux non dangereux pour le système: vieux contre jeune, gay contre hétéro, pro-peine de mort contre anti, etc… et fait ainsi diversion en masquant le seul conflit important : celui de la lutte de classes.
Un peu à l’instar de Paul Ariès, Michéa en arrive à dénoncer les dérives du libéralisme, ses tentatives d’imprégner un certain rythme aux classes dominées afin qu’elles suivent sans trop se poser de question et d’atomiser la société sur l’autel des libertés individuelles. On divise pour mieux régner, une stratégie connue mais qui marche. Michéa pense que la solution à cette domination se trouve dans les valeurs des classes populaires et il s’appuie pour cela sur les concepts de George Orwell (l’auteur de 1984) de common sense (sens commun) et common decency (décence ordinaire) qu’il considère comme les socles d’une vie sociale envisageable sous un autre angle que celui imposé par le prisme des classes dominantes.

Pierre Rabhi

“Je pense au contraire qu’il est temps pour chacun d’entre nous de reprendre le pouvoir sur son existence et d’incarner une politique en acte dans chacune des sphères de son quotidien”

A première vue, on pourrait croire que Rabhi, c’est un petit peu l’utopiste de la troupe d’un point de vue idéologique. Pourtant il y a bien plus que cela dans ce personnage prônant des valeurs simples. Tout d’abord, Rabhi agit bien trop pour être réellement réduit au simple sobriquet d’utopiste. Que ce soit à travers son mouvement Colibris (qui invite chacun à redevenir actif et à faire sa part en société), mais aussi à travers ses actions de diffusion et de mise en place d’une agroécologie plus soucieuse de l’environnement et des populations, Rabhi s’avère être en réalité un homme d’action avant toutes choses.
Cela dit, son approche critique du monde et de notre société capitaliste n’en demeure pas moins intéressante. S’il arrive globalement au même constat que ses coreligionnaires, le cheminement de sa réflexion s’effectue au travers d’une critique précise et acerbe de l’évolution de l’agriculture vers l’agriculture industrielle et ses conséquences sur nos modes de vie. Là encore, c’est donc par du concret que Rabhi nous amène finalement à une pensée plus métaphysique et poétique. On perçoit à travers son message un optimisme désarmant et une confiance en l’humain peut-être irréalistes qui peuvent laisser sur leur faim certains mordus d’une révolution type “grand soir”.
Pierre Rabhi remet la métaphysique au goût du jour en la présentant comme objectif humaniste s’opposant à la matérialité néfaste dans laquelle nous nous sommes engoncés et continuons de nous enfoncer. Il prône des valeurs de simplicité et de sobriété, tendant ainsi clairement vers des notions de décroissance et pointant du doigt l’impossibilité de baser un système économique sur une croissance permanente dans un monde aux ressources limitées. Ces observations l’amènent finalement à une constatation simple, effarante et pourtant inhabituelle : nous avons cessé de valoriser l’intelligence.

A travers une logique portée sur l’efficacité, la productivité, la capitalisation de notre temps et la vitesse, notre société a cessé de valoriser la lenteur, la contemplation et la réflexion. Tout au long de son cheminement, Pierre Rabhi tente d’éveiller en nous un potentiel d’action et de réflexion passant par une réappropriation de notre temps et un éloge de la lenteur que les médias de masse et les divertissements de notre société de consommation tentent tant bien que mal d’étouffer.

Bibliographie

Écologie et cultures populaires – Paul Ariès
Désobéir et grandir – Paul Ariès
Émanciper le travail – Bernard Friot 
Les Mystères de la gauche – Jean-Claude Michéa 
Manifeste pour la Terre et l’Humanisme – Pierre Rabhi

Vidéos

Etienne Chouard – Chercher la cause des cause
Paul Ariès – Demain la Décroissance N°18
Bernard Friot – Le Salaire à Vie 
Jean-Claude Michéa – Entretien avec Jean-Claude Michéa
Pierre Rabhi – Agir à son échelle et construire ensemble

Source de l'article principal http://poppers-mag.fr/petit-guide-du-revolutionnaire-les-nouveaux-penseurs/

6 commentaires:

Je a dit…

Nous devons passer de la “propriété lucrative” (fer de lance du capitalisme) à la “propriété d’usage“, affirme Bernard Friot.

Voilà un concept très intéressant que je souhaite approfondir en lisant les publications de cet économiste !

Je a dit…

Personnellement, je ne conteste pas le droit à la propriété mais je ressens qu'il faut la limiter à ce qui est nécessaire, et donc proscrire l'accumulation qui se fait au profit de quelques-uns et au détriment de beaucoup d'autres.

Par exemple : pourquoi posséder des dizaines ou des centaines de maisons ? C'est la "propriété lucrative" pour reprendre l'expression de Bernard Friot. Mais ce qui est naturel et nécessaire (pour un sédentaire), c'est seulement de posséder une seule maison par famille. Voilà quel devait être le minimum fixé par la loi ! Et un maximum pourrait être fixé à une maison supplémentaire par enfant; leur permettant d'avoir leur propre domicile une fois l'âge adulte atteint.

Quant aux outils de production, ils devraient évidemment être la copropriété de ceux qui travaillent avec, de ceux qui en font usage ! Voici encore un exemple de la "propriété d'usage". Toute entreprise devrait être composée d'associés, de copropriétaires.

Je a dit…

Paul Ariès nous explique que c’est aux plus riches de s’inspirer des usages des moins aisés et non l’inverse (comme c’est le cas à l’heure actuelle).

Je a dit…

J'aime beaucoup l'expression "objecteurs de croissance" pour désigner ceux qui pointent du doigt le cœur du problème.

Notre système économique et social est basé sur une logique de croissance perpétuelle mais elle n’est pas viable. Il est facile de comprendre que, dans un monde aux ressources limitées comme le nôtre, un tel système mène à une destruction rapide de notre habitat. Nous commençons d'ailleurs à en sentir les premiers signes (pollution, extinction de nombreuses espèces, fonte des glaciers, tempêtes de plus en plus nombreuses et de plus en plus intenses, etc.).

Je a dit…

La remarque fondamentale

"En premier lieu, il faut bien comprendre que les choses commencent à un niveau personnel avant de s’appliquer à la communauté, au pays, au monde."

fait le lien avec un autre article repris sur ce blog : "Que faire ?" signé Alban Dousset (http://justemonopinion-jeronimo.blogspot.com/2017/12/que-faire-pour-semanciper-de-notre.html).

Je a dit…

Cette liste de "nouveaux penseurs" m'en évoque une autre utilisée en introduction de la vidéo "Chronique d'un éveil citoyen - épisode 7 - La démocratie" d'Alban Dousset (cf. le billet de blog à l'adresse suivante : http://justemonopinion-jeronimo.blogspot.com/2015/12/chronique-dun-eveil-citoyen-episode-7.html)

C'est la liste des personnalités du générique dans l’ordre d’apparition :
- Dieudonné,
- Alain Soral,
- Jacob Cohen,
- Jean Bricmont,
- Thierry Meyssan,
- François Asselineau,
- Adrien Abauzit,
- Pierre Hillard,
- Etienne Chouard (déjà cité dans l'article ci-dessus),
- Cornelius Castoriadis,
- Antoine Chollet,
- Paul Jorion,
- Frédéric Lordon,
- Olivier Berruyer,
- Jacques Sapir,
- Olivier Delamarche,
- Pierre-Yves Rougeyron,
- Pierre Jovanovic,
- Michel Drac,
- Jonathan Moadab (AIL),
- Michel Collon,
- Francis Cousin,
- Henri Guillemin,
- Tepa (Meta TV),
- Benjamin Bayart,
- Jérémie Zimmermann,
- et Edward Snowden.

La plupart des noms me sont familiers ... mais pas tous ! Cela mérite investigation !